Un publicitaire sachant choquer doit savoir choquer sans sa mère
Jacques Séguéla, ce célèbre « fils de pub » a gagné son ticket d’entrée pour La galaxie des paradoxes en expliquant (lors de son passage à l’émission de France 2, Panique dans l’oreillette, le 3-03-2010) qu’il lui arrive de « ne pas être de son propre avis » et en rappelant (à propos du travail des publicitaires) ce mot de Jean Cocteau (lui-même artiste) : « L’art est un mensonge qui dit la vérité ». Mais Séguéla rapporte aussi une anecdote qui fait rétrospectivement frémir sur l’état de la démocratie en France, vers 1970, et apprécier a contrario le chemin parcouru depuis. En effet, alors qu’il devait réaliser une pub pour les moteurs de bateau Mercury, Séguéla a eu l’idée de créer (comme on ne disait pas encore à l’époque) le buzz, en se servant de l’image du Président Georges Pompidou sur un bateau. Deux versions ensuite :
–Celle de Pascale Robert-Diard, dans son blog de chroniques judiciaires : Pompidou saisit en référé le tribunal de grande instance de Paris, pour demander l’interdiction de la mise en vente de L’Express où devait paraître cette publicité utilisant l’image du Président sans son accord.
–Et la version narrée par Séguéla dans cette émission, beaucoup plus inquiétante sur les pratiques d’antan : pour complaire à son épouse (furieuse de découvrir cette pub en avant-première), le président « outragé » aurait téléphoné sur-le-champ au patron du journal, Jean-Jacques Servan-Schreiber, pour lui signifier la censure de ce numéro ! Et Séguéla aurait alors arraché lui-même (avec l’aide d’amis) les pages incriminées de chacun des quelque 400 000 exemplaires de L’Express mis ainsi à l’index…
Quoi qu’il en soit, Pompidou vient de mettre en selle le jeune Séguéla : en le censurant, il accroît sa notoriété dans des proportions inespérées. C’est le paradoxe du soutien de l’adversaire : sans cette opposition d’un puissant, le travail de notre pseudo « pianiste dans un bordel » serait resté probablement confidentiel ! Car rien ne vaut, en pub, le battage (donc le soutien en termes d’audience et de notoriété) venu de l’adversaire : la censure illustre ce qu’elle est censée étouffer !
Prix Goncourt 2002, Pascal Quignard rappelle ainsi quelque part l’origine de la célébrité de la lettre Z. Dans l’Antiquité romaine, un sénateur romain, Appius Claudius (ignorant apparemment tout du señor Zorro) exécrait le dzêta (ζ), à l’origine de notre « Z ») au point de proposer à ses collègues de l’exclure de l’alphabet, sous prétexte que sa prononciation « contraignait à mimer un masque mortuaire » ! Le Sénat romain rejeta cet amendement « littéraire » à la lex romana, mais instaura un compromis toujours vivace : alors que le dzêta se trouvait en sixième position dans l’alphabet grec, son homologue romain, ce Z honni par Appius, fut relégué à la dernière place de notre alphabet latin. Évidemment, cette étrange intervention d’Appius ne fit que renforcer la notoriété du Z qu’il voulait ruiner !
Soutien inattendu de l’adversaire, « l’expulsion met en relief ce qu’elle exclut » : perdu parmi les autres lettres, le Z serait passé inaperçu, mais ce dérisoire combat d’Appius le valorisa en lui conférant cette position remarquable de lanterne rouge, par exemple dans l’expression « de A à Z ». En pub, dénigrer ou censurer revient donc à soutenir et à promouvoir !