Magazine Focus Emploi

Boltanski : le cri du cœur !

Publié le 15 février 2010 par Michelcollin

boltanski21.jpg

Il vous reste quelques jours pour profiter d’un moment unique de l’art contemporain, pour vivre l’expérience rare d’une immersion totale.
D’emblée, on oublie la position confortable du spectateur de galerie ou de musée à laquelle on s’était préparé, pour vivre une expérience inédite, au cœur d’une l’œuvre dont on devient malgré soi un élément plus qu’un acteur, comme une trace de peinture fraîche au centre d’un tableau…

La formidable canopée du Grand Palais, entr’aperçue dès le seuil franchi et si présente quand l’ennui guette, s’efface au profit d’une aspiration puissante qui mobilise tous les sens. L’alignement des vêtements au sol, contenus par des piliers métalliques rouillés, équitablement espacés, évoque autant de vivants décharnés. La fascination est amplifiée par le son sourd des milliers de battements de cœur qui se répondent, s’entrechoquent dans leur étonnante singularité respective. Certains occupent l’espace comme une sarabande, d’autres font plutôt penser, quelques mètres plus loin, à la pulsation d’un fluide mais tous participent à la même impression fascinante et entêtante dans une ambiance de froid glacial qui aiguise la perperception…

Un peu à l’écart, une grue s’empare de manière aléatoire des vêtements au sommet d’un grand tas pour les relâcher vers leur destin de mort, comme les pinces d’un jeu à pièces de fête foraine qui vous font croire que vous maîtrisez le choix d’une peluche bon marché parmi d’autres, en apparence semblables. Cette pince, c’est la “main de Dieu” qui dispense des vies, caresse des morts.

Comment ne pas songer à l’holocauste et à ces entassements, fruits d’une “industrialisation” de l’horreur comme révélés dans le film d’Alain Resnais “Nuit et brouillard” ? Boltanski s’en défend en revendiquant une universalité du discours.
A un journaliste qui lui disait : vous êtes un artiste juif ! (Christian Boltanski est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale d’un père juif d’origine russe et d’une mère corse chrétienne), Boltanski, énervé, lui a rétorqué : “Mais pas du tout, je suis corse !”. Il ajoute : “La Shoah, c’est une histoire qui m’est proche, qui me touche. Mais, chez moi, il y a du dérisoire, et, je l’espère, une lecture plus diffuse.”
Cette noton du “dérisoire” est constamment présente dans l’œuvre de Boltanski et la “désacralisation” de l’art, loin de la posture de la plupart des artistes conceptuels y participe : “Pour rouiller mes boîtes, je pissais dessus. Après, je les ai arrosées de Coca. Un conservateur pour une exposition les faisait installer avec des gants blancs. Cela n’a aucun sens !”

Au Grand Palais, il voudrait que son œuvre entre dans un répertoire et qu’elle revive dans cinquante ans, avec un autre metteur en scène, comme de la musique, un ballet. Je trouve cette idée sublime et j’attends avec impatience que le ministère de la culture valide ce projet en mettant en bonne place les partitions de Boltanski.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Michelcollin 4 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte