Elle m'énerve la femme que j'aime. Elle me jette mes chaussettes à la tête, me traite d'abruti, puis m'embrasse. Avant de partir, elle me lâche deux phrases absolument antinomiques : "tu m'aimes ?". Puis "au fait, n'oublie pas d'aller voter".
Je n'ai pas envie de lui dire. Ce dimanche, je n'irai pas voter. J'ai pris la tête à mon meilleur ami en 2002, parce qu'il n'avait pas été voter. Je me suis presque fâché avec lui. Et là je me retrouve comme un con. Avec une chaussette sale par terre (l'autre est restée sur ma tête, tel un chapeau usé et odorant). J'ai envie de lui crier "mais qu'est-ce que je vais voter entre la droite débile et la fausse gauche ???".
Pas le temps. Ma fille m'explique avec des arguments soniques que la démocratie, elle s'en fout. Tandis qu'elle boit son lait et ramasse ses céréales, je lui demande si elle préfère Didier Robert à Paul Vergès. Elle me gargouille qu'elle a un faible pour Aniel Boyer, parce qu'il la fait fait rigoler. Kit ta mèr, ma fille, nou koz sérié, nou là....
Bon, je la prends dans mes bras. Je lui dis que c'est très important d'aller voter, parce que sinon...
Et elle éclate de rire. Alors on va manger une glace. Et pendant qu'elle pèse sur mes épaules, alors que je vois ceux qui crient leur joie éphémère, et qui chassent les perdants d'un jour, je la serre fort dans mes bras.
Et je me prends à détester les voleurs d'amour.
François GILLET