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La CNCDH contre l’interdiction absolue du port du voile intégral

Publié le 14 février 2010 par Combatsdh

Le 21 janvier 2010, l’Assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a adopté, par 34 voix contre 2, un avis relatif aux ports du « niqab » et de la « burqa » (voiles intégraux islamiques) en France. Cet avis fait suite à une proposition de résolution parlementaire établissant une commission d’enquête dans une perspective d’état des lieux et d’analyse de l’impact sociétal de la pratique du port du voile intégral au regard des principes de liberté et de dignité des femmes.

En s’appuyant sur la liberté de pensée, de conscience et de religion, énoncée à l‘article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la CNCDH rappelle que toute mesure restrictive aux droits et libertés garantis par ladite Convention doit être prévue par la loi et être nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

En vertu de ce principe de nécessité et de proportionnalité, la CNCDH souligne ainsi que toute disposition législative doit s’attacher à ne pas engendrer de maux supérieurs à ceux qu’elle cherche à corriger.

La CNCDH contre l’interdiction absolue du port du voile intégral Par BAUSSAY Camille, MEITE Mamadou et FRANCOS Benjamin

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Port du voile et respect de l’ordre public

Le port du voile intégral, vu son caractère explicite et ostentatoire, suscite, à juste titre, des questions légitimes.

La première question que l’on est en droit de se poser, ce qu’ont d’ailleurs fait les parlementaires, est de savoir si cette attitude ne constitue pas une menace à l’ordre public et, de ce fait, devrait exiger, de la part des pouvoirs publics à commencer par les parlementaires, une réaction idoine et nécessaire.

Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (ci-après CNCDH), un éventuel encadrement voire une interdiction du port du voile intégral soulève des interrogations du point de vue des droits de l’homme.

En effet, il est reconnu que l’exercice de tout droit de l’homme, reconnu et consacré tant par les corpus normatifs nationaux qu’internationaux, peut se trouver restreint pour des motifs d’ordre public, de morale publique ou dans le but de protéger les droits et libertés d’autrui. Mais, pour ce faire les pouvoirs publics doivent respecter certaines procédures visant à garantir la légitimité de l’objectif au regard des moyens mis en œuvre pour restreindre les droits visés. La France, partie à ces conventions, n’échappe pas à ces obligations procédurales, même s’il s’agit de sauvegarder l’ordre public.

Dans cet avis de la CNCDH, on peut pointer du doigt certaines idées fortes que les experts de cet organisme consultatif ne manquent pas de préciser.

Primo, la CNCDH souligne que la sauvegarde de l’ordre public, motif invoqué par les pouvoirs publics dans leur volonté de faire face au phénomène du voile intégral, est légitime dans une société démocratique libérale. Elle recourt, pour se justifier, à plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’objectif tenant à la sauvegarde de l’ordre public a par ailleurs fait l’objet d’une validation par les juges de la Rue de Montpensier qui lui ont reconnu la qualité d’objectif de valeur constitutionnelle (CC, 19 et 20 janvier 1981, Loi sécurité et liberté).

Secundo, tout ayant fait cette précision préalable, la CNCDH indique que le port du voile intégral met en jeu une pluralité de droits individuels : liberté de conscience, liberté de religion, droit à la vie privée et familiale, liberté d’aller et venir.

En conséquence, la CNCDH estime, d’une part, que le motif de sauvegarde de l’ordre public mis en avant n’est pas totalement recevable, et, d’autre part, qu’une interdiction absolue au moyen d’une loi est disproportionnée car elle emporterait violation des droits individuels garantis par les dispositifs juridiques les plus pertinents : CEDH, PICDP, CEDAW.

En fait, pour la CNCDH, le port du voile intégral pourrait soulever des problèmes d’ordre public mais uniquement dans des situations ponctuelles et facilement identifiables, en l’occurrence « au guichet de banques, pour des parents allant chercher leurs enfants à l’école ou au sein des hôpitaux. » En dehors de ces hypothèses, la femme voilée intégralement ne provoque pas, par le seul port de sa tenue, un trouble à l’ordre public, et ne saurait donc se voir opposer une interdiction absolue de se vêtir à sa guise. Cette prise de position n’est pas sans rappeler celui du constitutionnaliste Dominique ROUSSEAU qui, opposé radicalement à toute mesure législative, s’exprime de façon ironique en ces termes : « Quand une femme se promène dans la rue avec une burqa, y’a -t-il des bagarres ? Des agressions ? Un attroupement sur la voie publique ? Un blocage de la circulation ? La réponse est non (…) » (Dominique Rousseau, « une loi peut-elle vraiment interdire la burqa», le Journal du dimanche, 26 décembre 2009.)

Fort de cela, la CNCDH estime qu’une intervention législative ne ferait que vider de sa substance les droits individuels nécessairement reconnus à tout individu dans un Etat de droit. Ainsi, propose-t-elle une mesure qui pourrait concilier à la fois le respect des droits individuels et la sauvegarde de l’ordre public ; selon elle, des interventions administratives pourraient y suffire.

Port du voile intégral et atteinte à la dignité

Selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), le port du voile intégral est parfois perçu comme une oppression sur les femmes qui le portent. Cachant leur identité, il apparaît aussi comme une négation de leur personnalité et un refus de communication, empêchant ainsi toute relation sociale de s’établir. En tout état de cause, le port imposé du voile intégral constitue une atteinte grave à la dignité de la personne humaine.

La CNCDH évoque ainsi la nécessité de garantir l’égale dignité des hommes et des femmes. Elle s’appuie notamment sur l’article 3 du Préambule de la Constitution de 1946, la Charte des Nations Unies, et la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes de 1979. Cette dernière, ratifiée par la France en 1983, prévoit en son article 5 que les Etats « prennent toutes les mesures appropriées (…) en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée d’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe (…)».

Cependant, la CNCDH constate qu’il est difficile de faire la différence entre un port volontaire et un port imposé du voile intégral. En effet, comment s’assurer du consentement réel des femmes qui le portent ? Le risque est qu’elles aient été influencées - voire endoctrinées. Par ailleurs, interdire le port du voile intégral à ces femmes pourrait être perçu comme une atteinte à leur liberté de conscience et à leur liberté de circulation. Dès lors, la Commission conclu qu’une loi prohibant le port du voile intégral dans les espaces publics serait disproportionnée aux buts qu’elle poursuit. Elle ajoute qu’un soutien aux femmes portant le voile intégral de manière forcée serait une mesure plus appropriée pour protéger leur droit à la dignité.


Port du voile intégral et laïcité

Selon la Commission, la laïcité, valeur fondatrice de la République française, fait l’objet de deux interprétations contradictoires : certaines personnes la réduisent au principe de tolérance, d’autres la mentionnent pour justifier l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public. Pourtant, l’article 1 de la loi de 1905 garantit autant « la liberté de conscience » que « le libre exercice des cultes ».

Ainsi, la Commission considère que la séparation des Eglises et de l’Etat ne doit pas être comprise comme visant l’interdiction de toute manifestation d’une conviction religieuse au sein de l’espace public mais doit amener à faire une distinction entre la sphère publique (la participation du citoyen aux affaires publiques) et la sphère privée (les convictions intimes du citoyen). La Commission relève à cet égard qu’ « il n’appartient pas à l’Etat de déterminer ce qui relève ou non de la religion ».

Prohibition du voile intégral et stigmatisation

La problématique du port du voile suscite amalgames et confusions divers. Cette situation est préoccupante, selon la CNCDH, car elle pourrait conduire à la stigmatisation d’un groupe religieux, en l’occurrence les Musulmans.

Qui plus est, la CNCDH pense qu’une intervention législative visant le port du voile intégral dans tous les lieux publics pourrait renforcer encore davantage le sentiment d’exclusion et de discrimination ressenti par les Musulmans de France.

Cet état de fait ne ferait qu’encourager les femmes concernées à persévérer dans leurs pratiques car, sûrement, elles considéreront cela comme un acte de résistance face un Etat qui voudrait, de jure, les empêcher de pratiquer leur religion.
Une applicabilité douteuse de la prohibition du port du voile intégral

L’adoption d’une loi proscrivant le port du voile intégral soulève de nombreuses interrogations quant aux possibilités concrètes de sa mise en œuvre.

Ainsi, en premier lieu, de la détermination de l’objet de l’interdiction. Compte tenu de la nécessité d’une définition objective, il appartiendra au législateur de déterminer avec précision la nature du vêtement incriminé, d’autant plus que la loi pénale étant d’interprétation stricte, toute situation qui ne serait pas explicitement visée par le texte serait nécessairement exclue du champs d’application de l’interdiction.

Il en va de même de la délimitation spatiale de l’interdiction. L’indétermination des notions d’ « espace privé » et d’ « espaces publics » entretient en effet une « zone grise » au sein de laquelle la prohibition du voile intégral risque de poser problème en termes de garantie du respect de l’intimité et du droit à la vie privée.

S’agissant des effets juridiques attachés à l’interdiction du voile intégral, l’identification de la personne à sanctionner n’est pas sans soulever de sérieuses difficultés. Qui de la personne qui porte le voile ou de ses proches et de sa famille doivent être sanctionnés ? S’il est légitime que la CNCDH relève cette interrogation, on ne peut que regretter qu’elle ne prenne pas position plus fermement sur cette problématique compte tenu des difficultés juridiques évidentes qu’elle implique. Ainsi, alors que la femme voilée est fréquemment présentée comme victime d’une pression extérieure et sectaire, l’incrimination du port du voile intégral traduirait un contresens dans le discours juridique en la considérant comme coupable d’une infraction pénale. De même, est-il particulièrement délicat de chercher à réprimer les proches, compte tenu des difficultés probatoires qu’induira sans aucun doute la nécessité d’établir une pression au sein du milieu familial, sauf à établir une présomption de contrainte psychologique (sic).

La CNCDH ne manque pas non plus de rappeler que les arguments mis en avant par les parlementaires sont susceptibles d’être détournés, par d’autres pays, à des fins bien moins louables. En outre, admettre que les Etats disposent du pouvoir de décider ce qui relève d’une tenue moralement acceptable ou conforme à la dignité reviendrait à fragmenter d’autant l’idée même de dignité, contrevenant ainsi à l’universalisme des droits de l’Homme.

Pour l’ensemble de ces raisons, la CNCDH rejette l’idée d’une loi prohibant de manière générale et absolue le port du voile intégral et insiste sur la nécessité de rendre prioritaire le soutien aux femmes victimes de violences, quelles qu’elles soient. En lieu et place d’un tel dispositif, la CNCDH préconise un approfondissement des cours d’éducation civique afin à la fois d’encourager le dialogue et la tolérance et de promouvoir les droits de l’Homme. Enfin, réitérant son souhait de voir les principes de laïcité et de neutralité dans les services publics appliqués de façon inconditionnelle, la CNCDH appelle à la mise en place d’études statistiques et sociologiques pour mieux appréhender et suivre l’évolution du port du voile intégral.

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Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Assemblée plénière, 21 janvier 2010, Avis sur le port du voile intégral

“LAÏCITÉ ET RELIGION : La CNCDH contre l’interdiction absolue du port du voile intégral”

Par BAUSSAY Camille, MEITE Mamadou et FRANCOS Benjamin

 Actualités droits-libertés du 11 février 2010 (2) par M2 droits de l’homme de l’UPOND

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