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Siu-lan Ko, artiste engagée tolérée à Pékin… censurée à Paris !

Publié le 12 février 2010 par Kamizole

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J’ai reçu dans l’après-midi un courriel outré de Pierre Ballouhey qui a piqué ma curiosité : «J’ai vu ça, hier, c’est de la pure connerie et du faillotage éhonté de la part de ce dirlo. Les directeurs des Beaux-Arts sont souvent des planqués, pantouflards, carriéristes qui connaissent mal leur sujet. Je connais bien cette façade et je peux te dire qu’à une époque, il y en avait des banderoles… C’est ça qui les effraie encore, c’était l’imprimerie de Mai 68. Sarko et ses lieutenants sont terrorisés par cette époque. Enfin je crois. Ils font une belle pub à cette pauvre plasticienne conceptuelle qui n’en mérite pas tant».

Vous pensez bien que je suis allée incontinent, toutes affaires cessantes, explorer les liens qu’il m’indiquait. Le premier conduit à un article de Télérama Une artiste chinoise censurée… à Paris où Erwan Desplanques n’est pas moins outré, itou chez Sophie Verney-Caillat pour Rue89 Une artiste chinoise censurée par les Beaux-Arts de Paris. J’ai complété ma lecture par deux articles de Libération Travailler moins…censurer plus et Aux Beaux-Arts, pas d’expo lèse-Sarko. Titres bien évidemment iconoclastes !

La photo de la façade des Beaux-Arts illustre le corpus delictis. En France, il est interdit de se moquer de Nicolas Sarkozy. Tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir tremblent dans leur calcif… Henry-Claude Cousseau, directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris n’échappe pas à la règle. Il est bien obligé de reconnaître le motif de la censure : «Pour toute explication, il a dit que cette oeuvre se moquait du président français».

Et alors ? Serions-nous revenus subrepticement à l’époque du Roi Soleil, de son bon plaisir et des lettres de cachet ? Maintenant, nous pourrons nous moquer non seulement de Nicolas Sarkozy – profitons des derniers instants de liberté sur la “Toile” ? – mais aussi de Cousseau. Bon petit larbin mais pas beaucoup de cou…rage !

C’est bas, vil, du dernier mesquin et l’honneur passé aux chiottes mais c’est comme ça. Nicolas Sarkozy les tient par la barbichette soit que leur nomination dépende de lui, soit qu’ils dépendent de l’Etat pour des subventions ou autres questions de gros sous. C’est le cas pour les Beaux-Arts : «l’œuvre gênait des personnalités du ministère de l’Education, ce qui est malvenu car ce ministère doit bientôt décider du budget annuel de l’Ecole des beaux-arts» affirme sans ambages Siu Ian Ko.

Cousseau jugerait son travail trop «explosif» pour rester in situ, lis-je ce soir sur Le Monde A l’Ecole des beaux-arts, une artiste qui dérange. S’il y a bien quelque chose qui va “exploser” à la face du monde c’est sa belle connerie couarde. Qui, grâce à la magie du net, va faire le tour de la planète en moins de temps que je passe à taper ces quelques mots.

Cousseau a le toupet de justifier son geste en faisant passer Siu-lan Ko pour «une étudiante»… Mais il est de la race de ceux qui “osent tout”. A 33 ans – l’âge de Jésus quand il fut crucifié ! - c’est une artiste confirmée et reconnue internationalement. Elle connaît effecti-vement les Beaux-Arts de Paris pour y avoir passé deux ans en résidence.

Cette “installation” était prévue de longue date dans le cadre de l’exposition collective à la connotation délibérément utopique – «Un week-end de sept jours», le super pied, quoi ! mais il est bien évidemment interdit de rêver en Sarkozie… il n’y a que le flouze qui fasse bander le Troll de l’Elysée – où devaient être présentées du 13 au 21 février des œuvres d’étudiants du Royal College of Art de Londres et de Lasalle College of the Arts de Singapour.

L’Ecole des Beaux-arts prétend que l’artiste avait accroché son oeuvre à l’extérieur «sans que la direction de l’établissement en soit informée» : «Sans titre, sans nom d’auteur, sans mention relative à l’exposition, le caractère de l’oeuvre se réfère explicitement à un contexte politique. Son auteur a souhaité, par la présentation sur la voie publique, utiliser spectacu-lairement comme médiation de son message un bâtiment de l’Etat voué à l’enseignement».

Comme le souligne Pierre Ballouhey, des banderoles, l’Ecole des Beaux-arts de Paris en a connu bien d’autres ! Je n’ai pas le souvenir qu’entre 1968 et 1969 où elles continuaient de fleurir, le général de Gaulle eût même imaginé de demander qu’on les fît disparaître.

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Comme nous sommes habitués au mensonge permanent, je crois plus volontiers la thèse de Siu-lan Ko : les Beaux-Arts avaient donné sans ambiguïté leur accord à l’installation, qui était prévue depuis décembre. «Le pire est que tout était calé depuis un an, le catalogue imprimé, ils n’ont pas découvert ça hier».

J’apprends par ailleurs que l’on a proposé à la commissaire d’exposition Clare Carolin - du Royal College of Art de Londres… voilà encore de quoi améliorer l’image de Nicolas Sarkozy à l’étranger

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- de rapatrier les bannières à l’intérieur de l’école. Elle ne pouvait prendre une telle décision sans prévenir l’artiste. Mais elle n’en a pas eu le temps puisque lorsqu’elle est sortie de la réunion, l’œuvre était déjà démontée… Application de la «méthode Sarko» : faire semblant de négocier et passer en force.

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Ils ajoutent – les pauvres taches - que «cette présentation non concertée de l’oeuvre, sans explicitation à l’attention du public, pouvait constituer une atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliser l’établissement». Je m’empresserais de les rassurer : le public est très certainement moins con qu’eux. Pas besoin de dessin – c’est le cas de le dire dans le temple de l’art – pour comprendre l’intention de l’artiste.

Faire réagir en partant du slogan de campagne de Nicolas Sarkozy, les quatre mots – travailler, plus, gagner, moins – inscrits en blanc sur de grandes bande-roles noires permettant toutes les combinaisons : Sophie Verney-Caillat dans son article de Rue89 en dénombre dix. Comme je n’ai nulle propension à la paraphrase, je vous laisse y aller voir.

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Siu-lan Ko est une artiste engagée, passionnée par les signes, les idéogrammes chinois, les slogans de propagande : elle travaille sur les slogans, interroge leur sens, les manipule et les détourne. Elle explique avoir cherché à évoquer «à la fois la question du travail et de la propagande, dans un esprit universel» et s’être «bien sûr inspirée du slogan du candidat Sarkozy». Quel crime !

Paradoxalement, elle est libre de critiquer Hu Jintao à Pékin mais détourner ou réinterpréter un slogan de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy relèverait d’une intolérable subversion politique qui mérite la censure. Dernièrement, une de ses banderoles exposée à Pékin affichait «Ne pensez pas trop» ! Certainement plus iconoclaste qu’un jeu sur les mots du slogan de Nicolas Sarkozy. Voire… Avouez que pour une Chinoise, même élevée à Hong Kong, le choc est plutôt rude !

Elle aura au moins pris en accéléré la mesure exacte du sarkozysme comme “sarkophage des libertés”… Elle a en effet tout compris de l’essence du sarkozysme et de ses rouages. «Cet incident reflète bien le climat de peur politique dès qu’on touche à Sarkozy en France, et à quel point la liberté d’expression est bafouée dès que des intérêts économiques sont en jeu».

Elle tombe de haut tant une telle censure au pays des droits de l’homme lui paraît à peine croyable. «Je trouve dur de découvrir que cette forme de censure brutale puisse se produire en France. Il n’y a même pas de place pour la discussion, tout se passe dans mon dos et celui de la commissaire. Encore plus dur que cela se produise dans la plus ancienne école d’art française, où l’on est supposé encourager l’expression la plus libre des artistes (…) Dur de croire encore que les enjeux économiques et politiques l’emportent sur toute autre préoccupation. Cela montre à mes yeux dans quel climat conservateur est tombée la France de Sarkozy, et à quel point celui-ci fait peur».

Oui, c’est bien cela : Nicolas Sarkozy gouverne par la peur. Il fait peur à ceux qui lui doivent quoique ce soit ou dépendent de lui d’une manière ou d’une autre. Comme il fait peur aux citoyens qui n’ont pas encore “vendu leur temps de cerveau disponible” à TF1 et Sarko-coka-cola. En un mot comme en cent, Nicolas Sarkozy est un dictateur. Aussi méfiant et parano que pouvait l’être Staline ou Hitler.

J’avoue que je ne suis pas une fan de l’art contemporain, je l’ai déjà dit souventes fois, au risque de me faire traiter de conne, mais oui ! Peu m’en chaut car si je ne puis exprimer mes goûts librement sur mon blog sans me faire insulter, je retourne le compliment.

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Je suis néanmoins séduite par cette installation de Siu-lan Ko. A plusieurs titres. D’abord, parce que je suis comme elle vivement intéressée par les mots, leurs multiples sens possibles, les agencements, leur tritu-ration, leur démontage. Leur usage symbolique dans les slogans publicitaires ou politiques. Comment et pourquoi touchent-ils – manipulent - les esprits ?

De surcroît, la notion de travail et de revenus est au centre du sarkozysme triomphant. L’argent alpha et oméga de toute la vie : jamais “perdre sa vie en la gagnant” – encore un slogan ! - n’aura été aussi vrai. Aborder ces questions du côté de l’utopie ne peut être que salutaire et nécessaire. Paul Lafargue – gendre de Marx qui ne devait guère apprécier son «Droit à la paresse» ! en fait, droit aux loisirs et à la culture – fait partie de ces penseurs socialistes utopistes du XIXe dont certains méritent d’être remis au goût du jour.

J’aurais très certainement l’occasion d’y revenir mais faute de temps et pour ne pas alourdir cet article, je ne peux que vous conseiller de lire un article fort intéressant de Philippe Cohen qui traite le sujet sur Marianne2 Le socialisme peut-il renaître ? Demandez-vous plutôt : le socialisme est-il de gauche ?.

Il part du constat du sociologue Philippe Chanial, pour souligner le divorce intervenu entre gauche et le socialisme : «s’il y eut bien un mariage de la gauche et du socialisme, l’idée de leur divorce n’est pas aujourd’hui une simple hypothèse d’école. Third way ou New labour en Grande Bretagne, Neue-Mitte en Allemagne, Partido democratico en Italie, la procédure de séparation des corps est largement engagée».

Il suffit de lire que François Hollande remet une fois de plus le couvert en affirmant qu’il faut augmenter la durée de cotisation pour pérenniser les retraites. Lui aussi nous veut plus morts que vifs ! Il nous survivra car il n’aura pas beaucoup travaillé dans sa vie.

Enfin, je suis séduite par le dépouillement de cette installation. La simplicité même. Des lettres blanches sur fond noir. Quelque chose qui me rappelle le «style Shaker» en matière d’architecture et de mobilier. Sobriété et pureté des lignes que j’adore. Rien à voir avec le “bling-bling”

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En protestation, Siu-lan Ko invitait tous ceux qui la soutiennent à aller ce vendredi devant l’école, à l’heure du vernissage (vers 18h) : «Apportez avec vous deux bannières, imprimez-les au format que vous voulez, et faites votre propre version de ces bannières avec les 4 mots : Gagner, Travailler, Moins, Plus (en les collant dos-à-dos). Nous aurons une mer de bannières dehors, dedans, dessus, dessous les Beaux-arts». Je ne saurais dire ce qu’il en a été.

Je lis sur 20 minutes Polémique autour de l’œuvre d’une artiste chinoise que Bertrand Delanoë proposerait à Siu-lan Ko d’héberger son œuvre au “104″ ou Centquatre, lieu ouvert sur l’art contemporain entre le 104 rue d’Aubervlliers et le 5 rue Curial, dans le XIXe arrondissement.

Le maire de Paris y voit une bonne occasion d’enfoncer non pas des banderoles mais quelques banderilles dans le cuir de Nicolas Sarkozy. Les deux mots ont le même sens : bannière. Le premier venant de l’italien “bande-ruola”, le second de l’espagnol “bandera”. Il ne s’en prive pas : «Cette censure objective est particulièrement inquiétante car elle remet en cause le rôle et la légitime expression des artistes dans la cité et dans notre vie collective (…) Nos institutions culturelles doivent impérativement se sentir libres d’être des lieux de mouvement, de réflexion et même de confrontation intellectuelle et artistique».

Pour Nicolas Sarkozy dont on connaît l’inculture crasse et les goûts nuls à chier, autant parler… chinois !

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