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.../...Ils n'étaient plus des Français, des Africains, des Occidentaux ou des Tiers-mondistes, mais des enfants du monde aussi différents qu'unis par le même espoir. La même attente.Tous rêvaient d'un ailleurs, ici et partout, d'un demain maintenant et toujours; d'une civilisation heureuse bâtie sur les cendres d'une cité de Babel.Une même lueur animait leurs regards, cette flamme qui fait de l'homme ce qu'il peut être de mieux; cette foi qui le fait avancer, résister et survivre malgré les calamités. Ce sont les chants d'esclaves marqués au fer rouge, fouettés, mutilés et piétinés dans les champs de coton du Mississippi ou les plantations de cannes à sucre de Guadeloupe, c'est la lettre d'une épouse lue par une chair à canon sous les obus d'un champ de bataille, à Verdun ou aux Dardanelles; c'est le soleil que, chaque jour, rien ne peur empêcher de briller au dessus du camp d'Auschwitz; ce sont les têtes hautes d'hommes et de femmes qui enterrent un enfant à Gaza, à Bagdad, à Kabul, partout; ce sont les souvenirs et l'espoir d'un dehors rêvé au fond d'une cellule de Guantanamo, à Gatwick ou au centre de rétention de Vincennes; c'est le baiser d'une mère rentrée d'une journée éreintante, sur le front de ses gosses aux destins biaisés, c'est le rêve utopique d'un médecin dans un camp de réfugiés.Dans leurs yeux à tous on pouvait lire aussi de l'angoisse, cette peur irrépressible qui enchaîne l'enfant à son plumard, transforme l'homme en couard et mène le vieillard à la mort.Mais durant quelques minutes, ou quelques futiles secondes, tous les gens présents dans ce club voulaient croire que le monde entier pouvait enfin vivre, vivre pleinement. Et qu'il pouvait aussi, à sa guise, décider de cesser de vivre quand les "pays du monde libre" pissent sur les Droits de l'homme. retenir son souffle quand les guerres se succèdent, quand les hommes cèdent à cette haine qui les excède. Suffoquer à l'idée que la vie taille encore l'espoir d'un un ravitaillement, alors que des soldats meurent après 9 mois de bataille. Et puis changer d'idée, souffler, se remettre à parler d'avenir sans avoir à prier parce que les pluies tardent à venir. Sourire à l'idée qu'ils ne seront plus toujours les mêmes, les vaincus qui font d'autrui des vainqueurs-sérieux, y'a rien d'exotique à voir l'Afrique au 20 Heures.../...
extrait de: Gueule de Bois- un livre de Insa Sané - Editions Sarbacane-