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Droit de critique véhémente d’un élu local par un militant associatif (CEDH 25 février 2010, Renaud C. France)

Publié le 27 février 2010 par Combatsdh

Le président d’une association locale (« Le comité de défense du quartier sud de Sens ») qui s’opposait à des projets immobiliers décidés par le maire de Sens de l’époque a publié sur le site Internet de cette association – dont il était le webmestre et responsable de la publication – divers propos très incisifs visant la politique municipale et, en particulier, le comportement personnel du maire (v. § 7-8). Il fut donc poursuivi pour « diffamation et injure publiques envers une personne chargée d’un mandat public » et condamné à une amende de 500 euros et à 1 000 euros de dommages-intérêts.

Après avoir rapidement relevé que cette condamnation était constitutive d’une ingérence au sein du droit à la liberté d’expression (Art 10) néanmoins prévue par la loi et poursuivant un but légitime (§ 28-30), la Cour européenne des droits de l’homme concentre son analyse sur le terrain de la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique (§ 31).

Dans ce cadre et à titre préliminaire, la Cour met en exergue le contexte de « polémique » au sujet de « la politique d’urbanisme » de la municipalité dans lequel ont été exprimés les propos litigieux visant une personne « en sa qualité de maire » (§ 32). Conformément à sa jurisprudence traditionnellement protectrice « de l’expression politique et militante » s’insérant dans « un débat d’intérêt général », la juridiction strasbourgeoise exige donc, en de telles circonstances, « un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression » et ne reconnaît corrélativement à l’État défendeur qu’une faible marge d’appréciation (§ 33 – pour un autre exemple récent, v. Cour EDH, 4e Sect. 2 février 2010, Kubaszewski c. Pologne, Req. no 571/04 – V. Lettre droits-libertés du 3 février 2010 et CPDH 5 février et catégorie “article 10 CEDH “).

Ce contrôle européen strict se manifeste à deux niveaux. Premièrement, la Cour juge que les propos litigieux, qui « constituent, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu de leur tonalité générale, davantage des jugements de valeurs que des déclarations de fait » (§ 37), ne sont pas « totalement dépourvu[s] de base factuelle » (§ 36 – v. Cour EDH, 5e Sect. 18 février 2010, Taffin et Contribuables associés c. France, Req. no42396/04 – Lettre droits-libertés du 18 février 2010 et CPDH 19 février ). Participent ainsi à cette « base factuelle » deux articles du quotidien national Libération (intitulés « Sens, paradis de l’insécurité imaginaire » et « A Sens, le but est de faire peur ») – éléments jugés insuffisants par la juridiction interne d’appel (§ 13). Surtout, – et même si ces considérations s’écartent curieusement d’une recherche directe de base factuelle – le contexte de « polémique d’une vivacité patente » justifie, aux yeux des juges européens, les propos visant l’élue locale (« Alors cynique, schizophrène ou menteuse, MLF ? » et « C’est je m’en mets plein les poches »). En quelque sorte, c’est l’impossibilité de dissocier ces propos – relevant de jugements de valeur – du fond des critiques – plutôt de nature factuelle – formulées contre une politique municipale et le comportement de l’élue qui semble fournir l’essentiel de cette base factuelle (§ 38). Deuxièmement, la « virulence certaine » des propos litigieux (§ 40) est absoute par l’idée que si « l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel, [il ne s’agit là que des] aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garantes d’une société démocratique » (§ 39) et par la nécessité pour « les élus [de] faire preuve d’une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l’objet » en particulier lorsque « le débat porte sur un sujet émotionnel tel que le cadre de vie des riverains d’un projet immobilier » (§ 40). De façon remarquable, la Cour étend ici au requérant le statut traditionnellement protecteur d’ « élu d’opposition » en relevant que s’il ne s’agissait pas ici « de la liberté d’expression d’un membre de l’opposition à proprement parler, ces propos relèvent de l’expression de l’organe représentant d’une association portant les revendications émises par ses membres sur un sujet d’intérêt général dans le cadre de la mise en cause d’une politique municipale » et que « le requérant engagé dans la vie politique locale, ainsi qu’en atteste notamment son élection ultérieure, s’inscrivait dans une démarche d’opposition politique » (§ 40).

En somme, « l’intérêt plus général d’assurer le libre jeu du débat politique » (§ 41), dans ces circonstances et à la lueur de l’ « effet dissuasif » d’une telle sanction (§ 42), conduit la Cour à juger cette ingérence contraire à l’article 10.

La France est donc condamnée pour violation du droit à la liberté d’expression.

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La Cour européenne considère que la liberté d’expression a été violée par la condamnation de Patrice Renaud pour des propos publiés en 2004 sur le site de son “Comité de défense du quartier sud de Sens”. Opposant à la maire de  Sens, d’alors Marie-Louise Fort (aujourd’hui députée auteure d’une loi bourée de malçons sur l’inceste), il critiquait sa politique d’urbanisme sans excéder les limites de la liberté d’expression politique.

Renaud c. France (Cour EDH, 5e Sect. 25 février 2010, Req. n° 13290/07 )

Actualités droits-libertés du 25 février 2010  par Nicolas Hervieu

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