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De l'actualité du Conseil constitutionnel

Publié le 09 mars 2010 par Bfdc

De l’actualité du Conseil Constitutionnel

A l’heure où viennent de se  dérouler trois nominations au CC, il est nécessaire  de livrer une analyse d’un système nominatif qui a atteint, selon nous, ses limites. Pierre Joxe lui-même, qui quitte ses fonctions, l’estime « périmé et dépassé »(1).

En effet les arrivées de MM Barrot, Charasse et Haenel ne sont pas sans poser problème. Des « nominations politiques » ont été décriées.

A de multiples égards elles montrent l’urgence de procéder à une révision du mode de nominations des sages. Les données politiques semblent l’avoir définitivement emporté sur celles juridiques. C’est préjudiciable à une juridiction qui dit le droit, a fortiori constitutionnel, notamment en termes d’image.

Revisitons d’abord la composition du CC avant que d’envisager les révisions possibles.

1) Sa composition

Selon l’art. 56 C les Conseil est composé de deux catégories de membres : ceux nommés et ceux de droit et à vie (2) :

- les membres nommés : au nombre de 9, ils ont choisis en raison de 3 par le président de la République, 3 par le président du Sénat et 3 par celui de l’Assemblée Nationale. Ainsi le 23 février N. Sarkozy a-t-il choisi, après semble-t-il quelques tergiversations, M. Charasse. De leurs côtés G. Larcher et B. Accoyer ont appelé respectivement H.Haenel et J.Barrot. Précisons que rien dans la Constitution n’est dit quant aux compétences juridiques requises pour être nommé. Les autorités de nominations usent ici d’un pouvoir totalement discrétionnaire. Notre éminent et regretté collègue L.Favoreu avait, parmi les premiers, souligné la spécificité française au sein de l’Europe en la matière (3). En effet la plupart des grands pays de l’UE pose des qualifications juridiques pour siéger dans leur justice constitutionnelle (professeur de droit, avocat, magistrat,…). On en reparlera.

Au sein des trois personnalités nommées en ce mois de février, aucune n’a de compétences théoriques en matière constitutionnelle (4). Jusqu’en 2007 l’exigence de qualification juridique fut assez bien  satisfaite par la pratique. En effet de 1959 à 2007, des professeurs de droit figuraient régulièrement dans la composition (F.Luchaire, G.Vedel ou R.Badinter par ex.). En 2007 le départ du président JC Colliard semble avoir scellé le sort des constitutionnalistes au Conseil.

On pouvait espérer que des noms comme ceux de G.Carcassonne, O.Duhamel, B.Mathieu ou Anne-Marie Le Pourhiet par exemple soient consacrés. Les autorités de nomination ont préféré désigner des politiques.

Signalons que depuis la révision de 2008 ces nominations sont soumises à l’ « avis » du Parlement (5).  En l’état actuel du fait majoritaire, un contre- avis semble une hypothèse d’école !

On pouvait craindre également qu’avec le départ de P.Joxe, disparaisse le dernier représentant de la gauche rue Montpensier. Le président Sarkozy en a décidé autrement avec M.Charasse, baron de la mitterrandie. Il est vrai que, comme le souligne Michelle André, sénatrice du Puy-de-Dôme, cet accessit récompense enfin « toute son action au bénéfice du chef de l’Etat » (La Montagne, 23 février 10, p. 10).

Les membres nommés le sont pour 9 ans avec renouvellement par tiers tous les 3 ans. Ils sont inamovibles et soumis à une obligation de réserve. La loi organique du 19 janvier 1995 a positivement renforcé les incompatibilités en prohibant « l’exercice de tout mandat électoral ». Ainsi M. Charasse devra renoncer aux nombreux mandats qu’il cumule (maire, conseiller général, sénateur d’Auvergne et même président de l’Association des maires du Puy-de-Dôme). De même va-t-il devoir intégrer ce qu’est le devoir de réserve, défini par l’ordonnance de 1958, qui s’impose aux conseillers. Et ce ne sera pas une sinécure pour un personnage aussi extraverti que truculent !.....

- les membres de droit et à vie : il s’agit des anciens présidents de la République. Depuis R.Coty, pas un seul  n’était venu siéger jusqu’à V.Giscard d’Estaing et J.Chirac. Ces derniers, dont l’inimitié est du domaine public, évoluent parfois dans  une sorte de cohabitation assez cocasse, notamment depuis la publication des Mémoires du second qui égratignent le premier (6) ! La présence de ces membres nous parait d’une inopportunité totale à plusieurs égards.

D’abord parce qu’ils ont nommé certains membres (ex : P.Stenmeitz et JL Debré par J.Chirac) aux côtés de qui ils siègent. Une connivence peut ainsi exister. Le « duo » Chirac/Debré nous semble un cas d’école. Ensuite certains conseillers les ont « servi » en tant que ministres (ex : J.Barrot ministre de VGE et J.Chirac). Egalement parce que, personnalités politique de premier ordre même anciennes, leur présence peut être « pesante » sur certains textes examinés. De même parce qu’ils ont un statut privilégié par rapport aux nommés (ex : pas de prestation de serment). Enfin il se murmure que, parfois, leurs connaissances institutionnelles, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas une quintessence !...

Il conviendrait, comme le préconisait le rapport Vedel  de supprimer cette catégorie, devenue surannée (7).

Il convient de rappeler qu’au titre du dernier alinéa de l’art.56 le président du CC est nommé par le chef de l’Etat et qu’il «  a voie prépondérante en cas de partage ». Cette mission est loin d’être anodine.

2) La nécessité de réviser cette composition

Depuis les années 80 environ, chaque nomination ou presque a donné lieu à la glose politico-médiatique. Celles du 23 février dernier n’ont pas fait exception, bien au contraire.

A notre sens les choses ont empiré à partir de la nomination de R.Dumas à la tête du CC en 1995 par F.Mitterrand. Rappelons que l’ancien chef du Quai d’Orsay fut le premier président des Sages à devoir suspendre ses fonctions, le 14 mars 1999 à la suite d’une mise en cause judiciaire. Puis il est également le seul à avoir démissionné desdites fonctions,  le 1er mars 2000, en raison d’affaires judiciaires (8).

L’épisode Dumas a jeté un certain discrédit sur l’institution. D’autant que c’est sous sa présidence (et son influence) que les neufs Sages ont décidé en 1999 d’une sorte d’ « intouchabilité » du président de la République durant son mandat (9). A nos yeux il convient de fixer des qualifications juridiques et de « parlementariser » les nominations.

- des qualifications juridiques

On l’a souligné plus haut, aucune qualité juridique n’est requise en France pour être nommé au Conseil (10). Les autorités de nomination désignent donc qui elles veulent. Le problème crucial c’est que ces autorités sont, par définition et par fonctions, politiques.

Leurs choix, libres, sont donc du même acabit. Les renouvellements effectués le 23 février traduit sans conteste aucun le retour en force des hommes politiques, nonobstant leurs qualités respectives, au détriment des juristes purs et durs. Trois parlementaires d’un coup cela fait beaucoup. N’en déplaise à M. Barrot, le droit (constitutionnel) doit rester l’axe majeur du Conseil, et même une fin en soi et non un moyen. Et contrairement à ce qu’il a affirmé (Le Monde, 25 février 10, p.10) il est impératif de « transformer le Conseil en Cour Constitutionnel »…comme dans les principaux pays de l’UE.

A l’instar de la majorité des pays européens il conviendrait de poser des règles en la matière. Par exemple qu’au moins la moitié, sinon l’ensemble, des candidats soit titulaire, a minima, d’un diplôme d’études supérieures en droit ou sciences politiques (3è cycle ou doctorat) et/ou ait exercé des fonctions d’avocat, magistrat, professeur de droit durant une durée minimum (10 ou 15 ans par ex.).

Nous serions même tenter de réclamer, au risque de plaider pro-domo, qu’il y ait même un nombre minimum de professeurs de droit public (2 par ex).

On nous rétorquera que la qualification juridique qui prévaut dans les autres pays n’est pas le gage absolu de la qualité des membres et des décisions. Exemple la Cour Suprême aux Etats-Unis. Mais,  tout de même, on est en droit de penser que pour analyser la Constitution, mieux vaut avoir affaire à des constitutionnalistes qu’à des sociologues ou philosophes ! « A chacun son métier… »,  serait-on tenté de rappeler.

- « parlementariser » les nominations :

Il nous semble important de donner au Parlement le pouvoir de nommer 6 membres du Conseil (11). Cela pourrait se faire, par exemple, à la majorité des 3/5è, 3 au Sénat et 3 à l’Assemblée. Un projet de loi organique va bientôt être voté en ce sens par le Parlement, précisant les modalités de contrôle sur les nominations.

A l’instar du système existant au Tribunal Constitutionnel espagnol où huit des douze membres sont élus par les 3/5 du Parlement. On retrouve d’ailleurs ce système électif dans la plupart des grandes démocraties européennes et aux Etats-Unis (12). Cette désignation parlementaire permettrait de donner à la majorité des membres du Conseil Constitutionnel, une légitimité plus forte qu’elle ne l’est actuellement. L’onction du suffrage est toujours préférable à des nominations politiques.

On ne saurait achever sur ces révisions sans constater que la composition du Conseil issue des nominations du 23 février, laisse toujours la part trop belle à la gente masculine. En effet il n’y a plus qu’une conseillère femme en la personne de Mme de Guillenchmidt. On regrettera que la parité ne soit pas de mise au Conseil pourtant en charge de la faire respecter (13) !

Au moment de conclure qu’il nous soit permis de dire que, nonobstant les critiques et suggestions faites sur sa composition, nous sommes de ceux qui soutenons l’action du Conseil. En effet, et notamment dans sa mission de contrôle de constitutionnalité, il apparait que le Conseil assume objectivement, avec impartialité et qualité sa tâche. Il censure régulièrement des textes importants, quelle que soit la couleur politique de l’exécutif ou de la majorité d’où proviennent les textes. Il en avalise aussi de la même façon. Le célèbre « devoir d’ingratitude » cher à G.Vedel et R.Badinter. Et à ceux qui critiquent parfois le gouvernement des juges, on redira qu’il vaut toujours mieux qu’un gouvernement sans juges….

Raphael PIASTRA

Maitre de Conférences à l’Université d’Auvergne.

 

Notes :

1) Réaction devant l’association des journalistes parlementaires en date du 24 févr.-10 ; voir aussi son livre consacré à son mandat au Conseil : « Cas de conscience », Labor et Fides, 2010 ; de même interview de D.Rousseau l’Expres.fr, 25 février ; en revanche opinion inverse de G.Carcassonne approuvant l’actuel mode de désignation (ibid).

2) L’organisation du CC est régie par l’art.1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958

3)  Louis Favoreu, Les Cours constitutionnelles, Que-sais-je ? PUF, 1986.

4)  M.Charasse est officiellement « fonctionnaire d’Etat » (site du Sénat). Il a une Licence en Droit et fut élève à l’IEP Paris. Outre ses fonctions ministérielles et ses  mandats d’élu auvergnat, il fut aussi conseiller en charge des questions constitutionnelles auprès du président Mitterrand.

De son côté H. Haenel (cf son site) est licencié en droit et fut membre du CE (77-86) et professeur associé (droit public) à Marseille III durant la même période. Il est également vice-président du Cercle des Constitutionnalistes. Mais il est surtout un élu local alsacien.

J.Barrot est « avocat » (site Sénat) et aussi licencié en droit et diplômé de l’IEP Paris. Mais il fut avant tout ministre (à 5 reprises), élu local et commissaire européen.

5) Art. 13 et 56 C. Il s’agit d’abord d’une sorte de grand oral, non noté et suivi d’aucun vote, devant les commissions des lois du Parlement, qui a eu lieu le mercredi 24 février.

6) J.Chirac, « Chaque pas doit être un but », Nil éditions, 2009.

7) La Documentation Française, 1993. S’il faut vraiment occuper (et augmenter ?) leur retraite pourquoi ne pas leur donner une place de sénateur à vie, comme en Italie ?

8) Suite à sa mise en cause dans l’ « affaire Elf », il fut condamné en 2001 par le tribunal correctionnel de Paris et relaxé par la CA de Paris en 2003.

9) décision 98-408 DC, 22 janvier 1999, Cour Pénale Internationale. C’est la période où les affaires judiciaires débutent pour J.Chirac.

10) Seule la jouissance des droits civils et politiques est requise (art.10 de l’ordonnance de 1958).

11) Les 3 autres membres pourraient toujours être nommés par les présidents de la République et du Parlement.

12) Cour constitutionnelle allemande : 8 membres élus par le Bundesrat et 8 par le Bundestag ; cour belge : le roi choisit sur des listes présentées par le Parlement ; cour italienne : 3 des 15 membres sont élus par le Congrès ; les juges de la Cour Suprême américaine sont nommés par le président puis avalisés (ou pas) par le Sénat.

13) La première femme nommée en 1992 par F.Mitterrand fut Noëlle Lenoir. En revanche l’Auvergne devient la région la plus représentée avec MM Barrot, Charasse et Giscard d’Estaing.

Addenda :

Composition du CC à l’issue du renouvellement de 2010 :

Président : JL Debré (nommé en 2007)

Membres de droit et à vie : J .Chirac et V.Giscard d’Estaing

Membres nommés :

Mme de Guillenchmidt (nommée en 2004) ; MM Barrot, Canivet (nommé en 2007), Charasse, Denoix de St Marc (nommé en 2007) ; Haenel ; Pezant (nommé en 2004) ; Steinmetz (nommé en 2004).


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