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On peut en faire des parallèles entre l’intrigue complexe du nouveau Polanski et la situation judiciaire de l’auteur, on peut y voir de nombreux fantômes: l’Amérique en second plan, ennemie; le caché en arrière plan, spectre de la conscience ; le passé en premier plan, que l’on se prend en pleine face comme un boomerang. Mais, au-delà des résonnances intimes, on y voit surtout une seule chose, essentielle et suffisante: un sublime chef-d’œuvre, d’une maîtrise incroyable, tendu comme le silence, majestueux comme le cadre, d’une inquiétante sournoiserie où le pire surgit d’on ne sait où, menace permanente et animale, domptée par un maître de cinéma, qui offre ici une gigantesque leçon de savoir-faire, habile dans le contrôle total de son récit à tiroirs, amusé, amusant, ludique, oppressant, insaisissable, empruntant de nombreux chemins hitchcockiens pour mieux y tatouer sa patte, pris tout aussi bien de folie que de sagesse dans sa mise en scène. Polanski est de retour: thématiques habituelles (la paranoïa, le secret, le huis-clos) et souffle nouveau, tout concourt à faire de ce Ghost-Writer là un temps fort de l’année cinématographique. Un temps fort pour toute une carrière d’artiste, aussi. Traînant une atmosphère tout aussi envoûtante que stressante, et convoquant modernité et nostalgie, Polanski effectue une fouille des âmes impeccable, rarement aussi réussie dans le genre du thriller. Les poussées dramatiques et humaines sont intenses, l’aspect politique parfaitement creusé, le travail sur la photo et le son absolument époustouflant. Dans un régal d’images semblant être étudiées à la seconde près, et dans un ballet champ/hors-champ diabolique et manipulateur, Polanski s’implique et implique, tirant les ficelles d’une danse effrénée, mensonges et vérités s’affrontant jusqu’au prodigieux final où feuilles et mots au vent, on assiste à la renaissance grandiose d’un cinéaste.