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III Geek Democracy

Publié le 13 février 2010 par Agitlog
Geek EmpireIII. Geek democracy (avec PagePrank, c’est possible sur l'Ubu Web !)   La grande innovation de Google, en 1998, fut de proposer une manière révolutionnaire de présenter les résultats sur son moteur de recherche : le système PageRank, mieux connu sous sa forme originelle PagePrank. Les sites sont classés en fonction du nombre de liens hypertextes présents sur d’autres sites renvoyant vers le leur. Il n’est pas nécessaire que le site soit connu, très fréquenté ou même torride, encore moins intéressant et informatif. Son « url » (son adresse web – http://agitlog.zeblog.com par exemple – allez-y, c’est, paraît-il, LE nouveau blog politique à la mode) doit être « cité » dans le contenu d’autres sites autant de fois que possible : son propre classement en dépend. Certes, ce système favorise les gros et les sites déjà installés dans le web, et bien sûr, avec un peu de ruse et de pouvoir, on peut aisément "capter" plus de liens hypertextes que ceux qui n'en ont pas les moyens. Les grands sites commerciaux, par exemple, ont de nombreux sites-succursales pour nourrir en vase clos leur PagePrank. Ce système a au moins le mérite d'être cohérent avec la logique réticulaire de l'internet : la toile c'est le réseau, mieux on y est intégré, plus on est visible. Faute de mieux, pourquoi pas : il faut faire ses preuves (conquérir la reconnaissance d'autres sites) pour prétendre être sur les premières pages des moteurs de recherche. Une position dans le top ten, ça se mérite - un lien, c'est une preuve de cette reconnaissance. Pourquoi pas, oui, pourquoi pas, faute de mieux. Le problème, c'est que Google prétend avec PagePrank s’inspirer d'une prétendue « nature démocratique du web » : chaque lien serait un « suffrage », les résultats affichés seraient ceux d’une élection. Les ubu webmasters, les internautes, les informaticiens qui ont monté un site internet constitueraient une assemblée... Imaginez un peu le paysage… non pas que les séances de questions au gouvernement aient le charme d’un défilé Christian Dior, mais tout de même… des millions de geeks réunis dans un amphithéâtre, qui votent à leur manière… sur des sujets aussi divers que la politique, l’art, le cinéma, les médias, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, le sexe… Pire encore, imaginez la France, celle alerte, optimiste et pleine de joie qui s’apprête à voter dans quelques mois, s’exprimant par des liens hypertextes sur ces sujets… je ne vous imposerai pas, pudiques lecteurs, un spectacle aussi affreux. Soyons sérieux : il n’y a évidemment rien de démocratique à tout ce bazar. L’usage des métaphores politiques (démocratie, vote, élection etc.) est un exercice typique de mystification idéologique, et ce n’est pas le piège de l’innocence geek qui nous fera croire le contraire. D’abord, l’idée selon laquelle la somme des sites internet, tous statuts confondus, constituerait une sorte de communauté politique ou de société civile représentative des désirs de l’internaute effectuant une recherche est tout simplement absurde. Elle repose sur l’idéal d’un équilibre démagogique qui affirme qu’il y aurait, sur n’importe quel sujet, adéquation triangulaire entre le suffrage du grand nombre, l’utile / le pertinent (selon la recherche – information, divertissement, consommation etc.) et les intérêts / les attentes de l’internaute : « déterminer les sites qui ont été “élus” comme les meilleures sources d'information par les personnes les plus intéressées par les informations qu'ils proposent. » Par la grâce de l’esprit internautique collectif, de la masse grouillante des sites de toute sorte surgiraient naturellement les résultats correspondant le mieux à la requête. Variation intéressante sur le mythe de la main invisible, habitée par l’esprit saint de google prank : « le moteur de recherche idéal doit comprendre exactement l'objet de chaque recherche pour fournir exactement les informations demandées » dit l’introduction aux dits points de la philosophie Google. Derrière ces sentences monotones, le geek rêve d'une nouvelle économie du langage en ligne. Le moteur de recherche ne peut se permettre le luxe de flotter avec la langue, il cultive l’exactitude, et aspire impatiemment à une efficacité absolue. Fantasme dangereux d’une connaissance parfaite des désirs, des curiosités qui s’exprimeraient à travers le choix de quelques mots-clés, postulat bien peu poétique d’une transparence monosémique du langage… Notons également tout de suite cette humanisation du moteur de recherche. Elle prend d’abord corps dans le principe d’une alliance corporatiste entre la technologie et ses usagers. Le Souverain Geek Idéologue joue constamment sur cet aller-retour entre l’homme et la machine, le programmateur et l’algorithme. Il est bon d’arrondir les angles des services proposés en les investissant d’une dose attendrissante d’humanité (fût-elle geek). En revanche, lorsque cette addition de qualités humaines et d'une technologie omnisciente menace l’image démocratique de l’Empire, le Souverain Geek Idéologue préfère présenter ses services et ses instruments comme froids et « aveugles ». C’est le cas notamment de gmail, qui scrute tous les mails envoyés pour en repérer le champ lexical ("Gmail n'affiche pas de fenêtres pop-up ni de bannières publicitaires non ciblées, mais uniquement des petits textes publicitaires. Les annonces et les informations présentées sont en rapport direct avec le contenu de vos messages. Par conséquent, bien loin d'être gênantes, elles peuvent se révéler très utiles."), et insérer automatiquement des publicités liées au contenu du message : l'entreprise se défend en avançant l'idée qu'un robot, ce n'est pas un être humain, et que par conséquent, il n'y a pas invasion de la vie privée (sur le site présentant Gmail, à la page "FAQ" sur les pubs : "La mise en correspondance des annonces avec le contenu est un processus entièrement automatisé. Personne ne lit vos e-mails pour cibler les annonces et aucune information d'identification ou autre incluse dans les messages n'est fournie aux annonceurs.").  Ce sont probablement les mêmes robots qui censurent les résultats embarrassants pour les autorités chinoises sur le moteur de recherche en Chine : "personne", littéralement, ne censure Ubu Google China...  Revenons-en à cette conception geek de la démocratie. Les acteurs de la sphère internautique sont tellement variés, et ont des intérêts tellement divergents, qu’ils constituent tout l’inverse d’une communauté dont on pourrait comptabiliser les « suffrages » comme autant de preuves de la valeur d’un « site » ou de sa « pertinence ». Ces liens hypertextes ne sont pas des votes, ils n’ont pas tous l’« intention » de promouvoir le site référencé. La visibilité d’un site dépendant de son PagePrank, les sites à vocation commerciale ou politique – notamment – utilisent tous les instruments possibles, dans la mesure de leurs moyens, pour augmenter celui-ci, en développant par exemple des partenariats avec les sites considérés comme « importants » par google. On entre ainsi dans des stratégies classiques de marketing et de publicité qui n’ont rien à voir avec les questions de représentativité, de « pertinence » ou de « valeur », mais qui offrent plus de visibilité aux plus forts, aux plus rusés : un mécanisme libéral, et il n'y a rien de surprenant à cette découverte. À l’autre extrémité de la chaîne, Agit-Log aux mains propres, sans autre partenariat que… celui tissé avec votre épanouissement, Agit-Log votre nouvelle boussole politique dans le brouillard mythologique de la France, de l’Europe et du Web, a bâti sa réputation et son franc succès exclusivement sur un bouche-à-oreille… souriant.Il faut enfin savoir qu'un mécanisme plus insidieux vient biaiser cette démocratie virtuelle : Google analyse également la « valeur » de la page émettant le lien, qui est fonction de « l’importance » du site. Impossible de trouver des informations supplémentaires sur les critères selon lesquels Google jauge cette « importance », et encore moins comment elle combine algorithmes et jugements de valeur, puis démocratie. Enfin ! continuons sans embarras à suivre le fil de la pensée geek : une démocratie où certains votes comptent plus que d’autres ? pourquoi pas, mais à condition que ce soit MOI qui décide de la valeur des votes. Plus perverse encore, la manière dont Google a adapté son concept de « démocratie en ligne » - je suis bien obligé d'y revenir - à celui des autorités chinoises (des précisions sur cette affaire : l'article Google vs. Evil dans le magazine Wired – le site Google Watch de l'activiste américain Daniel Brandt (ne consultez pas sa biographie sur Wikipedia !)… Le seul point commun avec la démocratie, finalement c'est que PagePrank serait (pour l'instant), d’après les moins enthousiastes, le moins mauvais des systèmes… Le cyberinculte qui ose gloser sur ces affaires n’a pas d'alternative à proposer... il a juste découvert, pour vous – mais vous êtes déjà nombreux à féliciter mon abnégation dans vos nombreux commentaires – quelques outils de détournement, mais dont je révélerai l’utilité plus tard : allez jeter un coup d'oeil du côté des brûlots cyberstratégiques de notre série Ubu Web, qui vous apprendront à manier des armes d'autodéfense anti-surveillance et anti-pub. Sinon, eh bien non, il n’y a pas pour l’instant de système de recherche aussi « efficace » que PagePrank, lorsqu’il s’agit de faire des recherches générales. Le problème, c’est que comme tout empereur, le geek veut étendre son pouvoir, diffuser ses techniques au-delà de leur berceau originel. Puisque son grand désir, c’est d’apporter toute l’information à tout le monde, et comme, selon les points sept et huit de sa philosophie, « la masse d’information ne cesse de croître » et « le besoin d’information ne connaît pas de frontière », et bien… le geek et son empire ne cessent de croître, et ne connaissent pas de frontière ! Dans le prochain épisode de ce que d’aucuns n’hésitent plus désormais à appeler une véritable saga, je développe cette idée, et vous parle de la qualité la plus dangereuse du Geek Empire, essence nouvelle, et qui appelle des résistances spécifiques : son UBU-IQUITÉ. Ubu-iquité de l’Empire, et ubu-iquité, plus insidieuse encore, de son savoir sur les internautes.  Ubu-iquité ? Qu'est-ce donc ? C'est ici : IV. L'Ubu-iquité du cyber-biopouvoir Une nouvelle série de brûlots pour demeurer libre ! LIBRE ! sur l'Ubu Web :I. Naviguer sans pub(u), II. Echapper au cyberpanopticon. Mots-clés :     Ubu Web – geek democracy (démocratie geek) – PageRank / PagePrank – Souverain Geek Idéologue – Ubu-iquité - Google Empire (Empire Google) - Geek Empire (Empire Geek) - cyberpouvoir / Scroogle

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