TÉMOIGNAGE : “J’ai commencé à chaparder à 5 ans…”

Publié le 18 novembre 2007 par Willy

TÉMOIGNAGE“J’ai commencé à chaparder à 5 ans…”


Par http://www.courrierinternational.com/


Des enfants chinois dans les rues de Pékin
AFP

C’est à Canton, dans la cuisine d’un petit restaurant, que nous avons fait la connaissance de Fang Guoguo, un ancien adolescent à problèmes.
A l’extérieur, le soleil tapait dur et Fang Guoguo, qui trimait dans les cuisines, était en nage.
A 17 ans, le jeune garçon a déjà de nombreux cheveux blancs, qui datent, selon ses dires, de son entrée en centre de rééducation pour mineurs. Après plusieurs années passées à traîner dans les rues de Canton, il avait été arrêté pour vol. A sa libération, le directeur de la maison de redressement l’a adressé au restaurant de Mlle Gui, où il travaille maintenant depuis plusieurs mois.
Il donne l’impression de quelqu’un de très propre, avec sa peau claire et son air calme et réservé. Seules ses mains, couvertes de cicatrices, attirent l’attention. Il nous explique que c’est le résultat des coups reçus à l’époque où il dérobait les téléphones portables et les boucles d’oreilles des passants dans les rues de Canton. “J’ai commencé à chaparder à 5 ans”, lâche-t-il froidement en souriant.
“Quand j’avais 5 ans, ma mère a quitté notre village pour aller travailler à Shanghai. Je suis né à la campagne dans la province du Hunan [au nord du Guangdong]. Ma famille était très pauvre et mes parents ne voulaient pas de moi. J’ai fini par venir à Canton avec un copain en montant dans un train en marche, comme beaucoup d’entre nous l’ont fait. J’avais 14 ans à l’époque.
Une fois sortis de la gare, nous nous sommes assis à l’entrée. Nous n’avions pas un sou en poche. Au bout d’une demi-heure, un type d’une trentaine d’années est venu vers nous et nous a demandé si nous avions faim. Après nous avoir donné à manger, il nous a vendus à un chef de bande. Neuf fois sur dix, c’est comme ça que les jeunes de la maison de redressement de Canton sont enrôlés dans des gangs.
Le chef m’a menacé de me battre à mort si je ne volais pas, puis il m’a emmené le lendemain de bon matin dans un quartier animé de la ville pour des ‘exercices pratiques’. Me montrant une femme, il m’a dit d’aller la détrousser, mais j’étais tellement tendu que je me suis fait prendre tout de suite et j’ai été placé en garde à vue pendant vingt-quatre heures.
Par la suite, j’ai eu plus de chance dans mes autres tentatives, sauf lors du vol qui m’a valu d’être envoyé en maison de redressement. Là, ça s’est vraiment mal passé et j’ai bien failli y laisser mains et pieds !
Dans le quartier de Tangxia, je venais de chiper le portable d’une femme et détalais à toute vitesse quand je me suis retrouvé nez à nez avec deux motards, des agents de sécurité. Ils ont tendu une barre de fer en travers de mon chemin. Je me suis jeté dessus avec toute ma vitesse et suis retombé en arrière dans le caniveau, évanoui sous la violence du choc. Quand j’ai repris connaissance, j’avais les mains et les pieds ligotés. Une grosse femme arrivait sur moi, une brique à la main en menaçant : ‘Tu vas voir : je vais te le réduire en bouillie ce pickpocket et ses trois mains !’ Et elle s’est mise à me frapper violemment sur les mains avec la brique.
La femme à qui j’avais piqué son portable avait rappliqué elle aussi avec une brique et se mit à m’écraser les pieds avec. Cela a duré une bonne dizaine de minutes avant qu’un agent en civil n’arrive et ne la stoppe. Sans son intervention, j’aurais sûrement eu les mains et les pieds réduits en bouillie !
C’était en août 2005. J’ai été placé en maison de redressement un an et demi. Là-bas, j’ai beaucoup réfléchi et je me suis dit qu’il ne fallait plus que je reprenne le même chemin. Ce que je craignais surtout, c’est le regard des autres. Je ne veux plus avoir à affronter ces regards méprisants, je veux juste mener une vie d’homme normal.
Je trouve que les gens du milieu sont très loyaux. En dehors d’eux, je n’ai personne en qui avoir confiance. Je me dispute presque tous les jours avec les autres employés du restaurant. Ils me méprisent et ne me font pas confiance. C’est pour ça que je ne me plais pas ici. Il n’y a que sur Internet que je peux me confier. La quasi-totalité de mon salaire y passe et je ne parviens pas à mettre quoi que ce soit de côté.
Je pense que je m’en irai quand j’aurai fini ma période. Pourtant, la patronne, Mlle Gui, est très gentille avec moi. Elle me verse chaque mois un salaire de 700 à 800 yuans [70 à 80 euros]. En juillet, je pense profiter des jours de congé qu’elle me donne pour rentrer dans mon village natal, revoir mon instituteur et remplir les formalités pour avoir une carte d’identité. Mais je ne veux surtout pas voir mon père. Je profiterai d’un moment où il n’est pas à la maison pour aller chiper le livret d’état civil. Je voudrais aussi piquer une photo de maman. Un de mes professeurs au palais des enfants [maison des jeunes] de Canton m’a promis de m’aider à la retrouver si j’avais une photo d’elle.”
Il y a quelques jours, Melle Gui a donné à Fang Guoguo un jour de congé pour soigner ses pieds, tout abîmés à force de tremper dans l’eau quand il fait la plonge en nu-pieds. Guoguo en a profité pour venir me voir, clopin-clopant. Je l’ai emmené au Kentucky Fried Chicken. Tout intimidé, il a demandé à prendre quelque chose de pas trop cher.
Comme il montrait de l’intérêt pour le journal, je lui ai fait visiter l’imprimerie et les bureaux de la rédaction. Du haut de notre tour d’où l’on domine la ville, il a observé longuement la forêt des gratte-ciel, le tracé longitudinal de la grande avenue de Canton et la rivière des Perles coulant au loin, avant de dire doucement : “Je pense que cette ville n’est pas pour moi…”
Fu Jianfeng, Zhang Lihong
Nanfang Zhoumo