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Obscurité (7)

Publié le 20 février 2010 par Feuilly

Ils arrivèrent vers les dix-neuf heures dans la petite ville et c’est sans hésitation que la mère prit la direction de la maison de son amie. On passa devant ce que, tout à l’heure, elle avait appelé un lac et qui n’était en fait qu’une petite retenue d’eau, mais l’ambiance était à l’allégresse et personne ne pensa à lui reprocher sa vision déformée et idéalisée des lieux. C’est que dans le fond tout le monde était très heureux d’atteindre enfin le but de cette expédition. Voyager, c’est bien, assurément, mais quand même, ces longues nuits dans la voiture n’avaient pas été des plus confortables et l’absence de point d’eau et de sanitaires commençait à devenir pénible. On a beau jouer aux héros et adorer l’aventure, un bon lit douillet et une bonne douche ne se refuseraient pas.

On passa devant le camping municipal et la mère assura que c’était le bon chemin. En regardant les tentes des touristes, alignées dans une espèce de prairie, les enfants eurent un sourire condescendant. Ce qui, il y a quelques heures encore, eût semblé un point de chute tout à fait enviable, leur apparaissait maintenant comme un camp de romanichels sans feu ni lieu. Dans le fond ils plaignaient presque ces pauvres gens qui devaient passer leurs vacances sous une toile précaire et cuisiner comme ils pouvaient sur des réchauds de fortune. Eux, c’était différent. C’est la vraie aventure qu’ils venaient de connaître, sillonnant les routes au hasard et dormant à la dure, pas la vie de ces campements pouilleux où régnait la promiscuité. Non, cela ils ne l’auraient jamais toléré car ils étaient d’une autre trempe, de celle dont on fait les héros. Mais maintenant que l’aventure touchait à sa fin, ce n’est pas sur un matelas pneumatique qu’ils allaient dormir, mais dans une vraie chambre. Qui sait, il y aurait même peut-être la télévision ou des jeux vidéo ? On pouvait toujours rêver… « S’il y a une bibliothèque dans cette maison, tu crois que je pourrai emprunter les Mille et une Nuit ? », demanda Pauline, qui ne se consolait pas d’avoir oublié son livre de contes favoris. Mais la mère n’en savait rien, elle ne se souvenait pas de cela. Par contre, pour ce qui était de la route, il n’y avait plus aucun problème. La petite Peugeot filait à vive allure sur un chemin communal assez étroit, un peu trop vite d’ailleurs à l’idée du garçon, qui en fit la remarque. Mais non, il n’y avait pas d’inquiétude à avoir, elle   se souvenait de chaque virage comme si elle y était passée la veille. Et en effet, elle ralentissait quand il fallait et n’avait aucune seconde d’hésitation quand elle se retrouvait à un embranchement. Les pneus crissaient sur l’asphalte surchauffé, le changement de vitesse craquait un peu, puis elle s’engageait résolument dans la bonne direction, sans même regarder les vieux poteaux indicateurs en béton.

On avait complètement quitté l’agglomération et on remontait maintenant vers le plateau par une route de plus en plus sinueuse et de plus en plus étroite. Oui, on serait bientôt arrivés, il n’y avait plus qu’un petit bois à traverser et on déboucherait sur une grande étendue herbeuse. C’est là qu’était la maison, avec une vue imprenable sur l’immensité du monde. Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir ! Après un dernier coup de frein, un coup de volant un peu trop sec, la voiture s’engagea en cahotant dans un chemin de terre. Il y eut encore un virage, puis la maison apparut.

La mère arrêta le moteur et il se fit un grand silence. Oui, la maison était là, devant eux, mystérieuse, énigmatique, superbe dans sa simplicité rustique d’où émanait pourtant comme un air de vielle noblesse. Elle était belle, oui. Elle était vraiment belle. Mais elle était vide aussi, complètement abandonnée et cela depuis pas mal de temps, cela se voyait au premier coup d’œil. Tous les volets étaient clos, des tuiles avaient été arrachées par les tempêtes, le petit potager sur le côté latéral était à l’abandon, lui aussi et un arbre fruitier, cassé en deux, laissait pendre ses branches mortes sur la terrasse. Triste spectacle que tout cela. Ils quittèrent la voiture et dans le grand silence du soir le bruit des portières qui claquèrent leur firent l’effet de coups de feu. C’est leur rêve et leur espoir qu’on assassinait là. Qu’allaient-ils devenir ?

« Pourtant », dit la mère, « la dernière fois que j’ai écrit, il y a deux ans, elle habitait toujours ici. » Personne ne répondit. Qu’est-ce qu’on aurait bien pu dire, d’ailleurs ? Dans le fond, la copine, les enfants s’en moquaient un peu, ils ne la connaissaient pas. Mais outre le fait qu’ils pouvaient dire adieu à la douche et au lit moelleux, ainsi qu’à la télévision et aux contes de Shéhérazade, ils se rendaient bien compte qu’ils se retrouvaient dans une impasse. Cette maison, c’était le refuge qu’ils cherchaient depuis des jours et des jours et maintenant qu’ils l’avaient enfin trouvée, tout s’écroulait. Qu’allaient-ils devenir ? Leur faudrait-il finalement retourner chez eux, après tout ce périple inutile ? L’enfant se revoyait déjà dans l’écurie, attendant les coups de ceintures qui ne manqueraient pas de pleuvoir sur son dos et ses cuisses et là le beau-père aurait un beau motif pour le punir. Il dirait que c’est lui qui avait tout manigancé, qu’il avait influencé sa mère, imaginé cette fuite aux airs de voyage… Au fond de lui, il se sentait déjà un peu coupable car s’il est vrai qu’il n’avait préparé aucun plan, il avait en revanche bien profité de cette longue course à travers la France. Dire qu’il n’avait pas été heureux pendant ces quelques jours serait mentir…

Il fallait donc agir et tout faire pour ne pas retourner là-bas. On voulait une maison ? Et bien on en avait une, après tout, non ? Il s’approcha de sa mère, qui restait là, complètement découragée, les bras ballants, à contempler le soleil qui descendait lentement vers l’horizon. Pauline, elle, appuyée contre le capot encore chaud de la voiture, pleurait en silence. Il exposa son plan. Il était trop tard pour s’informer aujourd’hui. Rebrousser chemin, il n’en était pas question non plus, d’ailleurs on n’avait nul endroit où aller. Donc, il fallait rester là, du moins pour cette nuit, c’était le plus sage. Alors, pourquoi dormir encore dans la voiture alors qu’on avait une maison à sa disposition et qui plus est une maison vide. On ne ferait de mal à personne en s’y introduisant. Et si quelqu’un venait faire des reproches, on dirait qu’on connaissait la propriétaire, ce qui en plus était la stricte vérité. D’ailleurs que ferait celle-ci si elle pouvait les voir en ce moment ? Elle leur enverrait la clef tout de suite et leur dirait de s’installer. A la limite, elle s’excuserait même d’avoir été absente, de n’avoir pas prévenu… Alors il suffisait de faire comme si elle habitait encore les lieux. Si cela avait été le cas, ne les aurait-elle pas accueillis à bras ouverts ? Bien sûr que si. Alors… C’était refuser une telle hospitalité qui aurait été inconvenant.

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