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Faut-il avoir peur des marchés ? / par Alain Sueur

Publié le 09 février 2010 par Argoul

Il était temps de corriger huit mois ininterrompus de hausse et la correction est donc saine. Ne tombons pas d’un excès dans l’autre : à l’euphorie irrationnelle tirée par l’abondance de liquidités d’hier succède une déprime tout aussi irrationnelle sur les dettes d’Etat. Les traders font leur métier quand ils réagissent au jour le jour ; mais les investisseurs moyen terme perdent de l’argent et le sommeil s’ils n’ont pas une vision plus large.

Le double-creux classique de fin de crise devrait survenir, mais c’est trop tôt. Je le vois plutôt en fin d’année ou au printemps 2011. Il pourrait venir de la restriction des liquidités mondiales qui surgirra soit des banques centrales (mais la reprise sera là), soit des investisseurs (d’où les craintes sur la solidité du crédit d’Etat). La note AAA des Etats-Unis n’est pas encore dégradée, le problème pourrait venir plutôt des pays émergents.

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Dans un premier temps, l’indice CAC40 pourrait tomber à 3460, voire 3280, mais rebondir entre fin février et fin mars avec un objectif à 4340 (si l’on passe 4045), avant la purge terminale fin 2010 ou début 2011. La crise financière est passée, la crise économique se résorbe comme prévu, la crise sociale se développe, elle devient politique un peu partout dans le monde. Rien que de normal.

La confiance dans le système est revenue mais les produits toxiques restent, en témoigne l’avertissement sur résultats de la Société Générale au 4ème trimestre. La décision du 4 avril 2009 du Financial Accounting Standard Board américain (sur pression au Congrès de l’American Bankers Association) a modifié la règle comptable pour les produits structurés. Ils sont évalués non plus en prix de marché (offre et demande) mais en modèle d’évaluation (calcul mathématique de la valeur à échéance). La Banque Centrale Européenne a demandé à l’organisme international IASB de suivre. Les produits toxiques restent donc dans les bilans bancaires mais les évolutions du marché ne les touchent plus jusqu’à échéance (5 à 10 ans encore).

La reprise a eu lieu en Asie dès fin 2009. Elle se développe aux Etats-Unis, même s’il faut prendre avec précaution « le chiffre » du PIB au 4ème trimestre. L’effet de base sur le 4ème trimestre 2008 (faillite de Lehman et tergiversations sur le plan de relance dues à la volonté des Républicains aux Etats-Unis de faire peur) masque une BAISSE de 2,4% sur 2009. Les statistiques publiées un mois après leur tombée ne portent que sur 10% des données, ce qui les fait réviser six mois plus tard. Rien ne dit non plus que restockage et mesures fiscales ne touchent pas leurs limites, ce qui ferait retomber consommation et investissement en 2010. La croissance européenne est en retard classique d’au moins six mois, attendue pour fin 2011 peut-être. Les marges de manœuvre des Etats sont très réduites par leur endettement mais la baisse de l’euro, dû à ce même endettement, donne un vrai bol d’air aux exportations.

La hiérarchie des dernières prévisions du FMI à mi-janvier donne une croissance 2009-2011 de 10% par an en Chine, 8% en Inde, 5% au Brésil, Moyen-Orient et Afrique sub-saharienne, 2 à 3% aux États-Unis, 1.5 à 2% au Japon, 1 à 2% en Europe (dont 1.9% pour l’Allemagne, 1.7% pour la France et 1% pour Espagne et Italie). Le Royaume-Uni passerait de -4.8% en 2009 à +2.7% en 2011.

L’Asie est clairement leader ce qui fait peser l’avenir des indices boursiers sur sa santé ! Le yuan chinois reste non-convertible, ce qui est un handicap. Les États-Unis voient le dollar remis en cause comme monnaie de réserve. L’Europe reste stagnante, unie monétairement mais éclatée politiquement, économiquement et fiscalement.

La tendance 2010 reste donc à une reprise lente avec crédit atone, chômage persistant, déclin des soutiens publics, certaine hausse du prix du pétrole et des matières premières et remontée du dollar. La croissance ne reviendra que lorsqu’elle sera supérieure à son potentiel (baisse du chômage et résorption des surcapacités). Ce sera chaotique dans les pays développés, les Etats-Unis restant les plus réactifs.

La crise sociale se développe. Le chômage devient durable en raison du changement de cycle qui exige de se repositionner en technologie, sur les pays qui émergent et nanti du savoir-faire d’avenir. Les jeunes recalés du système éducatif sont condamnés aux petits boulots précaires tandis que les plus de 45 ans sont éjectés par la machine à rationaliser. Les chiffres publiés sont « au sens du Bureau International du Travail » : ne pas avoir travaillé même une heure dans le mois, ne pas être malade ou en stage, être inscrit et chercher activement. Les 10% officiels aux États-Unis sont plus proches de 18%, les 9.5% en France plus proches des 15%. Le chômage touche désormais le cœur des sociétés démocratiques : la classe moyenne. L’année 2009 a vu en France une hausse « officielle » de 30% des chômeurs hommes de plus de 50 ans.

L’assistance, qui permet d’éviter une crise semblable à celle de 1929, touche ses limites avec l’endettement des États : moins d’impôts et plus de prestations sociales - la dette s’envole. En zone euro, le déficit budgétaire moyen était de 1% en 2007 et l’endettement moyen des États de 65% de leur PIB. En 2010, la Commission Européenne évalue le déficit moyen à 6.7% et l’endettement moyen à 83% du PIB ! Les marchés exigent du rendement supplémentaire pour le risque : plus du double du 10 ans allemand pour l’emprunt d’Etat 10 ans grec.

Pour résoudre le problème, trois solutions seulement :
1. réduire les dépenses et augmenter les impôts
(remettre en cause le modèle social) ;
2. laisser filer l’inflation (euthanasie des rentiers et lutte des classes d’âge) ;
3. échanger la dette d’État contre une rente perpétuelle jamais remboursée, assortie d’avantages annexes (amnistie fiscale, paiement des droits de succession, etc.)

Pour faire passer ces trois solutions, qui vont être mises en œuvre peu à peu, les politiciens font les gros yeux à l’Iran et agitent l’éternel bouc émissaire des banques. Cela empêchera de jouer comme avant et limitera les risques systémiques… si le Président Obama réussit à appliquer son projet. Mais il devra passer à la moulinette du Congrès ! Les autres pays feront comme les Etats-Unis car aucun ne peut se permettre d’être absent du marché américain - donc d’ignorer ses lois - car ils restent le premier marché financier de la planète, la première économie mondiale et le plus gros pays consommateur.

En attendant, la Chine suit sa voie autoritaire, autarcique, brutale. Les quotas de crédit avantagent les entreprises d’Etat non rentables, l’absence ou l’abandon des filets sociaux force l’épargne et crée des bulles en actions et dans l’immobilier. Mais le yuan non-convertible limite le risque aux Chinois : qu’est-ce qu’une « bulle » dans une monnaie non-convertible ? Pas un risque de système mais un risque social et politique dans le pays leader de la croissance mondiale…

C’est peut-être au fond ce qui inquiètera le plus les marchés – mais plus tard dans l’année – et qui ne remet pas en cause le lent rebond de croissance des pays développés.

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