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Toute une journée et encore le lendemain qui tournent leurs heures autour des doutes et des questions…
Tu te lèves et mes bras te prennent dans un souci protecteur…
« Prenez soins de vous… »
La porte se referme sur cet instant de douceur volé à un temps qui n’en connaît aucun.
Je titube un instant sous les coups de la fatigue. Je m’interroge sur cette avenue, triste et noire qu’il faudra remonter, le lourd sac sur le dos, plus lourd de jour en jour…
*
C. entre souriante : « T’étais au courant de la grève de lundi ? - Bé non, si j’avais su… »
Temps étrange de ces petites choses qui, si nous l’avions su, nous auraient rendu courage quand il n’y en a plus…
Il n’y en a plus parce qu’il s’est usé sur les murs lentement montés, les barrières infranchissables lentement posées en travers de nos chemins…
Il faut que le niveau de compétence monte, clament-ils.
Et de surenchérir sur de mirobolantes études qui nous feraient crever le ciel de l’excellence avec licence et master en poche…
Mais rien en trente années n’aura permis de transformer l’essai, d’élever l’ascenseur social.
Il reste bloqué au rez-de-chaussée, insensible aux attentes et aux espoirs…
La place va toujours à ceux qui sont nés avec… Les barrières se baissent au passage à niveau pour laisser passer les trains de l’aisance. Reste à la foule le loisir de meugler, toutes bannières et banderoles déployées, devant le défilé implacable de la richesse concentrée dans quelques wagons…
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Tu pleures presque de ne trouver nul endroit qui te permette de déposer ton mal être. Chacun de ceux qui te « soignent » te fait part de son amertume de ne pouvoir te proposer le lieu ouvert où se déploieraient toutes les compétences fines qui te feraient sortir de cette ornière déprimante.
Chacun, chaque jour, crie son impuissance à façonner un monde qui réponde aux attentes…
Et comme les attentes sont immenses, le flot grossit sans cesse de ces multiples insatisfactions…
Ailleurs on multiplie, sous l’égide de sourdes institutions publiques, les états généraux. On plagie quatre vingt neuf pour éviter qu’il recommence. On omet de dire que la seule consigne est de prendre un mot pour un autre. On parle de santé avec les seuls soignants. On réunit un gratin trié sur le volet pour élaborer l’acte de décès d’une profession moribonde…
Le voile de silence est de toutes les façons posé sur la vie, celle qui souffre de ne pouvoir rien dire ni faire…
Tout est aux mains de ceux du train, insonorisé pour ne rien entendre des plaintes, à chaque croisement…
La vie reste sur le bord des rails. Il y a ceux qui naissent dessus, et ceux qui sont voués aux éternels chemins de traverse. Et on vous dira que c’est ainsi depuis que le monde est monde, avant de s’en retourner, sur des canapés usés, prendre sa dose d’anesthésiant, devant des écrans bétonnés…
On compte sur la soumission et la peur pour édifier un monde plus barbare que les précédents…
Toi, tu resteras là, sur le bord de la table, avec ton sentiment de tragédie. Nul ne te tendra la main, nul ne t’ouvrira ses bras…
Pardonnes-moi de l’avoir fait, ouvrant avec eux une simple parenthèse d’humanité avant que le couvercle ne retombe, une fois la porte refermée…
Manosque, 28 janvier 2010
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