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Olivia Ruiz Mange Du Pain Avec Son Chocolat.

Par Mélina Loupia
Je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui. Je le dis souvent quand on parle d'elle " C'est le jour où j'ai fait mon détartrage". Et ça, un détartrage, surtout le mien, on ne peut pas le dissocier du reste de la journée. Avoir dans la bouche la sensation d'avoir mangé du béton et découvrir qu'on a la place de faire passer une paille entre les incisives du bas et se demander si la dentiste n'avait tout simplement pas fait péter 2 ou 3 dents, ça ne s'oublie pas. Donc ce jour-là, la fin de l'après-midi sentait bon le trop rare retour à la maison avant 18h et la nuit était déjà tombée sur le parking du magasin. Je m'apprêtais à m'étirer comme un camembert abandonné au fond du chariot dans la file d'attente et mettre la barre de sens interdit sensé barrer l'accès à ma caisse quand l'effet immédiat se produit. En effet, toutes les hôtesses de caisse vous le diront, la conscience professionnelle veut qu'on ne mette cette barrière que lorsque le client se fait rare en ligne de caisse. Ainsi à l'abri derrière ce panneau défensif, l'employée modèle peut alors à son gré soit fermer, soit nettoyer, soit partir pour sa pause de 9 minutes dont 5 seront consacrées à la préparation de la pause en elle-même. Mais curieusement, dès que la barrière paraît, le client pressé, suppliant, au bord du désespoir domestique, la vie en bascule avec la mort dont la caisse ouverte est l'ultime salut surgit de nulle part et brave l'interdit. En l'occurrence, j'étais sensée fermer ma caisse, la compter, nettoyer mon espace, tout verrouiller ainsi que mon SBAM jusqu'au lendemain, pensant déjà au plaisir d'avoir enfin le temps de faire le ménage avant le repas. Quand elle arrive. Accompagnée d'un jeune-homme pas plus vieux que lui et de 5 baguettes de pain emballé dans ses bras comme un Mikado géant, seuls ses yeux m'ont priée de bien vouloir retarder mon départ de 2 ou 3 minutes. Mince, brune des yeux aux chaussures, elle semblait pressée de quitter les lieux autant que moi. Nous décidons par télépathie d'en finir au plus vite. "5 baguettes, à 80 cents, ça fait 4 €, je vous ai fait l'appoint là, dans ma main droite, je vous donne pas la carte de fidélité, pas grave, pas le temps, merci, bonne soirée, à bientôt.-Pareil, merci à vous." Elle n'avait pas passé la première porte du sas d'entrée que mon téléphone sonne. "Et tu lui as pas demandé un autographe? -Pourquoi, elle était en séance de dédicace? -Non, t'es con, elle venait acheter du pain. -Oui, j'ai bien vu, et ça valait la peine de lui demander de signer le double de son ticket? -Même pas pour tes enfants? -Mes enfants s'en foutent qu'elle achète du pain. -Ils sont pas fan? -De pain? Si, malheureuse, j'ai bien fait d'acheter la machine récemment. -Bon, on fera rien de toi, tu le sais hein, ferme ta caisse au moins et casse-toi vite fait avant que je sois obligée de te faire croire que tu pourras récupérer 1/4 d'heure. -Tu es vraiment très urbaine, bonne soirée." J'ai subi le même interrogatoire poussé de la part de tout le personnel que j'ai croisé entre mes 2 caisses et n'ai pas varié ma version d'un iota. Alors que je gagne le parking, la fenêtre de la compta s'ouvre. "Alors, tu lui as pas demandé d'autographe? T'es con, elle vient rarement chez nous.- Pour la 40ème fois en 20 minutes, Olivia Ruiz mange du pain. C'est sûrement pour faire passer tout le chocolat. Bonne soirée."

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