« L’Enfant noir », de Camara Laye

Par Encres Noires

C’est clairement un classique de la littérature africaine et le reflet d’une époque. Celle qui précède les indépendances, puisque L’Enfant noir, de l’écrivain guinéen Camara Laye, est paru en 1953, soit cinq ans avant le référendum par lequel la Guinée s’émancipera de la France coloniale. Mais ce roman n’a probablement jamais prétendu à un tel statut. Il décrit avec beaucoup de simplicité et d’humilité l’enfance de son auteur, de Kouroussa où il est né à Conakry où il a étudié, avant de s’envoler pour la France…
Un classique, disais-je. Au même titre qu’Amkoullel, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ, auquel on ne peut s’empêcher de penser en lisant ces « mémoires » qui ne disent pas leur nom. Les deux auteurs témoignent dans ces livres des mutations et bouleversements qui ont marqué l’Afrique au temps de la colonisation ; sans prendre parti, sans pointer du doigt ni forcer le trait ; simplement en racontant leur propre histoire. Mais, et c’est mon second point, ils ne le font pas à la même époque : alors que les mémoires d’Amadou Hampâté Bâ sont parues en 1991, après la mort de l’écrivain, L’Enfant noir est publié alors que Camara Laye n’a que 25 ans… D’où une certaine naïveté, et surtout l’absence relative de recul sur ce qu’il décrit, en comparaison d’Hampâté Bâ, pour lequel beaucoup d’eau avait alors coulé sous les ponts jetés par la France sur le fleuve Niger…
En fait, à la lecture de L’Enfant noir, on s’aperçoit vite que ce roman a été écrit pour un lectorat européen, plus précisément français – et c’est en cela qu’il reflète son époque. A ce lectorat, Camara Laye décrit, de l’intérieur, avec ses yeux d’enfants et ses mots d’adultes, les traditions d’une famille africaine de Kouroussa ; des traditions qu’il sent, avec beaucoup de lucidité, en passe de disparaître. Car le jeune garçon lui-même comprend très tôt qu’il ne suivra pas les traces de son père, forgeron réputé, et qu’il ne percera jamais les secrets qu’il perçoit seulement dans ce monde des grands peuplé de grigris et de pouvoirs, transmis de génération en génération, qu’il constate mais peine à expliquer.
De fait, le jeune Laye est appelé à suivre un autre chemin, autrement « rationnel » : celui de l’école des Blancs, sur lequel il réussit brillamment. Encouragé par son père, qui a compris lui aussi que le monde change inéluctablement ; moins par sa mère, qui aimerait le garder auprès d’elle mais ne peut qu’assister, impuissante, à son éloignement de la société traditionnelle. De cette dernière, Laye passe cependant, avec une fierté teintée d’appréhension, le rituel le plus important, celui de la circoncision, qui consacre son passage à l’âge d’homme. Mais c’est précisément à cet âge, 15 ans, que le jeune homme, partagé entre excitation et tristesse, prend le train pour Conakry afin d’y poursuivre ses études. Plus tard, ce sera l’avion, et la France…
L’Enfant noir
de Camara Laye
1953
en édition Pocket, 221 p., 3,90 euros

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