Depuis de longues années, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti
constitue un impossible défi pour tous ceux qui ont eu à assumer sa
gestion. Ce centre hospitalier est un microcosme de la résistance au
changement qui caractérise certaines institutions haïtiennes et dévore
les plus beaux projets et autres plans de réforme conçus en vue de sa
modernisation effective.
L’HUEH passe aussi pour être un « cimetière
» de directeurs médicaux et d’administrateurs. Comme partout au pays,
les conflits sont souvent personnalisés et les questions structurelles
souvent délaissées pour des opérations « dechoukay » de responsables
accusés de tous les péchés d’Israël, alors qu’en fait il s’agit de
montages plus ou moins réussis destinés à jeter de la poudre aux yeux
du grand public. Et les professionnels de la victimisation savent
toujours, au milieu de ce désastre, comment tirer leurs marrons du feu
et faire bon commerce des « sept plaies » de l’HUEH.
Toujours est-il
que plus cela change, plus c’est la même chose, et cet hôpital
universitaire est resté, au fil des années, un symbole indépassable de
la déroute de la modernité et de l’efficience administrative dans notre
pays. Un cas d’école qui pourrait passionner les sociologues, curieux
de comprendre cette entité complexe, véritable concentré du
sous-développement institutionnel et d’agitation chronique. Un « virus
» mutant qui résisterait à toutes les médications et qui, en tout cas,
intéresse encore, heureusement, quelques professionnels désireux de
redonner quelques lustres à un centre hospitalier qui, selon certains
aînés, a connu de meilleurs jours.
À la fin du mois de septembre, se
sont tenus, au Ritz Kinam à Pétion-Ville, deux jours de
réflexion-diagnostic autour de l’Hôpital universitaire. Impressionnants
dans leurs prestations respectives, les principaux médecins de service
ont « opéré » à cœur ouvert ce « grand malade » qu’est l’ HUEH. Et, en
les écoutant, je me suis dit que c’est vraiment dommage qu’autant de
praticiens chevronnés du service public soient réduits pendant si
longtemps à fonctionner dans un « mouroir ».
Les nombreux problèmes
de l’hôpital étaient exposés en toute transparence et des projections
sur power point présentaient des images accusatrices pour de trop
longues années de gestion politicienne et démagogique du plus grand
centre hospitalier du pays. J’ai pensé que ce fonctionnement était une
atteinte permanente au droit de ce peuple à la santé.
Vous me direz
que tout ceci était connu depuis belle lurette, mais, croyez-moi, cela
prend un tout autre relief quand l’exposé est fait par les praticiens
eux-mêmes, et pas seulement par des reporters.
Des femmes et
hommes formés dans les meilleures universités d’ici et d’ailleurs et
qui ont vu et expérimenté des hôpitaux universitaires demeurent
impuissants à changer la donne dans leur propre pays en raison du
manque criant de moyens. Tout ceci constitue purement et simplement une
terrible hémorragie qu’une raison d’État à prétention démocratique se
doit d’arrêter.
Heureusement que ce défi ne laisse pas
indifférente l’actuelle équipe dirigeante de l’hôpital qui, selon les
dires du Dr Lassègue, bénéficie du soutien des plus hautes instances de
l’État. Ce qui laisse augurer des changements sensibles dans cette
entreprise publique hautement stratégique pour la santé de la
population.
Depuis quelques mois, des plans de redressement sont
activés et des « task force » constitués pour des plannings
stratégiques à court, moyen et long termes. Et, surtout, dans un bel
élan de coopération, de nombreux anciens responsables participent à
certaines sessions, comme en témoignent les assises récentes au Ritz
Kinam.
Le cas de l’HUEH ne semble pas incurable… mais ces
professionnels de l’actuelle équipe administrative ne pourront réussir
sans un effort de l’ensemble de la société. Car le jour où cet hôpital
changera, ce sera la fin d’une routine mortifère et le début d’un
changement plus global pour tout le système de santé.
Roody Edmé