Dans sa dernière campagne de pub « Les rendez-vous de la santé », le groupement de pharmaciens Giphar, une SA coopérative de pharmacies, affirme sa volonté d’effectuer davantage de suivi auprès des patients. Surveiller son capital santé chez son pharmacien serait bien évidemment un service facturé aux patients.
Cette proposition s’inspire du rapport Rioli, rendu en juillet 2009 à Roselyne Bachelot. Dans ce document, il était suggéré que les pharmaciens puissent développer une prestation de suivi des patients chroniques.
Cette évolution n’est pas anodine. Du fait du développement des génériques, les marges des pharmaciens sont en effet en baisse. Ainsi, 33% des officines seraient en « situation de survie », à cause de leur endettement ou de trésorerie négative. Dans ce contexte critique et face à la menace de la grande distribution, qui fait pression pour vendre des médicaments en libre-accès, la profession cherche des sources de revenu alternatives, au point de songer dorénavant à payer leur conseil.
Le conseil paramédical pourrait il devenir une prestation payante ?
Brigitte Bouzige, présidente de Giphar, ne s’en cache pas. Selon elle, la notion de santé payante est aujourd’hui intégrée dans l’esprit du consommateur qui, depuis quelques années, est confronté au déremboursement de nombreux médicaments :
« C’est véritablement un mode de pensée nouveau et une révolution culturelle auxquels il faudra bien que nous adhérions »
Pour un conseiller de Roselyne Bachelot, les nouveaux service que Giphar propose s’inscrivent avant tout dans la loi Hôpital, patient, santé, territoire (HPST) dont l’article 38 refonde les missions des pharmaciens. Il y est précisé que les officines peuvent « proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes ». Le ministère de la Santé ne s’oppose donc pas à ce que les pharmaciens facturent certains de leurs services.
Faire économiser de l’argent à l’Etat
Pour Philippe Gaertner, président de la Fondation des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), c’est l’occasion pour les officinaux de proposer de nouveaux services :
« Le but est de mettre en place des programmes de prévention et de dépistage grâce auxquels on pourrait repérer des patients qui ne passent pas forcément par la case médecin. Ils seraient ensuite orientés vers un généraliste, ces nouvelles missions n’engendreraient aucune concurrence avec les médecins puisqu’il ne s’agirait pas de faire du diagnostic mais d’agir en complément des généralistes ». Il y aurait pour lui un intérêt collectif : « en dépistant tôt, on permet d’éviter des situation graves au traitement médical couteux, les pharmaciens pensent qu’ils pourront également faire économiser beaucoup d’argent à l’État ».
Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n’est pas du même avis. « Les pharmaciens n’ont pas à effectuer de dépistage, seuls les médecins ont cette compétence »
« Comment va-t-on faire économiser de l’argent à la sécurité sociale ? Si, à l’issue du dépistage, les pharmaciens orientent les patients vers les médecins, aucune économie ne sera générée. »
Et le financement ?
Le financement de ces nouveaux services n’est pas encore abouti :
Giphar en convient en déclarant que « pour le moment nous avons peu de choix. Il s’agira des organismes payeurs, des mutuelles, assureurs ou …… du client lui-même. »
Au ministère de la Santé, la réponse est similaire :
« Les mutuelles s’en chargeront certainement, mais à ce stade nous n’avons pas de position sur le financement de ces services. »
Résumons nous.
Avant : le conseil paramédical délivré par les pharmaciens s’intégrait dans l’acte de délivrance des médicaments. Il conseillait le médicament approprié, en toute déontologie, et lorsqu’il repérait une situation à risque, il orientait le patient vers une consultation médicale.
Ecoutez ce qu’il pourrait advenir demain :
M. Dupont a mal au ventre, en sortant du travail, il décide de passer à la pharmacie.
M. Dupont : « Mr le docteur en pharmacie, mon transit n’est pas normal depuis 6 mois, soit je suis constipé, soit j’ai la diarrhée, j’ai très mal au ventre depuis hier. »
Docteur en pharmacie : « Avez-vous une mutuelle partenaire ? »
M. Dupont, un peu agacé : « Oui, elle prend en charge le conseil paramédical du groupe Pharstar, vu ce qu’elle me coute, elle a intérêt !! »
Docteur en pharmacie : « Très bien, je vous conseille ce normalisateur de transit, il n’est pas remboursé, mais très efficace. Je vous conseille aussi de faire un bilan sanguin dans le labo partenaire de votre mutuelle, il est pris en charge à 80% par votre mutuelle, je vous remet la fiche »
M. Dupont, affolé : « Marqueurs cancéreux ??? vous pensez que j’ai un cancer du colon, docteur ? »
Docteur en pharmacie : « Non… rassurez vous, mais pourquoi s’en priver, le groupe de laboratoire d’analyse Labstar a sorti des recommandations dernièrement, elles montrent qu’il est intéressant de doser les marqueurs tumoraux en prévention ».
M. Dupont, sortant sa carte Starmut afin de régler ses soins : « Pensez vous que je doive aller voir mon généraliste pour cela ? »
Docteur en pharmacie : « Oui, c’est plus prudent, au moins pour l’interprétation de vos résultats d’analyses»
M. Dupont : «Oui, on ne peut plus compter sur les biologistes du groupe Labstar, il n’y en a quasiment plus, la dernière fois, j’ai du composer le 0800 530 6000, surtaxé à 0.30 euros la minute pour en joindre un ».
Docteur en pharmacie, goguenard : « oui, heureusement, vous avez votre pharmacien »
Ce dialogue fictif pour illustrer ce que les grands groupes ambitionnent pour notre santé. Un patient capturé d’un bout à l’autre de la chaine de soin, des diplômes de praticien servant de caution à ces pratiques, des pouvoirs publics, soit soulagé de se délester du casse tête du financement solidaire, soit véritablement complices de cette évolution.
Parallèlement, l’Ordonnance du 15 janvier 2010 portant réforme de la biologie médicale, outre qu’elle génère une profonde restructuration du secteur des laboratoires en France en risquant de détruire le service et le conseil de proximité (voir nos autres articles) interdit désormais toute facturation de consultation pour un biologiste ayant une formation bac +10, d’une compétence pourtant supérieure au pharmacien d’officine dans l’interprétation, l’orientation et le suivi biologique de pathologies chroniques. Aucune consultation n’était auparavant facturée par les biologistes, tout conseil et interprétation était réalisé à titre gratuit. Il semble que l’Etat, dont la volonté affichée était pourtant de « remédicaliser » la profession ait souhaité se prémunir de ce qu’il considérait comme un abus, la consultation/interprétation écrite ou orale, étant parti intégrante de l’acte d’analyse.
A se demander si les jeunes biologistes, dans leur combat pour conserver un exercice éthique, au service de leurs patients, n’auraient pas mieux fait de pactiser avec les bons acteurs pour s’assurer un avenir plus serein…
Le lobbying est une arme. Servons nous en pour servir les intérêts de nos patients, pas ceux de corporations mercantiles pour qui la Santé est un marché comme un autre.