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La Grande Désillusion

Par Mélina Loupia

La vie, c'est rien qu'une scie. Egoïne. Avec des dents, mais en plus grand les dents. Si ça avait été vrai que c'était un fleuve, tranquille ou pas, encore, j'aurais préféré. Du moment qu'on sait nager, ma foi, on galère, on dérive, mais on flotte, la tête hors de l'eau, avec des gilets, des bouées, des gens, des planches de salut. Et quand c'est des rapides, on bouche le nez et on retient le souffle. Mais on s'en sort. Les dents de la scie, à chacune d'elles, ça coupe, ça taille et ça fait mal. Et si on tente d'enlever la croûte, c'est plus lent à cicatriser. Des plaies, des entailles, des coupes sombres, j'en ai mon lot. Comme tout le monde, ni plus ni moins.

Les amis, les amours, les emmerdes, à chaque fois, une dent plus acérée que les autres. Un peu comme on laisse l'enfant se brûler les doigts pour qu’il n’y revienne pas. Je pensais, à mon âge, après toutes les cicatrices, ne plus y revenir. J'avais tort. "Je fais trop confiance aux gens." C'est ce que j'ai dit à Copilote hier soir, dans le bain. C'est souvent dans le bain que ma philosophie fait surface. Certainement Archimède qui fait le con à avoir toujours raison. Mais il pourrait prévenir que tout corps plongé dans l'eau ressort mouillé aussi, en plus de subir une poussée verticale de bas en haut. C'est ballot comme chez moi, la tendance est à l'inverse. Disons que certes, je subis la poussée du bas vers le haut, mais une fois en haut, je pense encore qu’on ne peut pas tomber bien bas après avoir été portée si haut. "Ah, ça, c'est clair que la naïveté dont tu fais preuve me fout parfois la trouille." C'est ce qu'il m'a répondu. Comme à chaque fois que je descends brutalement de mon petit nuage tout blanc, tout coton, celui sur lequel il est si bon de s'étendre, dans la certitude que les gens et la vie sont bons comme la romaine. Portée haut, je l'ai souvent été, comme la plupart d'entre mes congénères. Enfant, quand j'ai su marcher, j'ai été congratulée. Ensuite, quand je me suis ramassée sur mes dents, mes coudes, mes genoux ou toute entière dans les orties, j'ai vite regretté de savoir marcher. Pourtant, je leur avais fait confiance. Adolescente, quand j'ai enfin su maîtriser mes hormones, j'ai été félicitée de devenir enfin adulte, dans les normes. Et quand immergée dans ce monde de grands, les petites erreurs de jeunesse ont fait tâche dans la vie des grands, ils ne m’ont pas loupée, mes aînés. Pourtant, je leur avais fait confiance.

Aujourd'hui, et pas plus tard que ce matin, une nouvelle fois, on me fait réaliser que j'ai encore manqué de discernement quant aux gens en lesquels j'avais mis une partie de ma vie. En clair, et parce que maintenant, j'en ai plein le bob: Cet été, au début, j'ai fait confiance à ce marchand de marchands, motivée par l'accueil enthousiaste de mon projet. Cet été, au milieu, j'ai fait confiance à cette maison d'édition, yeux quasiment clos, mains ouvertes, cœur libéré. Cet été mais sur sa fin, j'ai fait confiance à ce groupe de presse, qui répondait enfin à mon désir d'élargir ma zone de rédaction. Cet automne, en plein dedans, plus précisément entre hier matin et ce matin, comme quoi, en quelques heures, le vent peut se lever violemment et tout ravager, cet abus de confiance m'est revenu en pleine face. Touché l'orgueil, coulée Mélina. Le marchand de marchands m'envoie un mail type dans lequel il est fier comme tout de me présenter son site relooké, en me faisant l'honneur de me demander de lui confier mes premières impressions. Je suis soulagée de voir que mon projet, sensé avoir été la révélation de l'année en matière d'idée, n'a pas été retenu, mais que toutefois, on me remercie d'y avoir pensé. La maison d'édition, j'en ai fait mon deuil, elle répercute maintenant ses travers sur ses partenaires, dont les clients mécontents reportent la colère sur moi, finalement première et dernière interlocutrice. Je vois combien la rançon du succès est d'autant plus difficile lorsqu'on a cru à ce succès tel qu'on a su me le promettre immense et pérenne.

Le groupe de presse, quant à lui, finira par me dire que je l'ai bien cherché et que ce n'est pas maintenant que je dois m'apercevoir que mes frais dépassent mes rétributions, que je suis la fille de mon père ou que je n'ai pas su m'imposer auprès de la communauté que je suis sensée couvrir. Il va de soi qu'afin de ne pas risquer par dessus le marché du travail, d'être accusée de diffamation, je ne cite aucun des protagonistes qui m'ont fait monter si haut, sur la dent de la scie, en se gardant bien de ne pas me prévenir que la dent était dure aiguisée et vertigineusement haute. Après tout, c'est ma faute. Si j'avais su rester en bas, ou m'harnacher un peu avant de monter, peut-être en aurait-il été autrement. Par conséquent, je n'ai qu'à m'en prendre à moi seule. La dinde, c'est moi, farce comprise, de mes propres mains. Ce matin, j'espère que cet excès de confiance en l'homme va enfin me lâcher la grappe. J'en ai marre de la grande désillusion.


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