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"racialisation" une nouvelle façon de définir l'étranger.

Publié le 11 février 2010 par Valabregue

Un changement s’opère en France dans la façon de définir l’étranger, nous dit Didier Fassin dans son ouvrage publié aux éditions la Découverte. Livre, fruit d’une enquête de quatre ans d’une équipe pluridisciplinaire de 40 personnes.

Sa thèse principale est que ne sont plus seulement des frontières géographiques et juridiques de nationalité mais de frontières immatérielles définies selon des critères sociaux, culturels, ethniques ou même raciaux. Un citoyen américain parlant mal la langue vivant en France sera considéré comme moins étranger qu’un Français d’origine malienne ou qu’un français portant un nom arabe.
En fait la langue française est un peu pauvre pour décrire ce qui se passe. En anglais « boundary » désigne les limites symboliques tracées entre les groupes humains et « border » la  ligne territoriale.

Depuis une trentaine d’années, la « question immigrée » et la « question raciale » interagissent. Ce phénomène, pas vraiment nouveau puisqu’il a des précédents à la fin du 19 ème siècle, est revenu en force à mesure que les frontières extérieures se fermaient à l’immigration tandis que les frontières intérieures se consolidaient. En 1974 on arrête de recruter des travailleurs immigrés et en 1984 on restreint le regroupement familial. Depuis lors, on exclut de plus en plus de catégories d’étrangers, de demandeurs d’asile et d’étudiants. Dans le même temps, les enfants de la deuxième ou troisième génération sont de moins en moins en moins considérés comme français. Les émeutes de 2005 à Clichy ont pointé du doigt l’articulation entre les deux types de frontières.

Depuis lors il y a, pour Didier Fassin, une « racialisation » des discours. « Racialisation » qui  comporte des dimensions différentes selon qui regarde.

Ex, quand on regarde une équipe de football en fonction du nombre de joueurs non blancs.

  • Il y a celui qui est « racialisé » et qui inverse le stigmate en revendiquant ce par quoi on le distingue, une sorte de reconnaissance. Cela donne naissance à des réponses politiques exprimées entre autres par le CRAN, conseil représentatif des associations noires, qui ne sont pas du tout des demandes de communautarisme comme on essaye de le faire passer.
  • Il y a l’observateur qui essaye d’objectiver.

L’intérêt de parler de « racialisation » est de quitter le registre de la dénonciation et de comprendre ce qui est en jeu lorsqu’on produit et utilise telle ou telle catégorie.

Le débat sur l’identité nationale ou européenne, enterré au bout de trois mois par Fillon, relève en creux une « racialisation » blanche manifeste. Ce sont les mêmes qui stigmatisent les noirs ou les musulmans qui se plaignent d’un racisme anti-blanc.

Bien évidemment la « racialisation » existe dans tous les continents, mais elle est exacerbée en Europe.

Est-ce que les phénomènes de stigmatisation des musulmans depuis 2001 sont de l’ordre de la « racialisation » ou du racisme ? Si l’on s’attaque aux caractéristiques physiques ou biologiques, la réponse est évidente. Sans doute la fixation sur l’islam, tout en jouant de ressorts racistes, relève plutôt de l’instrumentalisation politique. On choisit par exemple, en Suisse sur les minarets, en France sur la Burqa, un faux problème et l’on désigne des boucs émissaires qui permettent de susciter les inquiétudes pour détourner des anxiétés fondées sur la situation économique.
La « racialisation » est donc une notion construite qui a vraiment pour but de décrire certaines réalités sociales. Ces réalités sociales sont parfaitement décrites lorsqu’on interviewe les personnes victimes de discriminations raciales.
Bien évidemment la désignation d’un ministère de l’Immigration (non dénoncée, si nos souvenirs sont exacts, par quelqu’un comme Simone Veil) alimente l’imaginaire d’une « France éternelle » qui exclut les immigrés et leurs enfants.

En se niant comme pays d’immigration et en s’inventant une identité différente de ce qu’elle est, la France met en péril sa cohésion et son identité (nous aimerions bien que ceux qui ont voté Sarkosy pour des raisons X ou Y, au moins s’en rendent comptent).
La politique, disait Hannah Arendt, c’est « ce qui traite de la communauté, de la réciprocité d’êtres différents ».


Nous faisons évidemment partie de ceux qui se sentent inspirés par cette responsabilité et qui même tentent d’étendre la notion de différence et de la considérer comme la question centrale permettant  de fonder « la voie de l’individu attentionné », voie majeure permettant d’envisager une sortie par le haut des crises que nous visons.

A notre avis, le changement ne s’opère pas seulement dans la façon de définir l’étranger mais  dans la façon de parler de l’Autre. Façon qui menace grandement la notion même de démocratie.


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