Par Hong Kong Fou-Fou
Je n'aime pas la moustache. Drôle de façon de commencer un article, certes. Il n'empêche, je n'aime pas la
moustache, cette touffe de poils disgracieuse qui trempe dans la soupe poireaux-pommes de terre du dîner. Elle donne à la personne qui la porte, au pire un aspect inquiétant (Staline, Hitler, ma
concierge - ne riez pas, vous n'avez jamais eu à subir son courroux parce que vous avez marché sur son tas de poussière), au mieux un petit côté rural (José Bové) ou gay (Freddie Mercury).
Associez-la à une nuque longue et vous obtenez un look qui vous fera passer pour, au choix, un acteur de porno ou un footballeur, élevé au choux et à la saucisse dans l'Allemagne d'Helmut
Schmidt. Rares sont les moustachus qui trouvent grâce à mes yeux. David Niven, s'il l'assortit avec le peignoir en soie du Bond retraité de Casino Royale ou l'uniforme impeccable du
Colonel Matthews dans Le cerveau. Peter Sellers, si c'est pour endosser le rôle de l'inspecteur Clouseau dans La panthère rose. Et puis Peter Wyngarde, ou plutôt son personnage
de Jason King dans la série anglaise Département S (1969-70), puis sa suite, sobrement intitulée Jason King (1971-72).
Jason King, c'est un écrivain de romans policiers à succès, qui donne à ses moments perdus un coup de main au Département S d'Interpol pour résoudre des enquêtes difficiles. Mais il fait ça en
dilettante, en amateur éclairé. Un peu comme Goudurix avec ses articles pour Fury Magazine. Ses priorités (à Jason King, pas à Goudurix) sont plutôt les femmes et les vêtements. Tant de
frivolité, bel exemple pour la jeunesse... Et ne parlons pas de son hygiène de vie. Toujours un verre de scotch dans une main, une cigarette dans l'autre. Je ne suis même pas certain qu'il mange
ses cinq fruits et légumes par jour, l'inconscient. Mais reconnaissons-lui une grande activité physique. Au début de chaque épisode, ses partenaires perdent invariablement quelques minutes (sur
les 47 que dure le programme, ça compte) à le localiser, il peut aussi bien être dans un bolide au départ des 24h du Mans qu'en train d'escalader un sommet enneigé pour y planter l'Union Jack. Ou
allongé sur un transat, dictant son prochain livre à une secrétaire en minijupe, dans un palace de la Riviera.
Jason King, c'est un peu le croisement entre un Danny Wilde psychédélique et Elton John période "The bitch is back". Il porte des chemises à jabot, des costumes trois-pièces cintrés, de longs
manteaux en fourrure. Il roule en Bentley rouge. Lui seul peut entrer dans un night-club, vêtu d'un blouson étriqué en peau de serpent, fumant une cigarette qu'il tient entre l'annulaire et
l'auriculaire, orné d'une lourde chevalière, sans se faire casser la gueule par un cockney rustique. Il est snob, prétentieux, exubérant, flegmatique, décalé, déphasé, flamboyant. C'est
l'homme moderne d'il y a quarante ans. Son portrait devrait figurer dans le hall d'entrée des locaux de Fury Magazine. Un exemple pour nous tous. Oui, même toi, Wally. Il n'y a pas que
Jean-Pierre Rives dans la vie !
Ce personnage outrancier a valu à son interprète un important succès. Entre 1970 et 1973, Peter Wyngarde a remporté tout un tas de titres plus ou moins honorifiques : Homme le mieux habillé
de Grande-Bretagne, Homme de l'année en Allemagne (la moustache, sûrement), Homme avec lequel elles voudraient perdre leur virginité selon les lectrices d'un magazine
féminin australien, Homme avec lequel elles voudraient être perdues dans l'espace pour des étudiantes du Texas, Homme aux plus belles cravates (bon, encore en Allemagne, je ne
sais pas si ça compte), Sex of the Best pour les lectrices de She (l'équivalent anglais de Elle, sans doute ?), Voix la plus sexy de la télévision. Etc, etc. J'arrête cette
énumération, sinon Goudurix, malgré le titre de Plus fringant quinquagénaire qu'il a reçu des lectrices de Fury Magazine, va être jaloux.
En 1975, Peter Wyngarde est condamné pour outrage, après avoir été arrêté dans les toilettes d'une station-service, dans une position sans équivoque avec un routier anglais (apparemment, là-bas
ils sont encore plus sympas qu'ailleurs...). Eh oui, le séducteur du petit écran était pédé comme un foc... Il a dû y en avoir, des larmes, chez les ménagères de moins de 50 ans. Son secret n'en
était pas un dans le petit cercle des acteurs, où il était connu sous le nom de Petunia Winegum.
Pour ne pas finir sur ce qui ternit quand même un peu la réputation du playboy, une anecdote : en 1970, pour asseoir le succès de Département S en Australie, Peter Wyngarde part y faire tournée
promotionnelle. A l'aéroport de Sydney, ce sont 35000 admiratrices en folie
(oui, 35000. Autant que de lecteurs de Fury Magazine au moment où j'écris ces lignes. Mais lui, en une seule
fois, pas en trois ans...) qui l'attendent et se jettent sur lui. Bilan : trois jours d'hôpital pour l'acteur. Quelques jours plus tard, une cinquantaine d'acharnées font le siège de son hôtel.
Trois parviennent à grimper jusqu'à sa chambre et à passer la nuit sur son balcon. Une précision : la chambre était au douzième étage... Même dans sa chambre, l'infortuné homosexuel n'était pas à
l'abri, puisque deux femmes de chambre ont profité de son sommeil pour couper et dérober des poils de son torse et de sa moustache...
Pourquoi est-ce que moi, la seule femme qui se jette sur moi, c'est ma concierge ? Et encore, uniquement si j'ai marché sur son tas de poussière...