J'en parlais récemment, je suis un enseignement de kung-fu depuis quelque temps. Du wing-chun, pour être très précis. Il se trouve que mon professeur s'est rendu à plusieurs reprises à Hong-Kong, dans le cadre de sa pratique. Il me confiait, en fait, qu'on ne trouvait quasiment plus d'enseignants en kung-fu en Chine continentale, ou alors, exclusivement dans sa version moderne. Les formes de kung-fu traditionnel ne sont plus enseignées qu'à Taiwan ou à Hong-Kong. Et encore !...les vieux maîtres déplorent et constatent que les passionnés, ceux qui se montrent les plus assidus et passionnés ne sont plus les Chinois eux-mêmes, mais des Occidentaux venus des quatre coins du monde, et assoiffés de cette culture ancestrale. C'est que le kung-fu, comme bien des pratiques ancestrales, a été assimilé en Chine, à ce que la Révolution Culturelle voulait éradiquer : une forme de rapport où le maître a tout pouvoir sur son disciple, et surtout, où c'est un individu isolé qui détient le savoir, et non un parti tout-puissant et unique dont la vocation est de construire scientifiquement un homme nouveau.
Les Chinois continentaux, aujourd'hui, redécouvrent leurs traditions, mais, à vrai dire, un peu tard : leurs sagesses millénaires ont été saccagées par des gardiens rouges en furie, version inquiétante et bien plus violente de nos maos hystériques de la fin des années 60 et du début des années 70, en France. Ils peinent, donc, à reconstruire leur patrimoine endommagé par les folies marxistes hystériques du début des années 60.
C'est curieux de constater comme ce mouvement a balayé toute la planète : l'apologie de la modernité s'est mué en un avatar médiocrate et stérile, le modernisme. Dans le paysage politique français, nombreux sont ceux à avoir fait partie des maos ou des révolutionnaires trotskistes qui voulaient l'homme nouveau : les Jospin, frères Cohn-Bendit, et bien des hiérarques socialistes ont fait partie de ces gens-là. Il leur est resté de cette époque le désir d'éradiquer toute forme de transmission et de tradition. Leurs vues dans le domaine de l'éducation et de la pédagogie, leur admiration béate pour les Bourdieuseries de toute sorte sont la partie la plus émergée de l'iceberg de leurs certitudes.
Ah, ils en ont rêvé, les maîtres pédagogues, de l'homme nouveau : et ils ont fait leur sale travail partout. Au Québec, en Belgique, en Chine, en France, dans les pays de l'Est, en Amérique...partout, tout ce qui pouvait distinguer l'individu a été éradiqué, car l'individu dérange, fondamentalement. Si l'excellence a été leur première cible, c'est que c'est la pente la plus naturelle pour distinguer un individu d'un autre, et donc, elle va à rebours des rêves et utopies égalitaristes. Les attaques contre l'individualisme, et, parfois, attenantes, contre le libéralisme, procèdent de la même logique : on appelle privilège ce qui contribue à l'excellence, et, sous prétexte de lutter contre les privilèges, on lutte contre l'excellence.
Ce qui est fort du collier, c'est que la plupart des droites européennes se sont emparées de ce double-discours et l'appliquent dans tous les domaines de la transmission du savoir, tout en vantant un retour à la tradition, au demeurant.
Et donc, pendant que la Révolution Culturelle, un demi-siècle après, a gagné les droites européennes (les gauches, cela s'est fait bien plus tôt que cela...), les communistes de Chine, dans le même temps, redécouvrent et recherchent, eux, la valeur de la transmission et de leurs traditions...