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Liste des pays “d’origine sûrs” : audience de référé-suspension ce jeudi 25 février à 14h30

Publié le 25 février 2010 par Combatsdh

Ce Jeudi 25 février à 14h30, sur requête d’Amnesty international France, de la Cimade, du Gisti, d’Elena, de DOM asile, de l’APSR, de la LDH et de l’ACAT se déroulera au Conseil d’Etat l’audience de référé-suspension contre la décision de l’OFPRA du 20 novembre 2009, adoptée par son Conseil d’administration le 13 novembre, révisant la liste des pays “d’origine sûrs”, en tant qu’elle y ajoute les Républiques d’Arménie, de Serbie et de Turquie et ne révise pas la liste existante au regard des conditions prévues par les dispositions communautaires applicables (JORF n°0280 du 3 décembre 2009 - voir CPDH catégore “POS” ).

Combats pour les droits de l’homme reproduit ci-dessous certains arguments des associations requérantes dans ce contentieux.

Rappelons que l’arrticle 2 de la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003 avait donné compétence au Conseil d’administration de l’OFPRA pour fixer la liste des « pays d’origine sûrs » conformément aux modalités suivantes :
« Le conseil d’administration fixe (…) pour la période comprise entre la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile et l’adoption de dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés comme des pays d’origine sûrs, mentionnés au 2° de l’article 8. Il délibère sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives à l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire » (devenu en mai 2005 l’article L.722-1 du CESEDA).

Ces « dispositions communautaires » auraient dû être prises à la suite de la directive « procédure » du 1er décembre 2005 qui prévoyait l’adoption par le Conseil de l’Union de listes communes minimales de pays sûrs, respectivement de pays tiers d’origine sûrs et pays tiers européens sûrs ; le Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement (Dir. 2005/85/CE du Conseil, 1er déc. 2005 : JOUE no L 304, 13 déc.).
Toutefois, tandis que le Conseil ne parvenait pas à un accord, la Cour de justice a annulé en Grande chambre les dispositions de la directive conférant compétence au Conseil pour les établir (article 29 paragraphes 1 et 2, et 36, paragraphe 3). Elle a censuré la violation des règles communautaires en matière de compétence du Conseil pour instituer par cette directive une imposant une codécision du Conseil et du Parlement. (CJCE, 6 mai 2008, aff. C-133/06, Parlement européen c/ Conseil de l’Union européenne).
Cette annulation retarde donc l’adoption des listes en cause et, selon les dernières information il existerait un projet de directive prévoyant la suppression de cette possibilité d’établir une liste européenne.

Il n’existe donc pas, pour le moment de listes communautaires de pays d’origine sûrs - hormis celle résultant du « protocole Aznar » (protocole n° 29 annexé au traité instituant la Communauté européenne), c’est-à-dire les Etats membres de l’Union européenne qui sont considérés comme « constituant des pays d’origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d’asile » (CE, 30 décembre 2009, Cosmin A., n°305226, au tables. Voir CPDH du 8 janvier 2010 ).

Sur le fondement de la loi du 10 décembre 2003, par décision du 30 juin 2005 (JO du 2 juillet 2005), le Conseil d’administration de l’OFPRA a établi une première liste de douze pays qu’il a considérés comme « d’origine sûrs » au sens de l’article L.741-4-2 du CESEDA.

Le Conseil a ensuite annulé deux pays de la seconde liste de 5 pays adoptée par le conseil d’administration de l’OFPRA le 3 mai 2006 en considérant qu’« il ressort des pièces du dossier que, en dépit des progrès accomplis, la République d’Albanie et la République du Niger ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d’origine sûrs au sens du 2° de l’article L. 741-4 de ce code » (CE, 13 févr. 2008, Forum réfugiés, aux tables, no 295443).

Mais, et c’est là le plus important, la loi du 24 juillet 2006 a modifié les dispositions de l’article L. 722-1 du CESEDA en prévoyant un dédoublement des listes de pays d’origine sûrs mais aussi, et surtout, la prise en compte des conditions prévues par les dispositions communautaires.
Il est désormais précisé que le Conseil d’administration de l’OFPRA « fixe les orientations générales concernant l’activité de l’office ainsi que, dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière, la liste des pays considérés au niveau national comme des pays d’origine sûrs, mentionnés au 2º de l’article L. 741-4. »

Or, il apparaît à la lecture du procès-verbal de la délibération du CA de l’OFPRA du 13 novembre qu’en fixant la nouvelle liste des pays d’origine sûrs et en révisant l’ancienne (suppression de la Géorgie) l’OFPRA n’a nullement pris en compte les conditions fixées par le droit communautaire ni l’instabilité politique et sociale de certains pays figurant sur cette liste (comme la Turquie qui vient notamment de faire l’objet d’une tentative de coup d’Etat , Magadascar avec les troubles politiques qu’on connaît, etc.)

En effet, l’article 30 §1 de la directive 2005/85/CE prévoit que :

« les Etats membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions législatives qui leur permettent, conformément à l’annexe II, de désigner comme pays d’origine sûrs, au niveau national, des pays tiers autres que ceux qui figurent sur la liste commune minimale ».

Parallèlement, l’article 30 de la directive prévoit en son point 2 que :

« 2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres peuvent maintenir les dispositions législatives qui sont en vigueur le 1er décembre 2005, qui leur permettent de désigner comme pays d’origine sûrs, au niveau national, des pays tiers autres que ceux qui figurent sur la liste commune minimale à des fins d’examen de demandes d’asile lorsqu’ils se sont assurés que les personnes dans les pays tiers concernés ne sont généralement pas soumises:
a) à des persécutions au sens de l’article 9 de la directive 2004/83/CE, ni
b) à la torture ou à des traitements ou des peines inhumains ou dégradants. »

En France, l’article L. 722-1 du CESEDA, dans sa rédaction actuelle, résulte d’une modification législative en date du 24 juillet 2006 (loi n°2006-911) et donc postérieure au 1er décembre 2005. Par conséquent, la mention « dans les conditions prévues par les dispositions communautaires en cette matière » ne peut que s’entendre comme renvoyant à l’unique article 30-1 de la directive et non plus aux a) et b) du second paragraphe de l’article 30 sur le “maintien“.
De ces considérations résultent deux illégalités entachant la légalité de la décision contestée en tant qu’elle ajoute à la liste des pays d’origine sûrs les Républiques d’Arménie, de Serbie et de Turquie et ne révise pas la liste existante au regard des conditions prévues par les dispositions communautaires applicables.

Il faut déduire de ce qui précède que l’OFPRA ne pouvait pas au titre de cet article procéder à l’établissement d’une nouvelle liste nationale de pays d’origine sûrs autrement que par référence à l’article 30-1 de la directive et donc en se conformant aux dispositions de l’Annexe II.

L’annexe II est très exigeante pour la désignation comme “sûr” un pays d’origine aux fins de l’article 30-1. Elle précise qu’un pays est considéré « comme un pays d’origine sûr lorsque […] il peut être démontré » que :

1. sur la base de :

- la situation légale,

- de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et

- des circonstances politiques générales « d’une manière générale et uniformément »,

2. il n’y est « jamais » recouru :

- à la persécution telle que définie à l’article 9 de la directive 2004/83/CE,

- ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et,

- « qu’il n’y a pas de menace en raison de violences indiscriminées dans des situations de conflit armé international ou interne ».

Dès lors, il revenait au CA de l’OFPRA, afin de respecter la disposition légale lui imposant de prendre en compte les conditions fixées dans les dispositions communautaires applicables, d’apporter la démonstration précise, pour chacun des Etats concernés tant par la décision antérieure du 20 mai 2006 que par la décision du 20 novembre 2009, que les critères de désignation posés par l’Annexe II étaient remplis.

Or, par la méthode d’examen utilisée pour apprécier la situation des droits de l’homme dans chacun de ces pays - à savoir sur l’absence de compatibilité de la situation des droits de l’homme dans chacun des Etats figurant sur la liste des pays d’origine sûrs - le CA de l’OFPRA n’apporte le moindre élément permettant d’établir que les conditions imposées par l’Annexe II ont été respectées, et ce en violation des dispositions de l’article L. 722-1 du CESEDA se référant au droit communautaire applicable, c’est-à-dire à l’article 30-1 de la directive.

Il convient de souligner les déclarations faites Olivier Brachet, administrateur au Conseil d’administration de l’OFPRA qui a quitté la séance du 13 novembre 2009.
Dans un communiqué de presse du même jour, l’association Forum réfugiés relève que :
« La méthode de travail a été jugé inacceptable par Olivier Brachet, administrateur de Forum réfugiés et membre du CA de l’OFPRA, qui a quitté la séance. En particulier, les décisions ne peuvent se prendre dans un délai aussi court et ne peuvent ignorer les rapports des ONG internationales sur les situations dans les pays. Au cours du précédent CA le conseil avait pris des engagements qui n’ont pas été respectés sur les conditions d’information du Conseil et qui avaient pourtant été notées au compte-rendu.
« Nous avons toujours dit qu’il fallait une méthode, un mécanisme de révision en deux temps. A défaut de supprimer ce concept de POS, il fallait conserver une liste courte. Vouloir ajouter de nouveaux pays sans débats sérieux : nous ne pouvons pas cautionner cela
».
Cette démarche ne traduit pas une démission, mais une protestation afin d’obtenir l’adoption d’une méthode rigoureuse et non unilatérale ».

L’association réitère d’ailleurs ces recommandations quant à la procédure de désignation d’une liste nationale parmi lesquels figurent la nécessité d’un « travail sur les critères d’appréciation » et sur « l’examen de la liste pays par pays et en deux temps (une première séance consacrée aux débats ; une seconde au vote) ».

Ceci permet de comprendre que ces critères n’ont pas été appliqués pour conduire à la décision du CA de l’OFPRA.

Dans un second communiqué, toujours le même jour, l’association Forum réfugiés apportait des précisions quant au processus de désignation en indiquant notamment :
« Dans cette perspective, l’association avait versé, comme contribution aux débats, différents documents recommandant de maintenir une liste courte, la mise en place d’un mécanisme d’évaluation annuelle et de retrait en urgence, le retrait de certains pays de la liste actuelle, la définition de critère d’appréciation précis, et surtout l’examen de la liste pays par pays et en deux temps (une première séance consacrée aux débats ; une seconde au vote).
« Aucune de ces préconisations ne semble avoir été prise en considération aujourd’hui. Il est regrettable que les décisions prises le 13 novembre l’aient été sans étude préalable. Il est anormal que les documents d’analyse n’aient été transmis aux administrateurs que 72 heures avant la séance, et plus encore que l’administrateur de Forum réfugiés ne les ait pas reçus. Des décisions d’une si grande importance pour les demandeurs d’asile ne peuvent être prises avec une telle légèreté »
.

Le Conseil d’administration de l’OFPRA n’a pas pris en compte les critères précis et cumulatifs posés par l’Annexe II tant pour maintenir des pays désignés par les décisions du 30 juin 2005 et 20 mai 2006 que pour l’ajout des trois pays ni l’instabilité politique et sociale de ces pays.

Ainsi, par exemple, entre autres, pour la Turquie, il résulte du rapport annuel d’activité de la Cour européenne des droits de l’homme pour l’année 2008, qu’entre 1998 (date d’entrée en vigueur du protocole n°11) et 2008, la Turquie a été le premier pays en terme de condamnations par la Cour (1652 sur 8 172).
Les condamnations de la Turquie représentent 164 des 451 condamnations prononcées par la Cour sur le fondement de l’article 3 de la CEDH. De nombreuses affaires, dont plusieurs arrêts de principe, concernent des demandeurs d’asile (v. Jabari c. Turquie, requête n° 40035/98, 11 juillet 2000 et Mamatkulov et Askarov c. Turquie, requête n° 468279, du 7 février 2005).
Encore très récemment, la Cour européenne a de nouveau condamné la Turquie pour violation de l’article 3 de la CEDH pour le cas d’une femme iranienne entrée une première fois en Turquie, puis expulsée vers l’Iran où elle dit avoir été emprisonnée et maltraitée, et revint de nouveau en Turquie où elle s’est convertie au christianisme.
Elle-même et son fils furent d’ailleurs reconnus réfugiés pour des motifs religieux par le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations-Unies (HCRNU). Néanmoins, la décision d’éloignement vers l’Iran prise par les autorités turques n’a pas été levée et, dans cette perspective, l’intéressée est toujours détenue au Centre d’accueil pour étranger de Kırklareli (« Kırklareli Foreigners’ Admission and Accommodation Centre » - Nord Ouest de la Turquie).
La Cour européenne des droits de l’homme estime que les autorités turques n’ont pas pris assez en compte la situation de la requérante (§ 47) et s’en remet à l’analyse formulée par le HCRNU lorsque ses services l’ont interrogé. En effet, l’agence onusienne a estimé que la requérante “risquait de faire l’objet de persécutions dans son pays d’origine” (§ 48) sur le fondement de sa religion (§ 49).
Dès lors, son renvoi vers l’Iran l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 et emporterait une violation par ricochet de cet article imputable à la Turquie (§ 50) (Cour EDH, 2e Sect. 19 janvier 2010, Req. no 21896/08, Z.N.S. c. Turquie, Lettre d’actualité droits-libertés du 20 janvier 2010 par Nicolas Hervieu et CPDH 20 janvier 2010 ).

On notera en particulier que le système d’asile en Turquie est très insatisfaisant notamment ce pays, même s’il est membre du Conseil de l’Europe et partie à la Convention européenne des droits de l’homme, n’a pas ratifié le protocole de 1967 de sur le statut de réfugiés. En conséquence, les demandeurs d’asile non -européens peuvent faire l’objet d’un refoulement sans que leur demande d’asile ne soit examinée, contrevenant au principe de non refoulement, énoncé à l’article 33 de la convention du 28 juillet 1951.

Amnesty International relève dans son rapport annuel 2008, en « propos introductifs à la situation des droits humains » : que

“Le nombre des renvois forcés de réfugiés et de demandeurs d’asile vers des pays où ils risquaient de graves atteintes à leurs droits fondamentaux était en hausse. On a également signalé des expulsions entachées d’irrégularités, au cours desquelles des demandeurs d’asile ont trouvé la mort ou ont été blessés.

Sans oublier que la décision d’inscrire la Turquie sur la liste des pays considérés comme d’origine sûrs a été décidée sous l’influence  de considérations diplomatiques (Sénat, Séance du 22 septembre 2009).

En 2009, 4474 requêtes ont été attribuées à une formation de la Cour européenne concernant la Turquie, 1196 communiquées au gouvernement, 436 déclarées recevables.

Pour la Serbie, 1576 attribuées, 82 communiquées, 48 recevables.

Pour l’Arménie, 125 attribuées, 14 communiquées et 5 recevables.

Au 31 décembre 2009, 13 115 requêtes étaient pendantes devant la Cour contre la Turquie (11% des requêtes); 3197 contre la Serbie (2,7% des requêtes) et 814 contre l’Arménie.

  • Plus généralement la France est l’un des seuls pays européens à dresser une liste de pays d’origine sûrs aussi importante alors qu’elle est le 23ème pays européens dans la demande d’asile/habitant.

voir ce tableau annexé au PV

skmbt_c35310021918040.1267096479.pdf

  • Sur l’urgence, comme cela a déjà été rapporté ici, les pays choisis ou maintenus sur les listes des pays d’origine sûrs comptent parmi ceux ayant la plus forte demande d’asile et assez souvent des taux de reconnaissance significatifs.

Les tableaux joints tendent à le montrer

da-nouveaux-pos.1267095938.jpg

taux-daccord-nouveaux-pos.1267095920.jpg

tableaux-statistiques-pos.1267095311.pdf

Résultats, sûrement la semaine prochaine.


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