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Nigeria : les massacres interconfessionnels se multiplient sur fond « d’indigénéité » et de tribalisme

Publié le 09 mars 2010 par Anomalie
Jos-Nigeria.jpg [NOUVEAU MONDE INFO AVEC LE FIGARO ET ALELOO] Comme des séquences à répétition, les massacres interconfessionnels se succèdent sur le Plateau de Jos, au Nigeria, point de jonction – et point de rupture – entre le Nord à majorité musulmane et le Sud à majorité chrétienne et animiste. La nouvelle séquence de ce conflit latent, qui s’est ouverte en janvier dernier, a culminé le 6 mars avec le massacre de plus de 500 membres de l’ethnie Berom, essentiellement des femmes et des enfants, dans le village de Dogo Nahawa. Les assaillants, des nomades musulmans de l’ethnie Fulani, ont, en pleine nuit, investi le village, tiré en l’air pour faire sortir les habitants de leurs maisons, qu’ils ont méticuleusement massacrés à coups de machettes et brûlé aux cris de Allah u Akbar. De nombreuses habitations ont été réduites en cendres, et Dogo Nahawa ressemble désormais à un village fantôme. Le massacre de Dogo Nahawa répond à la chasse aux musulmans menée par les Chrétiens, qui avait dévasté le centre de Jos le 20 janvier. Plus de 300 membres de l’ethnie Fulani avaient alors été massacrés et entassés dans une mosquée. Les hostilités avaient été déclenchées par des disputes autour de la reconstruction de maisons détruites dans les émeutes de novembre 2008, qui avaient fait plus de 700 morts. Ces événements avaient eux-mêmes commencé par le meurtre de cinq élèves d’un pensionnat musulman, attaqué par des Chrétiens. Un cycle d’attaques et de représailles sans fin, dont le facteur religieux est, en dépit des apparences, loin d’être déterminant.
La raison essentielle de ces émeutes et de ces massacres à répétition se trouve en effet dans une compétition forcenée pour les ressources du riche État fédéral des Plateaux, et dans l’héritage d’une organisation sociale et tribale archaïque. Les groupes ethniques chrétiens, sédentaires, craignent de voir les groupes ethniques musulmans, nomades, accéder au statut envié « d’indigènes » qui confère de nombreux privilèges économiques et sociaux. Depuis l’indépendance, l’État nigérian n’a fait que renforcer cette distinction héritée du colonisateur britannique. L’Etat du Plateau a été créé en 1976 pour donner un foyer à plusieurs groupes minoritaires, les Gemai, les Afireze, les Jarawa, les Anaguta et les Berom, dont les membres sont pour la plupart chrétiens ; mais ces terres verdoyantes et fertiles, riches en mines d’étain, sont également peuplées, depuis le XIXe siècle, par les Haoussas et les Fulani, issus d’une ethnie à majorité musulmane qui représente plus du tiers des Nigérians. Or, dans l’État du Plateau, à l’instar de tous les « non indigènes » dans chaque État du Nigeria, les Haoussas et les Fulani sont haïs par les Chrétiens, considérés comme des citoyens de deuxième zone, exclus de nombreux postes de fonctionnaires, sujets à des quotas et à des frais d’inscription plus élevés dans les universités. Pour compliquer le tout, la ville de Jos, capitale de l’Etat du Plateau, est devenue l’abcès de fixation symbolique entre le Nord, où dominent les Haoussas majoritairement musulmans, avec néanmoins, d’importantes enclaves chrétiennes dans les grandes villes, et le Sud à majorité chrétienne, où les Ibos et les Yorubas, cohabitent, là encore, avec des enclaves musulmanes dans les villes principales.

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Daniel Bach, spécialiste du Nigeria et directeur de recherche au CNRS, explique ainsi que les émeutes et les massacres interconfessionnels prennent en général prétexte « d’incidents bénins qui, ensuite, dégénèrent. Au début de l’année, les violences ont éclaté parce qu’un musulman voulait reconstruire sa maison à la limite d’un territoire chrétien... Cela montre à quel point la situation est électrique entre les indigènes originaires de la région du Plateau et les non indigènes. Si ces derniers sont bien des Nigérians, ils sont malgré tout perçus comme des étrangers à Jos, la capitale du Plateau, puisqu’ils sont nés dans une autre région. Tous les Nigérians, qu’ils soient Chrétiens ou musulmans, sont ainsi considérés comme des étrangers dans 35 des 36 états du pays, la résidence ne signifiant pas l’appartenance à un Etat. L’indigénéité est donc une question très sensible, puisqu’elle constitue le pilier du fédéralisme nigérian. Mais ce système, mis en place pour assurer une représentation équitable des différentes ethnies, favorise au contraire le communautarisme. La région de Jos est ainsi devenue le lieu emblématique des problèmes d’indigénéité du Nigeria. Les musulmans, pour la plupart non indigènes, sont victimes de discrimination de la part des chrétiens indigènes. Ils se voient par exemple refuser de s’installer dans tel quartier de Jos ou ne sont pas représentés aux élections locales. Une opposition qui remonte au XIX siècle, lorsque la région a résisté au mouvement de revitalisation de l’islam. Depuis, le Plateau a toujours lutté face à l’islamisation ».
Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste des conflits sur le continent africain, ajoute : « Dans ces affrontements communautaires, la religion n’est qu’un étendard. Les violences ont en réalité des ressorts économiques, des questions d’accès à la terre, que masque une rhétorique sous bannière religieuse. La Constitution de 1999 est censée garantir la liberté de circulation et d’établissement des citoyens nigérians à travers tout le pays. Maintenant, au niveau du gouvernement régional, c’est plus compliqué. Dans l’Etat du Plateau, où est située la ville de Jos, il y a un parti pris en faveur des chrétiens ». La situation est également explosive depuis que le Président du Nigeria, Obusegun Obasanjo, chrétien du Sud, a confié, pour raison de santé, le pouvoir à Goodluck Jonathan, président par intérim ; les musulmans espèrent aussi tirer profit de cette configuration d’événements pour avancer leur pion et pousser au pouvoir un chef d’Etat qui servirait davantage leurs intérêts, notamment l’accession au statut d’indigène qui les mettrait sur un pied d’égalité avec les Chrétiens. C’est ce refus régulier et systématique des pouvoirs successifs de modifier la Constitution en faveur des nomades et des non indigènes qui a motivé la désastreuse décision des gouverneurs opposés au président Obasanjo d’instaurer la charia dans 12 états du Nord, en 2000.

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Magdalena Morisset, pour www.aleloo.com, précise, dans un article mis en ligne le 13 mars 2006 : « Les Chrétiens demeurant dans les Etats du Nord sont contraints de se soumettre aux pratiques islamiques. Les femmes doivent porter la tenue légale. La mixité est interdite dans les transports en commun. Les femmes n’ont pas le droit d’adresser la parole aux hommes dans la rue. Le vol est puni par l’amputation d’un membre. La construction d’église est bannie. Depuis l’instauration de la charia, 50.000 chrétiens ont été assassinés au Nigeria. Mais à travers les conflits religieux, il y a en filigrane de vieilles rancœurs ethniques. Un passé lourd à porter. Pour les Haoussas – musulmans ou non –, le Nord est leur territoire : les Yorubas – musulmans, chrétiens ou autres – doivent quitter le Nord et rejoindre le Sud. Et c’est le même scénario au Sud. Les logiques tribales l’emportent donc sur les logiques religieuses. Ces tensions ethniques et religieuses trouvent leurs racines dans le passé colonial du Nigeria. Dès le XVIe siècle, les Européens s’établissent dans le Golfe de Guinée et enclenchent la traite négrière. Les ethnies du Sud, de par leur position géographique sur la côte maritime, sont les premières raflées et paient le plus lourd tribut à la déportation. Les ethnies du Nord, du coup, demeurent les plus puissantes. Au XIXe siècle, les Anglais explorent l’intérieur du pays, et installent leur suprématie. Le Royaume-Uni adopte alors un système d’administration indirecte : les chefs traditionnels de chaque ethnie font régner l’ordre, au nom des Hauts Commissaires anglais, en échange de faibles avantages. Les ethnies du Nord – contrairement à celles du Sud vivant de manière clanique – se sont très vites adaptées au système de l’indirect rule. Le Sud, souvent en proie à la révolte, est dompté par les colonisateurs par l’intermédiaire de missionnaires protestants, qui sont finalement très bien accueillis et apportent dans leur sillage écoles et hôpitaux. Le Nord, bien plus coopératif et docile, n’a paradoxalement pas accès à ces avantages, les autorités anglaises y ayant interdit toute mission chrétienne afin de prévenir les risques de tensions religieuses susceptibles de mettre un terme à la précieuse coopération des chefs musulmans ».
Le Nigeria paie donc aujourd’hui une triple rançon. Celle de l’héritage colonial ; celle des luttes claniques, tribales et ethniques pour le contrôle des territoires ; et celle, plus récente, de la radicalisation salafiste de certains groupes musulmans, comme en témoigne le djihad lancé par le Boko Haram (secte crypto-talibane exogène aux conflits purement nationaux et tribaux entre  Haoussas et Yorubas ou Fulani et Berom), heureusement étouffé dans l’œuf et dans le sang par le pouvoir central.

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