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Etat chronique de poésie 804

Publié le 05 février 2010 par Xavierlaine081

804

Me voilà rassuré. Enfin un journal [1], d’importance nationale (et même internationale) qui offre deux pleines pages à un« poète [2] » (et non des moindres).

Mon regard fut d’abord attiré par un titre, reçu par courriel : « Obstination de la poésie », suivi d’un extrait fort alléchant.

Le constat est éloquent : « Le siècle présent (le XXIe) maintenant fermement installé, la poésie continue à perdre du terrain dans les journaux : Le Monde des livres peut laisser passer une année entière sans rendre compte d’un seul livre nouveau de poésie française contemporaine : les librairies, dont la majorité n’a même plus de rayon consacré à ce genre d’ouvrages, et la télévision (mais ça allait déjà de soi au siècle précédent) ne s’y intéressent pas. »

Il convient alors de constater que le genre étant mort, les autorités n’ont plus qu’à refermer le couvercle sur le cadavre encore fumant. C’est ainsi que, lorsqu’une délégation d’écrivains français est envoyée au Mexique ou aux USA, elle ne comprend aucun poète dans ses rangs.

J’ajouterai que, désormais, lorsque la presse ou les médias parlent d’écrivains, la reconnaissance du titre va essentiellement aux romanciers. Il en est de même dans les grands « festivals » littéraires, où les « poètes » ont la portion congrue lorsqu’ils sont invités, ou sont voués aux strapontins, leur genre littéraire étant considéré désormais comme mineur…

Ce constat, alléchant, m’invite donc à entrer chez mon marchand de journaux, et à m’offrir le luxe d’acheter le journal, histoire de lire la suite.

Je lis, je relis : me voici bien empêtré dans d’étranges sentiments.

D’un côté me voici en phase avec le constat, mais…

Mais que faire du reste ?

Il s’ensuit que le ci-devant commence par disculper la responsabilité des poètes eux-mêmes dans ce sombre état des lieux. Au prétexte que la poésie, de tous temps fut une littérature exigeante, il faudrait renvoyer la faute ailleurs : mais vers où et qui ? Pas un mot ne transpire.

On se contente de faire une énumération non exhaustive des genres poétiques en vogue, non sans insinuer que tout ceci n’est que piètre masque apposé sur une poésie inexistante. « La poésie est un genre que l’on s’évertue à voir là où il n’est pas – dans un coucher de soleil, dans le slam, dans les convulsions scéniques d’un artiste – et à ne pas voir là où il se trouve : dans un tête-à-tête du poète avec la langue. »

Certes, mais une langue pour quoi faire et quoi dire ?

Car ce que le poète assène, alimente sa propre plume. Je reprends deux de ses ouvrages [3], lus il y a quelques années. Je m’y plonge, mais c’est une interrogation qui revient, lancinante, à qui s’adressent ces vers ?

Il transpire de cet article à la fois le constat que la valeur marchande de la poésie étant inexistante, et le marché ayant désormais envahit tout l’espace de la création littéraire, renvoyant dans la marge le monde de la petite édition et des revues littéraires, il n’est désormais point de place à un genre dont l’enseignement est nul (mis à part les récitations et les fastidieux décodages des états d’âme du poète mort à travers des mots dont on ne laisse plus la musique s’exprimer), le matraquage publicitaire faisant le reste, détournant les regards vers la bande dessinée ou le roman, jugés seuls à même d’exprimer les soupirs d’un temps glauque.

Non que je me porte juge et, comme notre poète, me mette à décerner les étoiles au-dessus des genres. Il n’est point de genre littéraire ou artistique qui prime. C’est de la diversité que l’histoire tirera le bon grain. L’importance n’est pas de se décerner la palme, mais bien de semer les traces qui feront que le genre poétique, buvant à la source inépuisable des vivants de ce temps, saura laisser à ceux qui s’en viennent.

Bien sûr qu’il est une exigence à la poétique, qu’il est un jeu de la langue, dont nos contemporains, buvant l’indigence linguistique avec leur biberon, scotchés devant leurs écrans télévisuels, sont hélas trop tôt sevrés.

Mais c’est à l’organisation sociale et économique même qu’il convient d’imputer une lourde responsabilité. Et la poésie a pour rôle aujourd’hui de dénoncer ce qui appauvrit le rapport à la langue, ce qui est ferment d’échec et d’incompréhension entre les Hommes.

Car s’il est un gouffre amer, c’est bien celui-ci ; s’il est une difficulté dans les apprentissages, c’est bien dans un plaisir à se jouer de la langue qu’il se situe.

On crée aujourd’hui les citoyens dont on a besoin : il faut qu’ils soient de bons consommateurs.

Que la poésie, avec son exigence de jeu, son jaillissement spontané quoique travaillé, puisse mettre en difficulté les exclus de la culture, c’est une évidence. L’affaiblissement de la part livre dans les pratiques culturelles des français en atteste. Qu’on se méfie toutefois : si la poésie semble bien être la première à prendre le bouillon, il se pourrait que tous les autres suivent…

S’agit-il donc de faire l’éloge d’un « mode d’emploi » poétique en dressant les genres les uns contre les autres ? Ou de réinventer une poétique qui soit en mesure de toucher le public des exclus, de ré-enchanter une poétique du monde en lieu et place d’un politique qui enchaîne et bride les imaginaires, aux seules fins de faire perdurer un système d’oppression ?

Le succès des nombreux blogs d’expression poétique semble démontrer qu’il est une place pour un genre que le marché désigne bien vite comme moribond.

C’est ailleurs que dans les salons huppés, ou dans les amphithéâtres que se forme la poésie de ce temps… Le livre, lorsqu’il paraît, n’en est plus que l’aboutissement ultime, le chemin se faisant sous le regard attentif d’une foule internaute.

L’ego surdimensionné des « poètes officiels » en prend, bien sûr, pour son grade, mais le ferment est là, sous l’humus de la vie.

Que les poètes reconnus perdent encore leur temps à se lamenter sur leur sort, tournant en rond dans leur microcosme, en psalmodiant la sempiternelle phrase : « A quoi bon des poètes aujourd’hui ? » n’est que l’expression d’un milieu qui se rétrécit, incapable de voir que ce qui germe est l’expression d’un temps où le divorce entre l’Homme et la société qui le presse s’affirme au grand jour.

Nous sommes sans doute bien nombreux à œuvrer, sans que le « Poète » ne puisse s’en apercevoir,pour qu’une poétique du monde remettant l’humanité à sa juste place, loin des dogmes marchands, vois le jour…

C’est dans ce terreau que nos descendants viendront puiser la littérature poétique dont ils dresseront l’inventaire, non dans ces infinies lamentations qui n’ont rien à voir avec le vécu d’une majorité de nos contemporains…

Manosque, 5 janvier 2009

[1] Le Monde Diplomatique, n°670, Janvier 2010

[2] Jacques Roubaud

[3] Jacques Roubaud : La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, nrf Gallimard, 1999 ; Poésie : (récit), éditions du Seuil, 2000

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