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Un gros mot

Publié le 15 février 2010 par Tanjaawi
C’est un fait : la paix est devenue un gros mot. Les gens se livrent à des exercices verbaux, presqu’acrobatiques, pour explorer toute la gamme des circonlocutions à la place du mot. Les hommes politiques parlent de “la fin du conflit”, de “statut permanent”, de “règlement politique”, à seule fin d’éviter le mot tabou.

DE NOMBREUX COMBATS importants en Israël interpellent les gens de conscience. Entre autres (dans le désordre) :

Le combat pour préserver l’environnement et l’avenir de la Planète.

Le combat pour la démocratie contre les tendances fascistes.

Le combat pour les droits humains et les droits civils.

Le combat féministe.

Le combat pour les droits des gays et des lesbiennes.

Le combat pour la justice sociale et la solidarité sociale.

Le combat pour l’égalité des droits pour les citoyens arabes d’Israël.

Le combat contre la discrimination des Juifs orientaux.

Le combat pour la séparation de la religion et de l’État.

Le combat pour les droits des animaux. Etc. etc. etc.

Chacune d’entre elles méritent une adhésion sans réserve, en particulier de la part des jeunes. Mais après tout, elles servent toutes aujourd’hui de substitut à la bataille principale : le combat pour la paix avec le peuple palestinien.

IL Y A un danger que tous ces combats deviennent comme “des cités de refuge” pour de jeunes idéalistes qui désirent se dévouer à une noble cause, mais qui n’ont aucune envie de prendre part au combat principal.

Parce que chacun de ces combats est vraiment important et qu’il est mené pour une bonne cause, personne ne peut contester ces militants. De nombreuses organisations déploient actuellement leurs activités dans ces domaines, et des milliers de gens remarquables – hommes et femmes, vieux et jeunes – se dévouent à ces causes. Moi, aussi, je me joindrais volontiers à chacun d’eux, si ce n’était…

Si ce n’était le fait que tous – tous ensemble et chacun d’eux séparément – sont maintenant en train d’ôter la vie au combat pour la paix. De mon point de vue, la paix surpasse tous les autres objectifs, en particulier parce que le succès de tous les autres combats dépend du résultat de ce combat-ci.

La guerre sans fin crée une réalité d’occupation et d’oppression, de mort et de destruction, de brutalité et de cruauté, de dégénérescence morale et de bestialité généralisée. Le moindre idéal pourrait-il être réalisé dans cette situation ? Est-ce que le féminisme par exemple peut atteindre ses objectifs dans un pays en proie à un militarisme chauvin débridé ? Peut-on éviter la torture aux animaux quand la torture des êtres humains fait partie de la routine ? Est-ce que les rivières et les forêts, les oiseaux et les léopards peuvent être préservés quand des quartiers résidentiels reçoivent des bombes et des obus au phosphore blanc ?

LA PRINCIPALE question est, naturellement, pourquoi des gens de conscience s’écartent-t-ils de la vision de paix.

C’est un fait : la paix est devenue un gros mot. Une personne honnête ne souhaite pas être aperçue en sa compagnie. Il ne serait pas convenable de le prononcer dans une société policée.

Les gens se livrent à des exercices verbaux, presqu’acrobatiques, pour explorer toute la gamme des circonlocutions à la place du mot. Les hommes politiques parlent de “la fin du conflit”, de “statut permanent”, de “règlement politique”, à seule fin d’éviter le mot tabou.

Pourquoi ?

Tout d’abord, le mot “paix” a été utilisé à tant de reprises qu’il a presque perdu toute signification. On en a abusé si souvent qu’il est usé jusqu’à la corde. Pour paraphraser la formule classique du philosophe britannique, le Dr. Samuel Johnson : “La paix est le dernier refuge d’un vaurien”. Ou, pour reprendre le slogan de l’empire du mal dans “1984” de George Orwell : “La guerre, c’est la paix”.

L’espoir de paix est apparu tant de fois pour être tant de fois taillé en pièces que l’espoir lui-même éveille maintenant le soupçon et la crainte. Qu’est-il advenu du plus grand espoir de tous, l’accord d’Oslo et la poignée de mains historique de 1993 ? Qu’est-il advenu du voyage triomphal d’Ehoud Barak à Camp David en 2000 ? On ne peut pas exiger des gens ordinaires qu’ils découvrent ce qui s’est réellement passé là-bas et qui doit être blâmé. Ils voient seulement les faits dans leur évidence : nous espérions la paix, nous avons eu la guerre.

Les choses en sont arrivées au point où même les mouvements pacifistes craignent d’employer le mot dans leurs déclarations politiques. Eux aussi recherchent des synonymes.

Il est désormais généralement admis qu’il ne vaut mieux pas aborder les jeunes avec un discours sur la paix. Qu’à Dieu ne plaise. Ils ont la conviction que la guerre est une situation permanente, que la paix est une illusion, rien d’autre qu’une vieille expression dépourvue de sens. Ils pensent qu’ils sont condamnés, eux et leurs enfants et les enfants de leurs enfants (s’ils restent ici) à aller à la guerre, encore et encore, jusqu’à la fin des temps. Ils n’ont pas envie de gaspiller leurs énergies pour cette absurdité qu’est la paix. Il vaut mieux sauver les derniers léopards du désert de Judée ou les aigles des Hauteurs du Golan que d’aller à la recherche des colombes de la paix qu’ils n’ont jamais vues.

Les gens de gauche sont fiers de constater que la solution de “deux États pour deux peuples”, un temps la vision d’une poignée de cinglés, fait désormais l’objet d’un consensus mondial. Une énorme victoire en vérité. Mais elle est dépassée par la réussite de la droite à transformer “Nous n’avons pas de partenaire pour la paix” en un crédo national.

En langage moderne : la paix est ringarde, tout le reste est “in”.

CETTE SEMAINE le journaliste Gideon Levy observait dans un entretien à la télévision que dans la Knesset actuelle il n’y avait plus un seul membre juif pour qui la paix est l’objectif N° 1.

Certaines personnes, dans ce contexte, citent le nom du nouveau membre du parti Meretz, Nitzan Horowitz. Pendant des années, il a été à la télévision le commentateur des questions étrangères et il a communiqué aux téléspectateurs son enthousiasme pour chaque combat en faveur de la paix et de la liberté dans le monde entier. Son style plein d’émotion et sa tendance à s’identifier à l’opprimé lui ont permis de gagner l’amour des auditeurs.

Mais depuis son entrée au parlement, son ardeur semble l’avoir quitté. Il mène actuellement une bruyante bataille contre la guerre des prix dans les librairies. Alors, quid de la paix ? Quid de l’occupation ? Silence, s’il vous plait.

Cela est vrai pour l’ensemble du parti Meretz qui, dans ses beaux jours, se comportait en avant-garde du camp de la paix sioniste à la Knesset. Depuis lors les choses ont évolué pour le pire. Pour récupérer un peu de leur force, ils ignorent la question de la paix autant que c’est humainement possible. Quand il n’est pas possible d’y échapper, ils en parlent sans conviction, comme un Juif embrassant la mezouzah ou un Chrétien faisant le signe de la croix – et en vitesse.

C’est une histoire intéressante. Lorsque Shulamit Aloni fonda le parti en 1973, à la veille de la guerre du Kippour, elle était surtout connue comme militante des droits civils. Elle était particulièrement engagée dans la lutte pour les droits des femmes et contre les contraintes religieuses. La paix était un objectif secondaire dans son programme. Mais, comme chef du Meretz, elle acquit progressivement la conviction qu’aucun de ses objectifs ne pourrait se réaliser dans un climat de guerre, et la paix devint un élément central de ses idées. Quand le parti se développa, il devint la principale force de paix sioniste.

Ces dernières années, le processus est reparti dans l’autre sens, comme un film vidéo que l’on déroule à l’envers. La paix a été évacuée du centre du programme du Meretz et en a presque disparu. Le Meretz est redevenu un parti pour les droits civils, tout en passant de 12 sièges à la Knesset à seulement trois.

LA DROITE ISRAÉLIENNE, qui est financée par des milliardaires américains de droite, tant juifs que chrétiens évangéliques, a lancé cette semaine une violente attaque contre le progressiste New Israel Fund qui finance généreusement tous les combats énumérés ci-dessus.

Nous pouvons révéler honnêtement que Gush Shalom n’en a jamais reçu un centime. Le fond a évité comme la peste les mouvements pacifistes. Mais cela ne l’a pas sauvé. Les gens de droite le persécutent. Même si on traite “seulement” de droits humains, on ne peut pas y échapper. La cité de refuge n’offre aucune sécurité.

LA CAUSE de la paix reviendra inévitablement au centre de la scène parce qu’elle décidera de notre destin, en tant qu’individus et en tant qu’État. Il n’y a pas d’échappatoire.

Naturellement, aucun des combats pour les autres causes ne devrait être abandonné, même si le combat pour mettre un terme à l’occupation et réaliser la paix doit passer avant tous les autres.

J’attends avec impatience le jour où les organisations engagées dans tous ces combats réuniront tous leurs merveilleux militants, leur enthousiasme, leurs talents et leur courage et en particulier leur capacité à se dévouer à une idée, en une seule force luttant pour l’Autre Israël, dont le fer de lance est le combat pour la paix. Dans un mouvement vaste et uni, les différentes causes seront complémentaires et se nourriront l’une l’autre.

Ensemble elles mèneront la campagne décisive : le combat pour la Seconde République Israélienne.

Uri Avnery – 6 février 2010
Article écrit en hébreu et en anglais le 6 février 2010, publié sur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais "A Four-Letter Word" : FL/PH

14 février 2010 / France-Palestine


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