Professeur honoraire de physique à l'Université Libre de Bruxelles (Belgique), Edgard Gunzig, dans cet ouvrage souvent un peu aride (par la force des choses), se
penche sur le problème de la genèse de notre univers.
Et si ce dernier n'était qu'un "maillon" dans une "chaîne" sans interruption de morts suivies de renaissances ?
Voilà qui donnerait au mythe du Phénix une singulière force intuitive !
D'après la cosmologie officielle, celle dite du "modèle standard" initiée par les grandes découvertes de la physique du XXème siècle (relativités einsteiniennes, théorie quantique de Bohr,
Eisenberg et Schrödinger, constatation de l'éloignement progressif des galaxies les unes par rapport aux autres, ainsi que découverte du rayonnement magnétique fossile homogène qui baigne
l'ensemble de l'univers) notre univers serait une sorte de ballon gonflable et gonflé (de plus en plus gonflé) qui aurait pour origine une seule et unique explosion cataclysmique appellée Big-Bang,
terme désormais devenu tout à fait familier au grand public. Puis, peu à peu, à la suite de cette explosion originelle, la lumière (photons), la matière/énergie ( quarks> électrons, neutrons,
protons>noyaux atomiques, puis atomes), le temps et l'espace, d'abord tous agglutinés ensemble, auraient pris leur essor et leur indépendance en se dégageant de la boule de feu opaque
primordiale, au cours d'une phase qu'on appelle "l'expansion-refroidissement de l'univers", qui donna lieu aux galaxies (tout cela dit très schématiquement).
Pourtant, ce modèle standard, à présent, bute sur un problème conceptuel de taille : l'origine du Big-Bang reste une "singularité", c'est à dire un simple point purement abstrait, purement
mathématique, et, au-delà d'une certaine limite désignée comme "Mur de Planck", les scientifiques ne peuvent pas se représenter le début de l'univers.
Comment peut-on concevoir que quelque chose ait été créé "à partir de rien" ?
Et puis, il y a aussi les problèmes que pose la théorie quantique : son "incertitude", due à la "dualité onde-particule".
Ce livre s'attache surtout à une nouvelle théorie quantique, la "théorie quantique des champs", qu'il confronte à la très classique relativité générale pour nous proposer rien de moins qu'une
"nouvelle cosmologie".
Foin de Big-Bang apocalyptique, mais plutôt, un vide primordial qui serait "l'état de base dont la matière émerge". Autrement dit, le "vide quantique", sorte de plasma constitué, en fait, par de la
matière virtuelle qui, pour passer de cet état à celui de matière réelle (particules élémentaires) nécessite d'être "excité" grâce à un apport d'énergie. Les particules sont, ainsi, des "états
excités du vide" (lequel n'est pas vide du tout, mais simplement d'une autre nature), de simples "épiphénomènes" à la surface de ce dernier qui les émane. "les particules sont au champ quantique ce
que les sons peuvent être à une corde musicale", nous dit poétiquement l'auteur; "sans voir la corde, nous percevons les sons".
Gunzig continue : "les [diverses] particules sont comme les harmoniques différents que l'on peut produire avec une même corde, selon la façon dont on l'excite. A ceci près que le champ quantique ne
connait pas de position de repos. Il présente toujours une vibration résiduelle : le vide quantique".
Etrange vide, donc, qui "contient la matière" et est contenu par elle !
Si nous ajoutons à cela le fait que "tout système physique abandonné à lui-même" a une tendance fondamentale à "augmenter spontanément son désordre" (second principe de la thermodynamique) ou, dit
autrement, son entropie et que, par voie de conséquence, "l'évolution spontanée et irréversible d'un système s'accompagne d'une entropie croissante", nous comprenons que le "coût de la transition
du vide à l'univers matériel [...] est entropique et que l'orientation de la fameuse "flèche du temps" résulte, précisément, de ces phénomènes liés au vide quantique : instabilité et "croissance
irréversible de son entropie".
Alors ? "ce phénomène cosmologique de matérialisation du vide, exempt de toute singularité mathématique, pourrait-il décrire la phase primordiale de notre histoire cosmologique ? Une instabilité
(fluctuation) du vide quantique se substituerait-elle alors à la (si gênante) singularité mathématique de "notre" Big-bang ?".
C'est là que nous débouchons sur l'idée que cherche à défendre ce livre, celle de "la cosmologie autosuffisante", laquelle postule un univers qui surgirait "d'emblée du vide [...] dans un état
spontanément inflatoire" (c'est à dire sous forme de "boule de feu primordiale" démesurément dense).
Mais, ceci posé, l'ouvrage s'aventure encore plus loin : "La question de l'origine de ce vide quantique pré-existant paraît se substituer à celle de l'origine de l'univers. Ce vide primordial
existait-il depuis toujours ou est-il lui-même le produit d'un état antérieur ? Le mystère de la cosmogenèse semble donc rester intact, sauf si l'état dont
émerge l'univers est engendré par l'univers lui-même ! Sauf si le vide primordial et l'univers qu'il produit s'engendrent mutuellement dans un vaste bootstrap géométrico-matériel à l'échelle
cosmologique.
Autrement dit, la question est la suivante : les conditions initiales qui produisent l'univers pourraient-elles s'identifier aux conditions finales qui
résultent de son évolution ? L'expansion de l'univers le conduirait-elle inexorablement vers le vide qui lui a donné naissance ?"
Il s'agirait là d' "une vaste épopée d'auto-engendrement de l'univers" qui donnerait raison tant à la croyance hindoue en de grands cycles cosmiques qu'en le mythe occidental de l'Eternel Retour
.
Il s'avère que le vide a pour propriété d'être "excité par l'expansion de l'espace qu'il engendre". De plus, " l'année 1998 est celle du coup de théâtre : la découverte expérimentale de
l'acccélération de l'expansion de l'univers, une découverte cosmologique majeure [...] les dernières observations semblent confirmer que ce passage au régime accéléré se serait produit il y a
environ cinq à six milliards d'années". " l'accélération de l'expansion de l'espace précipite le rythme de dilution de la matière, ce qui accentue l'influence de l'énergie du vide, laquelle
accroit, en retour, l'accélération de l'expansion qui conduit vers un univers au sein duquel la matière devient désespérémént raréfiée".
"L'accélération de l'expansion ressent de moins en moins la présence du milieu matériel, et cette expansion ne diffère plus qu'imperceptiblement de l'expansion exponentielle régie par la seule
énergie du vide; c'est une inflation analogue à celle qui a donné naissance à l'univers, elle ne peut donc que reproduire les mêmes effets : faire
ressurgir un univers. L'univers agonisant se rejuvénilise au sein de ce paysage cosmologique quasi vide, froid et inhospitalier. En d'autres termes, "l'univers (grâce à "l'excitation du
champ quantique par l'expansion de l'espace", cette propriété essentielle)
réémerge de ses débris [...]. C'est la renaissance d'une aventure [...] similaire à celle qui l'a précédée". "processus cyclique éternel", donc.
"Dans cette optique, l'histoire cosmologique serait l'aventure infinie d'un univers qui se réplique sans
cesse [...] en prenant appui sur ses propres débris".
Théorie séduisante, non ?
Mais attendez, ce n'est pas fini : elle se prolonge en proposant l'hypothèse d'une véritable "arborescence d'univers-bulles". Gunzig s'explique : " L'univers global ou méga-univers , dont nous ne
serions qu'un maillon, ne se limiterait pas alors à la simple succession linéaire infinie d'univers qui se répliquent d'une génération à la suivante". Non, il aurait une structure autrement plus
complexe encore, qui consisterait en " un patchwork fractal de bulles d'univers ayant atteint des degrés divers de maturité et potentiellement capables
d'engendrer de nouvelles bulles d'univers [...] . Tous ces univers seraient causalement déconnectés par l'effet de leurs inflations primordiales, leurs histoires individuelles
n'interfèreraient donc pas, et leur présence n'affecterait pas l'évolution de notre propre univers-bulle". Le méga-univers, quant à lui, pourrait également "se ramifier sans fin vers le futur comme
vers le passé".
A quand, les "retours vers l'avenir" et les "départs vers le temps jadis" ?
Un magnifique ouvrage de science, pour public averti, tout de même.
Non passionnés, s'abstenir.
Passionnés, vous ne le regretterez sûrement pas. Cela vous permettra de rêver tout à loisir...et de vérifier à quel degré science et poésie peuvent se rejoindre (dans une complicité secrète).
P.Laranco.