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Renaud Cerqueux, scénariste du Syndrome de Warhol

Publié le 12 février 2010 par Castor

Renaud Cerqueux, lauréat du concours d'écriture de nouvelle rock de 2009 ("la naissance de bobby love garret"), vient de sortir sa deuxième bande dessinée en tant que scénariste: "le syndrome de Warhol".

Ceux qui ont aimé le film "Pulp Fiction" vont adorer ce road movie de série B complètement barré. Le scénario est dans la lignée de la nouvelle de la première édition du concours de nouvelles Rock : des tueurs à gage sont à la recherche d'un type habillé en Elvis et affublé du chiffre 21 sur le front, tout ça sur l'ordre d'un ancien nazi qui cherche à cloner son idole, Elvis. Du sang, de l'action, du burlesque et du rock'n'roll! Que demander de plus?

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C.C : L'équipe du Café Castor a adoré ta BD. Mais, cette imagination ....  Comment fais-tu ?

R.C: Hum… c’est amusant que tu me poses cette question, parce que, même si cela me surprend, il semble évident que les lecteurs sont fascinés par cette imagination que le New York Times a qualifiée d’« intrigante »…

Non, plus sérieusement, si tu fais référence à ma capacité de me représenter des images, je crois que je fais comme n’importe qui, je fais fonctionner mon cerveau droit. Toutefois, il ne faut pas mépriser le rôle des contraintes imposées par le cerveau gauche, car si tu laisses aller ton imagination comme un Hells Angel shooté à la vodka-Redbull en intraveineuse (t’as vu : image rock), ça devient vite n’importe quoi…

Tu ne devrais pas me poser ce genre de questions. J’ai en penchant pour la philo, tu n’imagines pas le défi que représente pour moi un problème aussi simple en apparence. Pour faire court, quand j’écris, je suis seul. Je ne peux compter que sur moi pour avoir les idées. Alors j’angoisse beaucoup, du coup je médite. Des tas d’idées me viennent en méditant. En discutant aussi. En picolant aussi. Enfin des idées, y’en a partout. Pour la BD, on est deux. On entretient un dialogue stimulant avec David. On essaie de se surprendre. C’est rassurant d’un côté et très angoissant de l’autre. Parce qu’on met la barre très haute et je déteste décevoir.

Non, plus sérieusement, tout me vient d’un mélange de rubans à la fraise, tu sais avec le sucre qui pique, et de bière LIDL…

… Enfin, si je voulais pinailler, je reviendrais sur ton usage du verbe « faire », dans « Comment fais-tu ? » Parce que certes, les idées, il faut aller les chercher, mais elles te tombent aussi un peu dessus. On agit et on subit.

Comment veux-tu que je réponde à cette question en quelques lignes ? (sanglots dans la voix) AAAAAAhhhh, c’est insupportable.

C.C:La figure du King est présente dans "le syndrome de Warhol". Que représente-t-elle ?

Pour être parfaitement honnête, à la base, elle ne représente rien. C’était simplement une image qui m’est venue et qui a commencé à m’obséder et qui est devenue un personnage, avec une histoire… simple, sans message. Maintenant un psychanalyste me dirait que ce n’est sans doute pas un hasard. Pourquoi le King et pas un autre. Que peut-il représenter… « Mon père ? » (rire niais et clin d’œil complice) Dans le livre, le King incarne, ce qu’il était, une icône « pop », au sens warholien du terme. Une simple image à portée quasi universelle, vide de sens, et qui génère un tas de sentiments, de passions. Dans ce domaine, on n’a pas vraiment le choix. Y’a Elvis, Maryline et Jésus. Quoi qu’en disent certains écrivains sensationnalistes, Michael Jackson n’est pas mort depuis assez longtemps pour être reconnu comme une icône.

Au-delà du personnage et de son histoire, on peut lire l’album à un autre niveau. Certains y verront peut-être une critique de la culture telle qu’on nous la vend aujourd’hui, parfois vidée de son sens, marchandisée, castrée. Une culture postwarholienne. Le rock en est un excellent exemple. Doherty est soi-disant un modèle de dépravation morale et physique, et des parents offrent à leurs filles adolescentes et vierges des tickets hors de prix pour ses concerts à leurs anniversaires. Ça n’a pas de sens. Le rock ne fait plus peur. Les ados dont la vie a été bouleversée par cette musique ont grandi et ont continué de l’aimer, mais ils ont trouvé un job et ils ont contracté de très gros crédits. Alors ils ont gardé la forme et ils ont lessivé le contenu. Parce que leurs choix de vie ne pouvaient plus coïncider avec l’esprit du rock. Le rock a été physiologiquement digéré par la société qui en a fait une belle grosse bouse « bien packagée » comme on dit dans les maisons de disque et pour aller jusqu’au bout de mon image. Ok, c’est de la provoc gratuite. Ce que j’entends par là, c’est que c’est devenu un produit comme les autres. On a gardé la forme, la musique, mais on a retiré ce qui a fait le mythe, l’esprit. Je ne fume pas, mais quand je pense qu’on ne peut pas fumer à un concert de rock, je me dis qu’il y a un truc qui cloche.)

Je dis ça, mais en même temps, j’aime bien le dernier album de Doherty et y’a plein de nouveautés dont je suis fan. J’aime le rock, mais j’ai conscience que l’esprit, dans les grandes lignes, s’est fait la malle.


C.C L'esprit de ton livre est très rock'n roll. D'après toi, existe-t-il une écriture "rock" ?

Je pourrais te faire une réponse à la vieux rockeur qui ne doute de rien, du style : « T’as qu’à lire Hubert Selby et t’arrêteras de te poser la question… gamin. »

Ou alors, je pourrais te demander avec une certaine impertinence non dénuée de sens : « D’après toi, existe-t-il une écriture Punk ? Reggae ? Ska ? Acid Jazz ? Symphonique ? Rock alternatif ? » C’est absurde, mais pas tant que ça.

En fait, c’est une question très complexe et je pourrais écrire tout un traité à ce sujet. Mais je vais essayer d’abréger.

J’imagine qu’une écriture rock est une écriture qui véhicule un certain esprit rock. Le problème est là. Il faudrait se mettre d’accord sur ce qu’est l’esprit rock. En la matière, on tombe rapidement dans le jugement de valeur et bien souvent dans une compétition absurde pour déterminer qui a la plus grosse.

« Moi je suis rock ! Toi t’es pas rock.

- Nan, moi je suis plus rock que toi et je suis mieux placé pour savoir ce qu’est l’esprit rock.

- Bullshit !

- Tiens. Tu vas voir ! Et avec ma main dans ta gueule. Qui est-ce qui a raison, hein ?

- Ok, arrête, arrête, c’est toi qu’a raison. Putain mon Schott est couvert de sang. Tu déconnes »

C’est pathétique, stérile et le débat est en général tranché par celui qui, pour le coup, est le meilleur clone de l’image collective que nous nous faisons du rockeur et que nous reconnaissons plus ou moins inconsciemment comme autorité en la matière (il s’agit en général d’un biker à perfecto et gros biscoteaux ou d’un critique rock, veste en cuir et santiags). Or, que le rock devienne une guerre de clones, c’est franchement inquiétant. Ici encore, il faudrait distinguer le rock et l’esprit du rock. Que certains personnes fassent autorité sur un sujet comme l’histoire du rock, ça ne me pose pas de problème, mais que les mêmes personnes s’approprie l’esprit du rock, c’est un abus. Il me semble que le rock pris comme esprit est, en partie, un refus de l’autorité.

Ce que je garde, pour ma part, du rock, c’est cette menace qu’il incarnait à ses débuts, son imprévisibilité, son potentiel révolutionnaire. Et finalement, débattre sur ce qui est ou n’est pas rock, c’est, si on adore à mon point de vue, ce méprendre sur l’esprit rock. Parce que justement, le temps qu’on en aperçoive les contours, qu’on en devine la silhouette et il s’est transformé en autre chose. Il doit rester imprévisible, il est forcément ailleurs, là où on ne l’attend pas. C’est son essence. À mon sens. Rime.

Il s’est incarné dans un genre musical à une époque, peut-être qu’il a disparu aujourd’hui. Peut-être qu’il reviendra. Peut-être pas. Qui sait ?

Donc c’est le vieux rockeur qui a raison. Faut pas chercher à se prendre la tête. Classez vos bouquins en deux catégories : ceux qui déchirent et les autres. Ça, ça me semble rock.

Alors pour répondre à la question, si je me mets à croire aux esprits deux secondes, je dirais qu’il existe une écriture rock, mais elle existait bien avant la musique et elle évoluera encore bien après qu’on ait débranché toutes les guitares. Elle ne porte pas forcément une veste en cuir, un jean moulant et des Wayfarer.

Toc toc, y’a encore du monde à me lire là ? Hééééé ho !

C.C: Quels sont les représentants les plus emblématiques de la nouvelle génération BD ?

R.C: David et moi.

Non, je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Ce qui se fait aujourd’hui est très éclaté. Y’en a qui racontent des histoires de macarons et de shopping chez Colette, d’autres d’avortement, d’autres de Palestine, d’autres de Trolls et de Korrigans détenteurs d’un secret qui pourrait changer la face du monde, etc. Difficile de les comparer. Il y a sans doute des voix intéressantes dans chaque genre. Même si bien sûr, tous ne m’intéressent pas.

Mais sérieusement, c’est quand même David et moi.

C.C : Quels conseils pourrais-tu donner aux candidats de la seconde édition du concours de nouvelles Rock ?

N’écoutez pas mes conseils.

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