Je sors dans la grande rue. Un soleil doux et rassurant baigne la cité. Les fleurs en cette période éclosent. En cette fin d'année scolaire, plein d'établissements ont libéré leurs élèves. Les rues sont bondées de petits commerçants, des passants qui montent et qui descendent.
En fait, je reviens de la petite maternité de l'hôpital départemental de la petite ville. Ma copine Elva a donné, il y a quelques jours, quatre jours pour être précise, naissance à une très jolie petite fille. J'ai été et reste très émerveillée par cette nouvelle vie qui commence. Comme j'envie la nouvelle mère!
Pour moi la maternité a toujours été d'une grande valeur. Je la respecte, je l'honore et au fond j'apprécie toutes celles qui ont eu cette chance et surtout qui la portent avec fierté.
Elva est une fille qui a toujours aimé le danger. Elle adore prendre les risques. Elle est capable de monter les pires scénarios dignes des films dont l'intrigue rivaliserait même avec certains films Nollywoodiens.
Elle était à trois mois de grossesse, qu'elle avait trouvé deux pères à son enfant. Elle fréquentait Blaise depuis bientôt trois ans. Il est professeur de commerce dans l'unique lycée technique de la ville. Il lui a maintes fois fait comprendre qu'il souhaite pousser la relation bien loin. Elva a donné son accord. lorsque Blaise a été mis au courant de la grossesse, il a sauté de joie et a déduit que leurs projets prenaient forme. Il s'est attelé à apporter soins, douceurs et finances à la future maman.
Elva, eut été une autre fille, se serait contentée de cela. Non! Je ne crois pas que ce soit un esprit cupide en soi, mais plutôt cette envie de se fabriquer des situations inextricables.
Pendant qu'elle était avec Blaise, elle fit la connaissance d'Hubert. Ils s'étaient rencontrés lors d'un congrès de jeunesse organisé pour et par les jeunes ressortissants de la localité. Hubert achevait son cycle de doctorat en Droit International dans la prestigieuse université de la capitale. Toute la semaine du congrès, ils ne s'étaient point lâchés. Hubert était ensuite partit pour son village natal, avait proposé à Elva de l'y accompagner. Les membres de la famille avaient trouvé judicieux pour leur fils qu'il ait pu enfin, se choisir une compagne. Hubert a aussi émis l'idée de faire ménage avec Elva.
Lorsqu'elle s'est retrouvée enceinte, elle a mis les deux amants au courant, faisant croire à l'un comme à l'autre qu'ils étaient responsables. Les deux hommes vivant dans les villes différentes ont pris des dispositions pour que ni leur enfant à naitre, ni leur future dame ne manquent d'un peso. Elle recevait donc attention, fric et promesse double.
Il y a quelques jours , la bonne nouvelle est tombée. Elva a donné naissance. La mère et l'enfant vont bien. Blaise qui est tout près est venu sur le champ. Ensuite sa maman est venue aussi voir sa petite-fille. Hubert, la nouvelle reçue, s'est aussi dépêché de venir avec sa maternelle.
Cela fait à peine une demi-heure; Je crois que je suis encore toute retournée tant le choc était fort.
Comme dans beaucoup d'hôpitaux, les visites du milieu de la journée vont de midi à deux heures.
Aujourd'hui, j'étais la première à arriver au chevet de l'heureuse maman. Je l'ai trouvée, son bébé dans les bras, lui procurant des doudous. Aucun membre de sa famille n'était encore arrivé.
Quelques minutes après, Blaise et sa maman font leur entrée. La maman de Blaise s'extasiait sur l'enfant lorsque Hubert et la sienne entrent. Deux hommes, deux amants, deux pères pour un enfant; en arrière plan, deux belles-mères. Quelle hécatombe! Quelle honte!
Foudroyés de honte et de rage Blaise et Hubert ont pris leur mère et ont vidé les lieux sans autre forme de procès. Je crois que toute seule, elle élèvera son enfant.
* * *
Dieudonné se tient devant le distributeur automatique de la banque. Il doit en fait taper le montant qu'il souhaite retirer. Dans sa tête il fait un calcul rapide de ce qu'il pourrait dépenser ces trois jours prochains.
Il se rend à Yaoundé pour passer les fêtes de fin d'année. Il revient de Buéa où il bosse comme officier de police. Dans le bus de voyage, il zappe sur son MP3, ajuste ses écouteurs et une chanson d'Henri Dikongue envahit ses tympans (c'est la vie, la vie, la vie oh oh oh...) il se laisse aller au rêve. Il revoit son petit garçon. Il voudrait tant le voir, il le verrai surement demain. Il a prit comme à son habitude rendez vous avec sa mère.
Il se revoit jeune étudiant. Il s'était, avec ses potes, rendu à une kermesse organisée à l'occasion de la fête de la jeunesse dans un établissement secondaire de la ville. La bas, il s'était amusé à conter fleurette à une jeune fille. Les choses s'étaient précipitées. Deux mois plus tard la fille lui apprenait qu'elle attendait un enfant, ils avaient convenu que l'avortement était l'idéal, pourtant faire recours aux méthodes peu orthodoxes répugnaient Dieudonné. A court de moyens, Il en avait parlé à sa mère. Celle-ci s'était opposée. Elle avait souhaité que la fille donne naissance et s'engageait à prendre la totale responsabilité. Dieudonné avait expliqué à la fille que sa maman voulait l'enfant et que pour lui, le processus d'immigration pour la France était enclenché.
L'enfant était né. Un garçon. La grand-mère avait tenu promesse. Par la suite tout avait pris une autre tournure. Le dossier d'immigration, deux fois avait foiré, la maman de Dieudonné était tombée malade, puis avait rejoint ses aïeux. Dieudonné avait pourtant réussit son entrée à l'école supérieure de police. Lorsqu'il avait voulu revenir vers la fille, elle lui avait fait comprendre qu'entre temps elle avait connu un monsieur d'âge mûr qui ne pouvait avoir d'enfants et souhaitait avoir le petit comme filleul. Dieudonné avait compris. À chaque fois qu'il émettait l'idée de prendre l'enfant, Adèle, la maman du petit lui conseillait de se trouver d'abord une épouse. Quelque part c'était vrai. Comment un enfant d'à peine quatre ans vivrait avec un père qui bosse tout seul, dans une ville où tous deux n'ont d'attaches familiales. Surtout qu'il adore faire la fête et n'y connait rien en termes de couches-culottes.
Dieudonné avait pris ses responsabilités: il assume toutes les dépenses de l'enfant: scolarité, allocations bi-mensuelles, santé, location du bail, etc.
En cette période de fin d'année, les centres commerciaux sont saturés. Dieudonné veut acheter un jouet pour son fils. Il opte pour une jolie Ferrari rouge. L'emballe et saute dans un taxi impatient de revoir son bout de chou.
Premier constat: comme toujours, Bobien l'appelle tonton.
Deuxième constat: Bobien n'est pas dans son aise dans cette maison, c'est dire que tout comme lui, il est étranger, visiteur, de passage. Où vit-il donc exactement?
Lorsque Dieudonné engage la conversation avec l'enfant qui est, il faut le dire son portrait craché, l'enfant lui raconte tout de ses jeux, ses amusements, ses plaisirs. Vient ensuite la session des chants, jeux et récitations appris dans sa classe de maternelle. Parmi ces chants il y a un qui a pour règle d'or, se présenter avant:
Je m'appelle Bobien Wilfried Ongolo.
mon père s'appelle Ongolo Ongolo.
ma mère s'appelle Adèle Abena
Un coup! Un tel coup de choc que Dieudonné a reçu là. L'enfant ne lui appartient pas. Il investit, se tue dans un tableau où n'apparait même pas son ombre.
Il a continué de jouer avec l'enfant quelques temps encore. Lui demandant à l'occasion de redire le merveilleux chant avec intro. Il a comme à l'accoutumée laissé de l'argent pour les fêtes et la location de bail et s'en est allé. C'est la dernière fois de toutes les façons.