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Les parasites sont une arme

Publié le 13 novembre 2007 par Timothée Poisot

Personne n’aime les parasites. Enfin presque personne, à l’exception de ceux qui les connaissent. Et encore, seulement ceux qui font de l’écologie. Bref, nos pauvres bêtes ont un fan-club très limité en taille. Et pourtant, ils sont utiles à l’écosystème, et permettent de le maintenir en bonne santé (c’est une hypothèse).

Le mécanisme dont je vais parler aujourd’hui est particulièrement subtil : il explique comment un simple parasite généraliste peut modifier la structure d’une communauté d’hôtes. Avouez que ça fait beaucoup, pour une si petite chose.

Haldane en 1949 (la préhistoire, par rapport à ce qu’on connaît maintenant) avait eu un des ses habituels traits de génie, et avait pressenti qu’un parasite généraliste pouvait être une arme redoutable dans la compétition entre deux espèces. Je vais vous expliquer comment.

Il faut savoir avant toute chose qu’un parasite généraliste est susceptible d’aller infester un nombre d’hôtes assez conséquent. Les digènes, notamment, sont assez généralistes. La différence entre ces hôtes est le “poids” supplémentaire que le parasite représente pour eux. Selon l’espèce d’hôte, le parasite n’aura pas les mêmes effets (Leishmania est un bon exemple, si je me souviens bien). C’est la que ça devient intéressant.

On peut choisir de représenter, au milieu, le parasite, avec plein de flèches qui partent vers ses hôtes, et adopter ce faisant un point de vue “parasite”. Si on choisit de prendre un point de vue “hôtes”, on doit prendre en compte les interactions éventuelles entre ces hôtes.

Et justement, il arrive que certains hôtes d’un parasite généraliste (on dit qu’ils possèdent un shared parasite — parasite partagé) soient en compétition, ce qui est représenté dans la figure à gauche. Deux (espèces) hôtes — astucieusement nommés H1 et H2 — partagent le parasite P. Ces deux hôtes sont en compétition, et P agit plus sur H2 que sur H1, ce qui est représenté par la flèche P/H2 de plus forte épaisseur.

Comment tout cela va-t-il évoluer (dans un monde idéal)? C’est ce que la deuxième figure (toujours à gauche) montre : H1 et H2 sont dans un bateau en compétition, et comme H2 est bien occupé à lutter contre son parasite P, qui parallèlement ne gène pas trop H1, H1 à tout loisir de prendre l’avantage. Génial nan? Mais Haldane a parlé d’arme, et ça va encore plus loin que ce simple phénomène — j’en profite pour glisser son nom : la compétition apparente.

Arme, parce que l’épidémiologie et ses équations très compliquées nous apprennent que si H1 résiste mieux à P, et H2 pas trop, il y a de fortes chances que P passe de H1 à H2. Non seulement H2 a du mal à gérer P, mais en plus H1 lui en rajoute — évidemment ça suppose un cycle direct, mais on peut tenir le même genre de raisonnement avec des cycles non-directs, il suffit qu’un hôte intermédiaire et un hôte définitif soient en compétition.

Le parasite devient une arme dans la compétition entre les deux hôtes.

Allez, quelques références pour la fin:

P. Hudson and J. Greenman (1998) “Competition mediated by parasites: Biological and theoretical progress” Trends in Ecology & Evolution 13 10387 
J. Thomas and G. Elmes and R. Clarke and K. Kim and M. Munguira and M. Hochberg (1997) “Field evidence and model predictions of butterfly-mediated apparent competition between gentian plants and red ants” Acta Oecologica 18 6671–684 
Papier qui décrit une variation très intéressante ou la compétition apparente est médiée par des spécialistes exploitant séquentiellement plusieurs hôtes
J. B. S. Haldane (1949) “Disease and Evolution” Ric. Sci. (Suppl.) 19 68–76 
R. D. Holt (1977) “Predation, apparent competition, and the structure of prey communities.” Theor Popul Biol 12 2197–290 

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