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Ali Soumaré, les banlieues et le syndrome V/V/V

Publié le 26 février 2010 par Variae

Buzz à gogo, coups bas, révélations sordides et mensonges éhontés : il ne manquait plus qu’un retournement de situation spectaculaire à cette panoplie déjà bien étoffée pour que la campagne des régionales 2010 ressemble définitivement au feuilleton de l’été de TF1. C’est malheureusement ce qui est arrivé à mon colistier en Ile-de-France Ali Soumaré, victime d’une tentative de cabale médiatico-judiciaire par des élus UMP de son département. Retournement spectaculaire car avant même que la tentative de buzz ne prenne vraiment (la presse se montrant pour une fois d’une étonnante prudence), elle tournait à la fable de l’arroseur arrosé, les accusations les plus graves se révélant être fondées sur une méprise de personne. Coup de balancier en sens inverse, il n’en fallut pas plus pour que la presse acclame en héros celui qu’elle s’apprêtait peut-être à brûler.

Ali Soumaré, les banlieues et le syndrome V/V/V

Je tombai ainsi par hasard, mercredi matin, sur l’éditorial de Thomas Legrand sur France Inter (repris en substance ici), expliquant que cette affaire Soumaré allait permettre à la gauche d’enfin gagner les jeunes des cités, et qu’il était d’une certaine manière peu étonnant d’avoir un passé délictueux quand on vient des quartiers. Les jeunes des quartiers, « qui représentent une force, une vitalité incroyable, un potentiel créatif, un gisement d’avenir, toujours dénigré et caricaturé, traités de “délinquants”, justement. ». « La gauche en particulier sent bien qu’il y a là pour elle, les troupes et les cerveaux du futur », nous expliquait l’éditorialiste matinal.

Paroles généreuses, sans doute. Mais paroles stigmatisantes. Comment « s’intégrer » à la République, si ce n’est en bénéficiant enfin d’un regard normal du reste de la société ? Que ce soit en mal ou en bien, les quartiers sont systématiquement pointés du doigt et mis en spectacle, tour à tour regardés comme des zoos à bêtes curieuses et dangereuses, ou comme l’avenir de la France. Le lot des quartiers, semble-t-il, est d’être le fantasme de la République. Et trop souvent à leur sujet les mots de la gauche et de la droite se ressemblent comme l’avers et l’envers d’une mêmepièce ; quand la presse de gauche loue le « dynamisme » ou le « potentiel créatif », à l’instar de Thomas Legrand, la droite traque les enfants « hyperactifs » qui deviendront des adolescents délinquants. Un surcroit d’énergie, pour le meilleur ou pour le pire. Héros ou damnés de Marianne – mais enfants de la République parmi d’autres, ça, jamais. C’est ce que j’appelle le syndrome V/V/V, ou voyou/victime/vainqueur, alternative à laquelle se résume globalement la représentation des cités.

Les habitants des banlieues qui mènent ou aspirent à une vie normale, et essaient de s’en sortir comme les autres Français dans une période durcie par la crise, constituent sans aucun doute une majorité. Mais une majorité invisible, à laquelle les médias ne donnent pas, ou trop rarement, la parole. Aux discriminations que l’on connaît bien (économiques, sociales) et qu’ils subissent de plein fouet vient s’ajouter ce douteux privilège de ne jamais avoir droit à la banalité, ce précieux attribut des habitants des centre-villes. Quant à celles et ceux d’entre eux qui parviennent à occuper une position éminente, professionnelle ou médiatique, ils sont systématiquement et automatiquement condamnés à endosser le costume de représentant des jungles urbaines et des ghettos de la République, qu’ils le souhaitent ou non.

On ne peut que louer, encore une fois, la prudence des médias et le fait qu’ils se soient retenus de faire leurs choux gras des pseudo-révélations sur Ali Soumaré. Mais on aurait tout autant apprécié que leur défense consécutive se fonde sur le respect des principes, plus que sur une indulgence attendrie. Deux principes simples. D’abord considérer que le fait de « déconner » lorsque l’on est jeune ne veut pas dire, par une sinistre fatalité, que l’on deviendra forcément un caïd plus tard. Rappeler, ensuite, que des délits jugés (et a fortiori purgés par une peine) appartiennent définitivement au passé. Il suffisait de dire cela, par exemple avec une note d’humour comme l’a fait Vincent Peillon. Mais pourquoi vouloir tout ramener à ces zones « où a grandi et vécu A. Soumaré », où l’on ne peut grandir en restant « impeccable pendant toute sa jeunesse » ? Comme s’il fallait une excuse spéciale pour un individu spécial ? Ce qui vaut pour Ali Soumaré vaut pour tout candidat se retrouvant dans sa situation, et réciproquement. C’est tout, et cela suffit largement.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Parmi elles, la propension à répondre aux discours de droite sur « les racailles », version contemporaine de la dénonciation des classes dangereuses, par un discours de gauche sur la fatalité et l’héroïsme des banlieues, version contemporaine du paternalisme de bon bourgeois. Il n’y a pas de plus bel hommage à faire à ceux que l’on respecte que de les considérer comme on se considère soi-même – ni plus, ni moins.

Romain Pigenel


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