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Ludwig

Publié le 10 mars 2010 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

C'était un ancien médecin qui commençait à perdre la boule, tout seul dans son petit appartement de la petite maison de retraite.
Un ancien medecin de grande culture cependant dont les plus beaux lambeaux restaient imperturbables (il était ainsi incapable de vous dire le nom de la rue mais récitait d'un coup tous les archanges de l'ancien testament ou jouait une heure au piano du Beethoven sans partition).
C'était enfin un homme délicieux... Difficile à suivre car de plus en plus angoissé face à sa perte de mémoire et de raison mais aussi, encore et surtout, un homme poli et solaire, serviable, plein d'humour, bonhomme.

Mais evidemment la maladie gagnait du terrain et sa maison de retraite simple ne suffisait plus alors il devait déménager et j'avais commencé à faire doucement mon "deuil"...
Et il a commencé à visiter d'autre maisons...

Sauf que la veille de son départ définitif, au retour d'une promenade, il est tombé dans l'escalier de pierre de la cour et ne s'est pas relevé.
Sa tête a violemment heurté le sol et il n' a même pas repris conscience... En moins de douze heures (le temps qu'on me prévienne en fait entre mon passage du matin et celui du soir) il est parti.

...
...

Je vous ai dit que j'ai toujours un peu un soucis avec la mort de mes patient mais vraiment celle là je ne l'accepte pas, celle là j'ai mis un temps fou à m'en remettre...
D'abord à cause de la violence du choc qui, pour tout dire, me fait presque mal à la tête quand j'y pense...
Ensuite à cause de l'absurde: ce n'est pas possible de dire "à tout à l'heure" à quelqu'un et qu'il soit déjà mort quand on revient le soir...
Pas après l'avoir porté a bout de bras aussi longtemps, merde alors... Merde et re merde, qu'on me laisse au moins le temps de leur dire au revoir, c'est pas grand chose tout de même...
Enfin à cause de Beethoven. Les derniers jours de la prise en charge, la musique, un disque en particulier parmi la centaine de chef d'œuvres qu'il avait chez lui le rassurait et lui rappelait son passé, l'ouvrait comme un tabernacle, provoquait une rencontre... Alors je ne suis pas très sentimental (ni très matérialiste) mais c'est un disque que j'aurais aimé récupérer (un disque que de toutes façon je vais m'acheter hein mais bon) parce qu'il m'évoque un souvenir très particulier que j'aimerais "garder" aussi...

Mais bon, la famille ne m'a même pas appelé pour m'annoncer le décès ou les funérailles (que j'ai appris dans la presse); même pas appelé pour me remercier non plus alors que j'ai souvent parlé avec eux pendant des années...

Alors merde tiens.

Merde et re-merde.

Il n'y aucune morale à cette histoire.


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