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Les enfants: un facteur de rattachement comme les autres?

Publié le 02 mars 2010 par Duncan

CJUE, arrêt du 23 février 2010, Ibrahim, C-310/08 et CJUE, arrêt du 23 février 2010, Texeira, C-480/08.

Les arrêts Ibrahim et Texeira marquent le retour en force de la citoyenneté européenne après les craintes de voir celle-ci refluer, craintes exprimées (voir notamment le blog Adjudicating Europe) à la lecture des conclusions sous l'affaire Rottman (dont l'arrêt est attendu sous peu) et, surtout, dans Foerster.

Ces arrêts sont longs et particulièrement motivés, nous n'en soulignerons donc que les traits saillants, renvoyant le lecteur aux textes des arrêts pour le surplus. Si ces arrêts apparaissent comme une marque profonde d'attachement au concept de citoyenneté, et doivent être donc accueillis avec soulagement, l'activisme de la Cour n'est pas sans poser quelques questions et pourrait avoir en fait des effets contrastés sur la libre circulation des citoyens...

Faits

Dans l'affaire Ibrahim, Mme Ibrahim, somalienne, est l'épouse de M. Yusuf, un danois, avec qui elle a eu quatre enfants (de nationalité danoise). M. Yusuf a travaillé au Royaume-Uni pendant une courte période  (octobre 2002- mai 2003) mais a ensuite quitté ce pays en 2004. Mme Ibrahim avait rejoint son mari en 2003 au Royaume-Uni. Leur divorce a été prononcé en 2004. Elle demande le bénéfice d'une aide sociale qui lui est refusée au motif qu'elle ne remplit pas les conditions de résidence fixée par le droit de l'union: elle n'a jamais été économiquement autonome et n'a jamais travaillé. elle conteste cette décision sur base de l'article 12 du règlement 1612/68. Elle disposerait, selon elle, au titre de cet article, d'un droit de séjour autonome en tant qu'ex-épouse d'un citoyen européen et que mère de citoyens européens.

Dans l'affaire Texeira, les faits sont légérement différents. Mme Teixeira, ressortissante portugaise, est arrivée au Royaume-Uni en 1989 avec son mari, également ressortissant portugais, et a travaillé dans cet État membre entre 1989 et 1991. Leur fille, Patricia, y est née le 2 juin 1991. Mme Teixeira et son mari ont ultérieurement divorcé, mais ils sont tous deux demeurés au Royaume-Uni. Mme texeira exercice effectivement la garde de sa fille. Le 11 avril 2007, Mme Teixeira a sollicité une aide au logement pour personnes sans abri. Pour prétendre disposer d’un droit de séjour au Royaume-Uni, elle se fondait notamment sur l’article 12 du règlement n° 1612/68, ce qui a été rejeté.

Décision

Le point central de ces deux affaires concerne les conditions de ressources et d'assurance-maladie: un parent peut-il se prévaloir d'un droit de séjour dans un Etat européen parce qu'il exerce la garde de son enfant, citoyen européen, sans avoir à remplir ces conditions?

Dans les deux cas, la Cour va répondre par l'affirmative.

La Cour se fonde essentiellement sur l'arrêt Baumbast et l'arrêt Lubor Gaal pour tirer cette conclusion. Ainsi, elle note qu'elle " a déjà jugé que les enfants d’un citoyen de l’Union qui se sont installés dans un État membre alors que leur parent exerçait des droits de séjour en tant que travailleur migrant dans cet État membre sont en droit d’y séjourner afin d’y poursuivre des cours d’enseignement général, conformément à l’article 12 du règlement n° 1612/68. Le fait que les parents des enfants concernés ont entre-temps divorcé, le fait que seul l’un des parents est un citoyen de l’Union et que ce parent n’est plus un travailleur migrant dans l’État membre d’accueil n’ont à cet égard aucune incidence" (Ibrahim, point 29; Texeira, point 37).

Ce droit de séjour de l'enfant découle, selon la Cour, exclusivement de l'article 12 du règlement que la directive 2004/38 n'a pas abrogé. Dès lors, cet article 12 doit être appliqué indépendamment de toute autre condition de résidence imposée par le droit de l'Union. "Il s’ensuit que les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui travaille ou a travaillé dans l’État membre d’accueil aussi bien que le parent qui a effectivement la garde de ceux-ci peuvent se prévaloir, dans ce dernier État, d’un droit de séjour sur le seul fondement de l’article 12 du règlement n° 1612/68, sans qu’ils soient tenus de satisfaire aux conditions définies dans la directive 2004/38" (Ibrahim, point 50).

Ce droit de résidence ne peut être soumis à aucune autre condition tenant aux ressources ou à la couverture maladie. Tout d'abord, l'article 12 du règlement ne prévoit aucune condition de ce type et, de plus, cette interprétation (...) est confortée par l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2004/38, qui dispose que le départ du citoyen de l’Union ou son décès n’entraîne pas la perte du droit de séjour de ses enfants ou du parent qui a effectivement la garde de ces derniers, quelle que soit leur nationalité, pour autant que ceux-ci résident dans l’État membre d’accueil et soient inscrits dans un établissement scolaire pour y suivre un enseignement, jusqu’à la fin de leurs études" (Ibrahim, point 57 et Texeira, point 68). "Cette disposition, même si elle n’est pas applicable au litige au principal, illustre l’importance particulière que la directive 2004/38 attache à la situation des enfants qui poursuivent des études dans l’État membre d’accueil et des parents qui en ont la garde" (Ibrahim, point 58 et Texeira, point 69).

En conséquence, les enfants d’un ressortissant d’un État membre qui travaille ou a travaillé dans l’État membre d’accueil et le parent qui a effectivement la garde de ceux-ci peuvent se prévaloir, dans ce dernier État, d’un droit de séjour sur le seul fondement de l’article 12 du règlement n° 1612/68, sans qu’un tel droit soit soumis à la condition qu’ils disposent de ressources suffisantes et d’une assurance maladie complète dans cet État.

L'affaire Texeira contenait quelques questions supplémentaires. Tout d'abord, le droit de séjour prend-il fin à la majorité de l'enfant? La Cour considère que c'est le cas sauf, et la juridiction de renvoi devra vérifier ce point, si l’enfant ne continue d’avoir besoin de la présence et des soins de ce parent afin de pouvoir poursuivre et terminer ses études. Ceci n'est évidemment pas de nature à rendre la situation du parent très stable (une fois la majorité de l'enfant atteinte, leur situation devient de fait très précaire) et peut-être analysé comme une concession faite par la Cour.

Seconde sous-question, le droit de séjour dont bénéficie le parent est-il soumis à la condition que l’un des parents de l’enfant ait exercé, à la date précise à laquelle ce dernier a commencé ses études, une activité professionnelle en tant que travailleur migrant dans ledit État membre? La Cour de Justice répond par la négative: rien dans l'article 12 du règlement ne suppose une telle condition d'activité économique du parent au moment précis où l'enfant commence sa scolarité.

Quelles conclusions tirer?

Ceci devrait pousser, indirectement, comme dans l'affaire Metock, les Etats à se montrer d'autant plus intransigeant dans l'application, en amont, de leur loi sur l'immigration afin d'éviter qu'un droit de résidence dérivé ne voit le jour (par le mariage comme dans l'affaire Metock ou la scolarité comme dans ces affaires). Un contrôle rétroactif de la situation du candidat-résident est en effet exclue dans les deux cas par le refus de la Cour d'imposer une condition d'activité économique au moment du commencement de la scolarité (ou, dans l'affaire Metock, par le fait que l'illégalité du séjour au moment du mariage n'avait aucune incidence sur les droits qui découlaient de celui-ci). Paradoxalement, cette jurisprudence généreuse pourrait donc induire un durcissement des contrôles.

Des arrêts qui feront date, à n'en point douter. Ils s'inscrivent très nettement dans une tendance jurisprudentielle favorable à la citoyenneté européenne et à une vision maximaliste des droits qui en découlent. On pourrait également ajouter que, de la sorte, la Cour sape encore un peu plus les sauvegardes  (conditions de ressources et d'assurance-maladie contournées, facteur de rattachement communautaire. obtenu via la situation des enfants) que les Etats membres avaient posées pour que la citoyenneté ne devienne pas un outil commode de contournement des lois sur l'immigration. Ceci ne rassurera sans doute pas les Etats qui s'étaient émus de l'arrêt Metock. Si les communautaristes  (à rebaptiser européanistes depuis Lisbonne?) se réjouiront sans doute de la place de plus en plus importante faite à la citoyenneté européenne (en conjonction avec les droits fondamentaux, ici la protection de la vie familiale), l'activisme judiciaire de la Cour de Justice pourrait bien faire pousser des cris d'orfraie à d'autres...

Voir également, sur ces arrêts, l'excellent EULawBlog.


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