La fumée de la bataille des Élections Régionales est à peine retombée que le gouvernement, totalement autiste au message des urnes, recommence de plus belle son « action » politique, caractérisée par la devise « On n'a rien fait, et si maintenant on faisait une pause ?« . Et comme cette « action » se doit d'être tous azimuts, Christine Lagarde s'est empressée, dans un entretien au Financial Times, de demander que les autres pays aussi ralentissent, à commencer par l'Allemagne.
Rendez-vous compte, aussi !
C'est vraiment trop injuste !
Alors que la France déploie des trésors d'ingéniosité pour ne pas broncher et remettre à plus tard tout ce qui pourrait, même de loin, ressembler à une réforme, et que le pays s'enfonce dans les déficits au gré d'une balance commerciale depuis bien longtemps entrée dans le champ de l'humoristique, nos voisins Teutons n'en finissent plus d'exporter à tout va et de faire ainsi rentrer des devises dans leur pays, alors que la crise fouette violemment.
L'analyse de notre ministre de l'économie n'a donc pas tardé, surtout qu'on l'avait excitée avec pusillanimité en lui collant un gros micro mou sous le nez – les Politiciens, c'est comme les chiens de Pavlov qui salivaient quand ils entendaient la cloche du dîner : dès qu'on leur tend un micro, paf, ils ne peuvent s'empêcher d'aboyer un ou deux commentaires, généralement stupides et navrant.
Cette fois-ci, ça n'a pas loupé ; la voilà qui nous sort, dans un souffle :
« Ceux avec des excédents pourraient-ils faire un petit quelque chose ? Chacun doit y mettre du sien. Il est clair que l'Allemagne a accompli un extrêmement bon travail au cours des dix dernières années environ, améliorant la compétitivité, exerçant une forte pression sur ses coûts de main d'œuvre. Mais je ne suis pas sûre que ce soit un modèle viable à long terme et pour l'ensemble du groupe de la zone euro. Il est clair que nous avons besoin d'une meilleure convergence ». »
En English, ça le fait encore mieux, puisque « extrêmement bon travail » donne alors « awfully good job« , avec toute la subtilité d'un « awfully » qui fleure bon le « double-entendre« .
On est donc, ici, dans le domaine du surnaturel : comme l'Allemagne fait, globalement, des produits de bonne qualité, avec un coût de main-d'oeuvre plus bas et qu'elle arrive à vendre bien mieux que la France, elle mettrait en péril l'ensemble de la zone euro…
Si la France ne court pas assez vite avec ses boulets, plutôt que les retirer, autant en filer une douzaine à l'Allemagne aussi, histoire de clopiner de concert. Cette logique me laisse pantois.
Ce qui vient ensuite est, finalement, du même acabit bien que démontrant encore une fois une prise de distance sidérale avec la réalité, qui met un vent solide à Pioneer pourtant déjà assez éloigné des considérations terrestre. Mais Christine est déjà bien au-delà. C'est aussi ça, le pouvoir de l'argent du contribuable : il permet de plier, sans douleur personnelle, l'espace-temps à ses petites lubies.
On apprend donc qu'elle estime aussi que la zone euro – c'est-à-dire, ici et en clair, les Allemands et nous, quoi – doit au préalable s'assurer que la Grèce respecte les mesures d'austérité auxquelles elle s'est engagée, puis fasse preuve « d'un peu de créativité et d'innovation » et utilise les règles européennes en vigueur pour renforcer la discipline budgétaire.
Créativité et innovation qui sont, comme chacun le sait, les mamelles prolifiques du gouvernement français sur les 30 dernières années, notamment en matière de taxation, de dépenses idiotes et de gabegies babylonesques… Mais je ne suis pas sûr que c'est de cela dont M'ame Lagarde voulait parler.
La situation est donc la suivante : l'un des pays les plus endettés de la zone euro, des plus prompts à faire de la dette, des plus immobiles en matière de réformes et l'un des plus taxatoire se permet, par sa ministre, de reprocher à l'un de ceux qui s'en sort le mieux de trop bien faire, et de faire la leçon à celui des autres pays qui aura suivi exactement les mêmes travers que la France.
Ce n'est plus du toupet, ce n'est plus de l'aplomb, c'est un mélange subtil de cuistrerie et d'inconséquence décontractée qui, de nos jours, semble de plus en plus livré en shrink-wrapped avec le maroquin.
Évidemment, la réponse allemande n'a pas tardé, et elle est, bizarrement, plus logique que les pathétiques raisonnements lagardiens : « Il est plus profitable de réfléchir ensemble à une stratégie de croissance, plutôt que d'obliger certains à se retenir artificiellement. »
Autrement dit : plutôt que nous tancer bêtement avec vos conseils à la con, suivez plutôt les nôtres et tentez plutôt de faire ce que nous avons fait, à commencer par arrêter de tripoter votre économie à grand coup d'interventionnisme idiot, comme on peut le déceler dans un « Nous ne sommes pas un pays qui décrète les salaires ou la consommation » plutôt bien envoyé.
Il va de soi que ceci passera bien loin des visées de la ministre française, déjà probablement partie caqueter d'autres bêtises ailleurs. Mais de toute façon, je ne vois que trois raisons pour expliquer les saillies lagardesques :
l'explication médicale : elle ne comprend pas ce qui se passe car elle n'est pas équipée pour et ne maîtrise pas totalement les muscles de sa langue. Effet secondaire du botox ?
l'explication systémique : elle sait que Ce Pays Est Foutu et joue la montre en s'agitant dans les couloirs sur un air de rumba. Ça occupe un peu les journaleux et ça camoufle un tantinet la misère.
Finalement, le lecteur choisira.
Texte repris avec l'aimable autorisation de l'auteur. Image : Christine Lagarde à l'Université d'été du MEDEF en 2009. Auteur : Medef. Licence : CC Paternité 2.0