Rose vert

-Eh bien, m’ame Daube, qu’est-ce que vous en dites ?
-Du réchauffement ? Regardez mon bout de nez, vous avez la réponse. Laissez barboter l’ours polaire, c’est pas une bête pour nous.
-Vous n’y êtes pas. Vous gelez !
-Alors la froideur de la première Dame ? J’en dis qu’elle nous couve quelque chose, et quand on connaît ses dadas, on peut tout craindre…
-Vous n’y êtes toujours pas, mais ça se réchauffe.
-Ecoutez, m’ame Michu, ou vous ramollissez, ou vous devenez facétieuse. Dans les deux cas, c’est mal venu de me retenir avec vos énigmes sur cette banquise et à cette heure. Dites vite.  J’ai des engelures à soigner et un pigeon à farcir.

-Vraiment vous ne voyez pas de quoi je parle ? Quelque chose de meumeu…
-La cote du Président ? Si ça vous régale, m’ame Michu, moi pas. Quand il sera cuit, ce p’tit coq, dites-moi ce qu’on mettra au pot à sa place ? La dondon ? Le doudou ? Le dindon ? Le coucou ? Vous rirez moins.
-Je ne parle pas de ça non plus, mais vous brûlez. Cherchez encore.
-J’ai plus l’âge de cache-tampon. Même les CP n’y jouent plus, ils préfèrent le foulard…
-Enfin, m’ame Daube, revenez sur terre, on est quel jour ?
-Dimanche, à ce qu’il paraît.
-Et qu’est-ce qu’on fait ce jour-là ?
-Si vous pensez à la messe, j’ai passé l’âge aussi. Depuis trente ans qu’on s’y  donne la paix à la volée comme au bar-tabac et qu’on y prend l’hostie debout comme au fast food, pour moi c’est l’abstention.
-Eh bien voilà, m’ame Daube, l’abstention, vous y êtes ! Je résume : aujourd’hui dimanche 14 mars, on vote pour les Régions : la gauche a déjà tué le veau gras, la droite acheté le bicarbonate, et vous bientôt farci le pigeon…
-Voilà donc ce qui vous émoustille ! Les élections régionales ! Vraiment, m’ame Michu, je vous trouve bien fleur bleue pour nos âges.
-Non, moi c’est rose, très fleur rose à feuilles vertes, et vous verrez que ce soir, sur l’écran du vingt-heures, ça sera le bouquet.
-Dites plutôt le gâteau, genre tarte découpée à la diable : deux grosses parts et des lichettes. Eh bien, moi, M’ame Michu, ça me coupe l’appétit, cette cuisine. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est que ces vingt-six couverts , hein ? Je ne vois que deux assiettées comestibles : la commune et le pays ; deux cuistots présentables : le maire et le Président, à la rigueur le député comme guide gastronomique. Tout le reste, M’ame Michu, c’est de l’amuse-gueule et de l’attrape-nigaud… Quant à votre « rose vert » ! Y a trois couleurs en France : le rouge, le blanc et le bleu. Sauf votre respect, le rose c’est pour les demoiselles, le vert pour les cadavres.
-Bon, pas moyen de causer aujourd’hui, vous êtes à cran.  Moi qui pensais vous inviter ce soir pour une soirée-résultats, avec tisanes et quatre-quarts.
-Désolée, je suis pas très concours, Miss, Césars et compagnie, je préfère un bon trileur : moins d’hémoglobine et plus de suspense. D’ailleurs, ma p’tite, vous oubliez que c’est à deux tours, vos Régionales… Allez, d’accord pour votre invitation, mais dimanche prochain. Je viendrai avec vous sabler le mariage du rose et du vert : quelque chose comme caca d’oie. Et dites-vous bien qu’il auront beau danser le « Ça ira »,  dans deux ans ces gens-là seront marron.

Arion