Haiti-Séisme : Un universitaire met en garde contre les manipulations religieuses
Interview
Le vice-doyen à la recherche de la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti, Jean Yves Blot, lance une mise en garde contre les manipulations religieuses suite au séisme dévastateur du 12 janvier qui a frappé la capitale et plusieurs autres régions du pays.
Au-delà des pertes en vies humaines et des dégâts matériels monstrueux causés par le cataclysme, le professeur Blot considère que le patrimoine immatériel d’Haïti est également très affecté.
Il pointe du doigt la religiosité « partidiste » qui a été promue après le 12 janvier, dans le cadre d’une démarche qui semble nier les valeurs propres de la culture haïtienne.
Selon l’intellectuel, « le manque de données scientifiques » sur le phénomène qui a affecté le pays, « renforce absolument la religiosité ».
Il critique « les manipulations » effectuées par des leaders religieux qui « exploitent le désespoir et la peur » qui règnent au sein de la population.
De son coté, « l’État en profite », dit-il, « parce qu’il ne peut pas résoudre les problèmes » qui surgissent, avec 1.2 millions de sans-abri n’ayant accès à aucun service de base.
Cette « forme de thérapie où la religion remplace la psychologie » ne peut qu’être « provisoire », avertit Jean-Yves Blot, et elle représente « une arme à double tranchant ».
L’ethnologue estime que « nous (les Haïtiens) avons la capacité culturelle de dépasser » la tragédie du 12 janvier, qui a fait, selon un bilan provisoire, 217.000 morts.
Bien que des pratiques rituelles populaires ne gèrent souvent que « des décès individuels », Blot n’a « aucun doute que philosophiquement » des pratiques culturelles traditionnelles « peuvent aider à trouver une issue ».
Dans la philosophie populaire il existe un « mouvement dialectique » entre la vie et la mort qui crée des rapports étroits entre les vivants et les morts, souligne l’intellectuel.
« Dans le vodou, la mort représente une forme de transition, un passage », explique-t-il. « Les vivants s’adressent aux morts, leur expliquent leurs problèmes, tandis que les défunts veillent sur leurs parents ».
Il prend en exemple la commémoration du jour des morts (2 novembre), « un moment de fêter la vie à travers la mort, célébrer la vie dans les cimetières » par des chansons, la danse et des expressions fortes.
Les « veillées funèbres populaires » constituent des moments « festifs », où les participants s’amusent follement en tournant la mort en dérision, rappelle-t-il.
Le professeur Blot estime que le tambour, en tant qu’élément de référence dans les rituels populaires et la culture haïtienne en général, peut contribuer à donner plus d’énergie à la population sur le chemin de la reconstruction.
Au-delà de l’aspect religieux, « l’État devrait permettre aux artistes (genre traditionnel) de s’exprimer », à travers des manifestations culturelles itinérantes, afin d’aider la population à « dominer » la situation, suggère-t-il.
Toutefois, actuellement, « Haïti vit un drame », reconnait l’ethnologue. Il décrit une situation générale très difficile où des structures publiques plus faibles qu’avant doivent répondre à des besoins décuplés depuis le 12 janvier.
Jean Yves Blot craint que le paysage de la capitale soit modifié pour longtemps avec des « voisins de la mort », devenus « sinistrés dans la vie » et qui « se positionnent maintenant pour s’installer » définitivement dans les camps de réfugiés.
Gotson Pierre