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La meilleure adaptation pirate de J.D. Salinger ?

Publié le 09 février 2010 par Joachim
Je ne suis pas un grand connaisseur de JD Salinger. J’ai lu Franny et Zooey et ses nouvelles peut-être un peu trop tard pour y être vraiment attachés et j’ai bien peur que pour L’Attrape-cœurs la date de péremption soit passée. Tout cela rajouterait-il encore une couche de mélancolie à un univers qui en déborde déjà ? Peut-être. Mais le plus important dans mon cas, c’est que sans être un grand familier de son œuvre, je crois aussi connaître Salinger par l’irrigation souterraine (et vaguement pirate puisqu’il a toujours refusé toute adaptation de ses récits) de son imaginaire dans le cinéma. Antoine Doinel, les adolescents skolimowskiens qui courent pour mieux oublier que c’est quelque part perdu d’avance, les célibataires volages, buveurs et velléitaires d’Hong Sang-Soo, les génies inadaptés de Wes Anderson me paraissent tous de bien familiers cousins de la galaxie salingerienne. J'ai peut-être tort mais je n'ai pas l'impression d'être totalement dans le faux.
De toutes les approches plus ou moins conscientes ou volontaires pour accommoder son univers au cinéma, celle que je retiens, c’est The squid and the whale (Les Berkman se séparent) de Noah Baumbach (2005), scénariste de Wes Anderson, mais qui offre ici une version dégraissée et dénuée de fétichisme, du cinéma de son alter ego.
Histoire simplissime. Un couple d’intellos new-yorkais se sépare, sur fond de rivalités familiales et professionnelles. Chacun des deux fistons prend parti : l’aîné pour le père, le second pour la mère, en même temps qu’ils vivent plus ou moins bien leur adolescence. In fine, pour ce film qui pourrait s’appeler "Dans Brooklyn" ou "Dans Manhattan", le seul film qui explore vraiment le pitch de Dans Paris (aussi une adaptation pirate de Franny et Zooey – on n’en sort pas) : « le portrait d’une famille dont la devise serait Prends la peine d’ignorer la tristesse des tiens ».

Je ne sais pas si cela paraît évident à la vision de ce simple extrait, mais j’y trouve un art du découpage très proche de la prose de Salinger : tendu, instable, pris entre deux extrêmes mais étonnamment fluide. Le malaise y côtoie sans cesse l’apaisement, la gaucherie n’est qu’une autre face de la douceur et la cruauté l’autre versant du réconfort. Sur le plan cinématographique, cette ambivalence des sentiments se traduit par des coupes de montage à léger contretemps (souvent un poil trop tôt), provoquant une petite frustration mais donnant de fait une autre acuité aux gestes et aux regards, parfois brisés dans leurs élans mais qui, se relayant les uns les autres, atteignent étonnamment leurs cibles. Je ne sais pas si vous serez d’accord avec moi, mais je vois dans ce film étonnamment resserré le même art du contraste et de la suspension que dans la prose de Salinger, une phrase qui vient nous cueillir par surprise, qui sait ménager l’art du contre-pied (cf la fin glaçante d’Un jour rêvé pour le poisson-banane), un contrepied minimal, parfaitement logique dans sa retenue et pourtant totalement inattendu dans ses effets.

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