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Soulages et la lumière du noir, exposition au Centre Pompidou

Publié le 24 décembre 2009 par Regardscurieux

Pierre Soulages au Centre Pompidou. Une exposition rétrospective, certes, mais alors atypique et vivante car elle accorde une place importante à ses recherches récentes ( on y trouve même des toiles de 2009).

Peinture 222x137 cm, 3 février 1990 Pierre Soulages
Grâce à la centaine d’oeuvres on découvre, pas à pas, les explorations du noir. Tout d’abord, dans des années 40-50, des traits graphiques qui se détachent sur un fond monochrome, puis les superpositions de couleurs  s’illuminent au contact du noir ( années 60-70), ensuite on plonge dans le noir en lui même: texture et matière.

 La clarté de la démarche, la lisibilité de la recherche sont formidables, car cette typologie instinctive transparaît, évidente, avant même de me confronter aux écrits de Soulages. Si une datation successive semble émerger du parcours de l’exposition, ces voies du noir sont explorées alternativement ou simultanément dans la dernière période, comme l’illustre cette toile de couleur tardive ( 1990)

La première salle, la plus éloignée dans le temps, nous introduit dans une recherche abstraite qui nous donne encore l’impression de retrouver nos repères géométriques ou des similitudes avec les écritures anciennes. Le jeune peintre est déjà remarqué à l’étranger, surtout par les américains qui seront les premiers grands promoteurs de sa notoriété.

Il devient un des visages d’une France artistique moderne qui se serait émancipée de l’art figuratif; sa recherche se trouve en phase avec la politique culturelle américaine de l’après guerre. Cette période est porteuse d’enormes enjeux: l’expressionnisme abstrait, né à New York dans les années 1940, avec des artistes phares comme Jackson Pollock ou Willem de Kooning, est activement soutenu par le gouvernement américain pendant la guerre − et ce jusqu’à la fin des années 1950 −, comme la dimension artistique d’une idéologie extensible à tout l’Occident, définie pour contrecarrer le réalisme socialiste dans l’art et les valeurs communistes afférentes. Même MoMA se trouve étroitement impliqué dans cette politique étrangère artistique. En 1952, il met en place un programme subventionné pour la diffusion internationale de l’expressionnisme abstrait.

Outre l’enjeu purement idéologique, défendre des artistes comme Pierre Soulages, c’est aussi imposer la nouvelle génération d’artistes américains sur le marché national et international, en leur conférant la renommée dont bénéficiaient encore les artistes européens. La volonté d’établir une certaine filiation est présente dans les premières expositions de Soulages aux États-Unis, comme celle qu’organise Betty Parson, la galériste new-yorkaise de Pollock, Painted in 1949, European and American Painters.

Peinture 200x266 cm, juillet-août 1956 Pierre Soulage

Comme on l’apprend des fiches pédagogiques de l’exposition, en dehors des galeries, Soulages est notamment soutenu par James Johnson Sweeney, conservateur au MoMA de 1935 à 1946 puis au Guggenheim de New York de 1952 à 1960. En 1951, il prend part à l’exposition itinérante Advancing French art, en 1953 à l’exposition Younger European artists au Guggenheim Museum, en 1954 à The new Decade au Museum of Modern Art.

Cette notoriété contextuelle ne peut pas occulter l’originalité de Soulages, car son oeuvre de cette époque ne peut pas se lire uniquement à travers le prisme de l’expressionnisme abstrait. Ses recherches oscillent entre le géométrique et l’expressionnisme gestuel, basé sur le mouvement expressif visible sur la toile. Sa démarche se traduit toutefois par l’effet des contrastes lumineux, en gommant progressivement l’importance de la structure et du mouvement. Et en effet, l’impression qui se dégage des toiles de cette époque est curieuse: l’” événement de la toile” se passe à la périphérie du noir, dans la zone où le contraste avec le fond ou avec une autre couleur transparait. Cette zone s’ illumine, intrigue, vit.

Les années 1970 marquent le repli américain et l’heure d’évoluer vers d’autres recherches. Le passage de Soulages vers l’Outrenoir (en 1979) est figuré de façon impressionnante grâce à une installation spéciale: une salle noire avec un seul mur blanc violemment illuminé et trois Outrenoirs suspendus au milieu.

 

Peinture 202x452 cm, 29 juin 1979  Pierre Soulages

L’effet est saisissant car ces toiles nous transportent “l’événement” de la périphérie du noir dans son coeur même. A cet instant les tentatives d’ analogie (encore possibles avant) deviennent vaines, on entre au coeur de la matière qui ne représente pas ni un objet ni une émotion. Ce passage requiert une certaine disponiblité et sensibilité de la part du visiteur qui devrait larguer les amarres de ses attentes pour éprouver les sensations très physiques communiquées par les oeuvres. La pâte noire épaisse semble sculptée, j’ai l’impression que ces bas-reliefs irradient de la lumière. Lalumière refletée donne l’impression de gris et des éclats de blanc doré. La suite explore la matière du noir, superpose dans de nombreux cas des panneaux mats, brillants, profonds…


Le jeu de brillance changeant et toute cette gamme de variations infinies donnent l’impression d’être un acteur d’une rencontre très personnelle, car, l’instant après ou à quelques centimétres de distance, la vision initiale se modifie et s’évanouit à jamais. Un expérience unique et savamment orchestrée.

P.S. Joyeux Noël à tous! Que chacun trouve sa voie vers la Lumière!

Centre Pompidou 
Du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010, Galerie 1, niveau 6

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