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Dirty war

Publié le 09 mars 2010 par Eric Viennot
CODMW2_01 Sorti en novembre, le succès phénoménal de Modern Warfare 2 a fini par éclipser la polémique créée par la fameuse scène de l’aéroport. Tout en me gardant de tomber dans les caricatures habituelles sur le jeu vidéo et la violence, il m’a paru intéressant de revenir sur le traitement de cette scène qui pose des questions de game design intéressantes.

Rappelons rapidement les faits pour ceux qui ignoreraient de quoi il s’agit. Modern Warfare 2 fait partie de la saga Call of Duty, une série de jeux de guerre ultra-réaliste. La scène de l’aéroport arrive au début du jeu, précédée de seulement quelques niveaux. Après une introduction où l’on vous explique que vous allez être infiltré dans un groupe de terroristes, commandés par un leader monstrueux, vous vous retrouvez dans un aéroport face à de nombreux passants innocents et désarmés. Soudain les terroristes se mettent à tirer sur la foule. Vous assistez, complètement pris de court, à un massacre extrêmement réaliste. (Je précise à toute fin utile que le jeu est conseillé aux 18+). Que devez-vous faire ? Tirer sur la foule pour ne pas attirer l’attention de vos « compagnons » ? Ne pas tirer en laissant les terroristes accomplir cette sale besogne ? Le genre de  dilemme traité souvent de manière pertinente dans des séries comme 24H par exemple, série à laquelle le jeu fait évidemment référence.

Personnellement cette scène m’a mis, pendant un bref instant, dans un état de sidération que je n’avais jamais ressenti auparavant dans un jeu. En ce sens, on peut dire que la partie solo remplit sa mission. Interpeller le joueur sur la vraie nature de la guerre. Rappeler que la guerre c’est sale et que c’est loin d’être cette partie de baston sympa qu’on prend plaisir à faire entre potes, en mode multijoueurs.  Un point de vue qui fait penser à celui du cinéaste japonais Takeshi Kitano qui répondait à ceux qui lui reprochaient l’ultra-réalisme de certaines scènes, qu’il voulait montrer sans fard ce qu’est vraiment la violence et ses conséquences.

Le problème c’est qu’un jeu n’est pas un film et que la force d’un jeu c’est justement de prendre à partie le joueur en lui offrant des choix, en titillant son libre-arbitre. Or ici, passé l’effet de surprise, on s’aperçoit qu’on n’a pas d’autres choix que d’assister passivement à la scène, voire de participer avec un plaisir malsain au massacre (sauf en Allemagne où cet acte est, paraît-il, pénalisé par un game-over).  Rien ne vient récompenser le choix de ne pas tirer sur la foule. Si l'on tire sur les terroristes, on est vite sanctionné d'un game over. Fait étonnant, le joueur n’a  même pas la possibilité de tuer le chef des terroristes dans un acte suicidaire qui mettrait brutalement fin sans doute à sa mission, mais qui pourrait relever de son libre-arbitre.

On pourrait imaginer par exemple que le scénario ait prévu ce genre de rébellion, quitte à provoquer des actes encore plus terribles qui nous mettraient finalement en face de nos responsabilités. Ce genre de questionnement que les scénaristes de séries TV s’ingénient à travailler, mais en prenant soin de créer une distance nécessaire par rapport à la violence représentée, au prix de longs moments passés avec les personnages, à partager leurs sentiments et leurs doutes. Ici, la scène, située, encore une fois, au tout début du jeu, arrive brutalement. Rien ne nous y a véritablement préparés et on s’aperçoit finalement que, quoiqu’on fasse dans cette scène, cela n’aura aucune incidence sur la suite de l’histoire. Pire même, celle-ci est complètement optionnelle, les créateurs donnant la possibilité aux âmes sensibles de l’éviter !

Alors qu’est-ce qui la justifie ? Un certain nombre de critiques spécialisés (assez peu nombreux finalement) soutiennent que rien ne la justifiait en l’état. L’un s’en est même pris assez vertement à ses ambigüités, voire son idéologie malsaine.

Pour ma part, tout en reconnaissant l’excellence du gameplay du jeu, son rythme haletant, je trouve effectivement que cette scène est un peu gratuite. Les créateurs n’ont pas assumé complètement leur point de vue, en incluant ce niveau dans un ensemble plus ambitieux, scénaristiquement parlant. Mais ce n’était pas, à priori, leur priorité. Répondant à une commande d'Activision, leur mission première était, on l'imagine, de réaliser avant tout un excellent jeu de guerre, rythmé et surtout parfaitement calibré pour le mode multi. Ce qui est déjà pas si mal.

On le répète régulièrement ici, les joueurs sont nombreux à attendre des jeux qui leur parlent en adultes. Des jeux capables de les distraire et de les faire réfléchir en même temps, au même titre que certaines séries ou certains films. Mais on se rend compte, à travers cet exemple, que cela nécessite une cohérence et un travail scénaristique, ainsi que des imbrications subtiles entre gameplay et scénario que les studios n’ont pas toujours le loisir ou la volonté de mener de front, surtout quand il s’agit d’un travail de commande bien calibré. 

Mardi dernier, on apprenait le débarquement, avec perte et fracas, des deux patrons du studio Infinity Ward, créateur du jeu. Depuis, il ne se passe pas un jour sans que se répandent sur le net de nouvelles révélations sur ce qui pourrait être la cause de ce clash entre Activision et son développeur. A priori des enjeux financiers (vu les profits phénoménaux générés par le jeu ça peut facilement s’expliquer) mais aussi éditoriaux.

On se perd alors en conjectures.  Et si les ambigüités de Modern Warfare 2 pouvaient être expliquées après coup par ces désaccords qui ne semblent pas récents ? Cela n’aurait rien d’étonnant puisque le cas est souvent fréquent dans l’industrie. Editeurs et développeurs n’étant pas toujours d’accord sur le contenu du jeu, on finit par trouver une position médiane, souvent bancale en termes de création.

En attendant d’en savoir plus, je suis curieux d’avoir votre point de vue de joueurs passionnés et avertis sur cette fameuse scène de l’aéroport.


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