Intéressante interview de Laurent Davezies dans Les Echos du 9 mars sur la situation économique des régions françaises à la veille des élections. On y retrouve ses principales idées, déjà exposées dans son ouvrage sur « La république des territoires », en particulier celle (sans doute la plus féconde) sur la distinction entre territoire productif et territoire résidentiel. La France (comme tous les pays) serait partagée entre deux types de territoires : ceux spécialisés dans la production mondialisée (les métropoles, dont la région capitale) et ceux (le reste) vivant essentiellement de la présence de ménages tirant leurs revenus de l’extérieur (retraités, touristes, résidents secondaires). Administrations publiques, Bâtiment, Commerce, services à la personne dépendent ainsi largement du nombre d’habitants (et de leurs revenus) présents sur un territoire. Industries, services aux entreprises, transports relèveraientplus de la compétitivité et de l’attractivité d’un territoire.
Un cas extrême d’économie résidentielle serait le Languedoc Roussillon où, comme le dit Davezies, « le revenu des ménages n’est plus un output final d’un système productif mais un input qui produit de la valeur ajoutée ». Autrement dit, l’activité économique locale (la valeur ajoutée) dépend de la présence de ménages dont le revenu vient d’un système productif externe à la région.
Dans ce texte, très riche et dont devraient s’inspirer tous les futurs décideurs régionaux sortis des urnes, deux choses m’ont gêné :
·La Région n’est pas l’espace géographique approprié pour appliquer la typologie des territoires de Davezies. Autrement dit, il n’y a pas en France des régions de production et des régions de résidence. C’est à l’intérieur de chaque région qu’il faut, en réalité, faire la distinction. Ainsi l’économie de la métropole toulousaine est profondément insérée dans la mondialisation alors que l’immense majorité de Midi-Pyrénées relève de l’économie résidentielle.
Il est désormais assez largement reconnu (y compris par Davezies) que c’est le fait métropolitain qui est la caractéristique structurante du développement économique des territoires. C’est autour d’une métropole, à rayonnement mondial, continental, national ou régional, que se structure un territoire. A charge pour chacun de ces territoires d’exploiter les potentialités de sa métropole, en la reliant à son hinterland, en la connectant au réseau des métropoles, en concentrant son système de formation supérieure, etc.
Si l’approche de Davezies est essentiellement nationale, elle se prête tout autant à une déclinaison plus locale et les exécutifs régionaux gagneraient à construire leurs visions de développement à partir de ce schéma. Ce n’est malheureusement que rarement le cas, ne serait ce que parce que chaque territoire a du mal à se reconnaître dépendant d’une richesse produite ailleurs, surtout de la capitale régionale. Difficile pour un élu des Hautes Pyrénées d’assumer ainsi sa dépendance au dynamisme toulousain, alors que les migrants alternants, les résidents secondaires ou les retraités toulousains irriguent le piémont pyrénéen.
·Seconde gêne, le refus d’assumer cette spécialisation des territoires entre production et résidentiel. Davezies estime, en effet, que la compétition entre territoires pour attirer des ménages à revenus externes « pourrait mettre en panne les métropoles » en privant celles-ci de revenus importants. Il conviendrait donc de continuer à chercher à promouvoir, sur tout le territoire national, des activités productives, déconnectées de la présence de ces ménages. Ce diagnostic (et les arguments qui l’accompagnent) me laisse triplement sceptique :
- je ne vois pas en quoi l’effet d’attraction du littoral sur les retraités parisiens nuit au dynamisme de la région capitale. Symétriquement, la région capitale est la première destination touristique au monde et n’est pas concurrencée par la Bretagne ou la Côte d’azur ;
- ce système de circulation des revenus à travers l’espace national ne menace pas, au moins en France, l’intégrité du pays (l’Ile de France n’envisage pas de se séparer du reste de la France, alors que les Flamands ne veulent plus payer pour les Wallons, les Lombards pour les Calabrais ou les Catalans pour les Andalous) ;
- je n’imagine que trop bien les politiques de subventionnement qui naîtraient de la volonté d’élus locaux de construire à tout prix des usines à la campagne.
Mieux vaudrait, en fait, assumer les avantages comparatifs de chacun : aux métropoles, le soin prioritaire d’attirer les entreprises luttant dans la mondialisation (ce qui n’exclut pas de rendre agréable le cadre de vie des ménages résidents) ; aux autres territoires, celui d’offrir le cadre de vie et les services aptes à attirer les ménages (ce qui n’interdit pas de créer les conditions pour que les entreprises prospèrent). C’est déjà comme ça que cela fonctionne : pourquoi aller contre ?