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Djibouti entre opportunisme et verrou de puissance

Publié le 16 mars 2010 par Infoguerre

La république de Djibouti s’affiche désormais comme un état politiquement stable d’environ 700000 âmes. D’une superficie de 23.000 km2 où les 9/10ème de son territoire sont recouverts de désert, Djibouti ne dispose ni d’agriculture, ni de ressource en matière première, n’exporte quasi rien et tire 75% de son PIB du tertiaire. Alors, comment ce petit état, indépendant depuis 1977, est-il devenu un acteur incontournable en Afrique de l’Est ?

Une position géostratégique.

Il faut au préalable restituer Djibouti dans son contexte géostratégique pour mieux appréhender sa position émergente dans la sous région. D’une superficie équivalente à celle de quatre départements français Djibouti est située dans la corne de l’Afrique, au débouché du détroit de Bab-el-Mandeb qui sépare la Mer Rouge de l’Océan Indien. Son territoire est limité au nord par l’Erythrée, à l’ouest et au sud par l’Ethiopie, au sud-est par la Somalie et à l’est par l’Océan Indien, soit 515 km de frontières et 372 km de côtes. Djibouti partage avec le Yémen les côtes longeant le détroit de Bab el Mandeb. C'est à la fois un emplacement stratégique de taille et l'un des couloirs de navigation les plus fréquentés au monde (axe Europe – Moyen-Orient – Asie) où 12% du trafic maritime et 30% du pétrole brut mondial y transitent. Depuis 2001, l’essor et la croissance économique de Djibouti perdurent. En revanche, les états frontaliers de Djibouti ne présentent aucun facteur de stabilité tant intérieur qu’extérieur. L’année 1974 a marqué la destitution de l'empereur Hailé Sélassié Ier et une révolution que mena certains territoires à l'autodétermination. L'Érythrée déclare son indépendance en 1993, après des années de lutte armée. Une guerre meurtrière éclate entre les deux pays de 1998 à 2000. Depuis 5 ans le processus de paix entre les deux pays est dans l’impasse et leurs relations inexistantes (frontières fermées et relations diplomatiques rompues). Parallèlement à ces événements, la Somalie n'a plus eu de gouvernement central depuis la fin de la dictature de Siad Barre en 1990. Le chaos qui y règne reste toujours un facteur de déstabilisation régionale de grande ampleur. Addis-Abeba considère toujours avec méfiance son voisin somalien, redoutant les projets de « Grande Somalie ». Après une intervention militaire, l’armée éthiopienne ne s’est toujours pas retirée de Somalie. L'Érythrée livre désormais à l'Éthiopie une guerre par procuration en Somalie, où elle compte parmi les principaux soutiens aux insurgés islamistes qui combattent l'armée éthiopienne. Enfin, le Yémen malgré un ancrage officiel dans le camp occidental et une coopération avec l’Europe pour le contrôle de ses côtes, reste un foyer d'instabilité chronique. Le Président de la République de Djibouti, Ismaël Omar Guelleh est à l’origine des accords d’Arta (août 2000), qui ont débouché sur la création du Gouvernement National de Transition (GNT) somalien, lequel n’a cependant jamais été en mesure d’imposer son autorité. Les relations avec l’Ethiopie, qui n’a plus de façade maritime depuis la création de l’Erythrée en 1993, se sont renforcées à la faveur du conflit éthio-érythréen (1998 – 2000) : 75 % de l’activité portuaire de Djibouti est à destination de l’orthodoxe Ethiopie. Les relations diplomatiques avec l’Erythrée ont été interrompues entre novembre 1998 et mars 2000, après la mise en cause de la neutralité Djiboutienne dans le conflit éthio-érythréen. Depuis avril 2008 un différend territorial les opposent au Ras Doumeira. Ces conflits permanents et inextricables, entretenus ou non, donnent à Djibouti des gages de bonne gouvernance essentiels à l’implantation d’investisseurs. 

Une position dominante liée au trafic maritime.

Les attentats perpétrés contre l’USS Cole et le Limbourg au large du Yémen, ont détourné de nombreuses entreprises de transports maritimes d'Aden pour Djibouti. Le calme dont jouit ce pays, grâce notamment aux accords de défense français, a contribué aux importants investissements en provenance principalement des pays du golfe arabo-persique (Dubaï, Arabie Saoudite ou Koweït) et non de France comme on aurait pu l’imaginer de cette ancienne colonie. En partenariat avec l’émirat de Dubaï, Djibouti a modernisé son port en eau profonde, le seul accessible aux bâtiments de tout tonnage de l’Egypte au Kenya. La société Dubaï Port World, qui finance ce projet, en a la concession pour 30 ans. Le Port autonome de Djibouti (PAID) dispose d’un terminal pétrolier opérationnel depuis le début 2006, d’un terminal à conteneurs mis en service en 2008 et d’une zone franche. Le pays a alors connu un regain de croissance économique : 4.5% en 2006 et plus de 5% en 2007. Le PAID fournit une plate-forme régionale sécurisée pour le transbordement et le transit de marchandises et un lieu sûr pour le ravitaillement des bâtiments de guerre opérant dans la corne de l’Afrique.

Depuis 1998, le port gère 100% du trafic maritime à destination ou en provenance de l'Éthiopie, rendant le pays complètement dépendant vis-à-vis de son voisin djiboutien. Le port de Djibouti est aussi idéalement situé pour desservir le marché du COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa), qui relie 19 pays et 380 millions de personnes. Les infrastructures routières ont elles aussi rénovées afin de faciliter le flux constant de marchandises débarquées à Djibouti. Les perspectives de croissance de Djibouti sont prometteuses. Un projet de raffinerie de pétrole évaluée à 5 milliards de dollars renforcera par ailleurs sa position stratégique et incontournable dans la corne de l’Afrique. Malgré ces chiffres très encourageants, Djibouti reste entièrement dépendante de l’aide financière extérieure et surtout de la protection militaire de la France et depuis peu des Etats-Unis. 

Un pays néanmoins dépendante d’autres états

Les forces françaises à Djibouti (FFDJ) dispose en permanence de 2 900 militaires. C’est en partie grâce à leurs présences dans le cadre du protocole de 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises, valant accord de défense que la préservation de l’indépendance de Djibouti s’explique. Les quelques 5000 hommes des forces armées Djiboutiennes n’auraient jamais pu seuls préserver l’intégrité de leur territoire.

Par ailleurs, afin de mieux contrôler la Corne de l’Afrique, ses voies maritimes et de faciliter la lutte contre le terrorisme, les Etats-Unis ont été autorisés à s’implanter à Djibouti en 2003, pourtant chasse gardée traditionnelle de la France. La première base américaine permanente en Afrique, le Combined Joint Task Force-Horn of Africa, d’environ 2000 hommes, a pour mission « officielle » de lutter contre le terrorisme et d’améliorer la sécurité en Ethiopie, en Erythrée, au Soudan, au Kenya, en Somalie, au Yémen, et en Mer Rouge, dans le Golfe d'Aden et dans l'Océan Indien.

Pour éviter d’être taxé de pro-américanisme, surtout vis à vis de ses investisseurs arabes, Djibouti a négocié au près des Etats-Unis le versement d’un loyer annuel de 30 millions de dollars pour occuper, sous certaines conditions, son territoire national. Par effet de ricochet la France, présente depuis l’indépendance, a du se mettre au diapason et se fend depuis 2003 d’un loyer de 30 millions d’euros, pour « contribuer à l’indépendance de Djibouti ». Les actes de piraterie dans le golfe d’Aden ont par ailleurs, attirés d’autres nations souhaitant elles aussi préserver leurs flottes de commerce et leurs approvisionnements. C’est ainsi qu’ont été accueillis très récemment des détachements militaires allemands, espagnols, japonais, danois et l’union européenne. Bénéficiant d’infrastructures logistiques adéquates, le pays autorise les escales de bâtiments de guerre de nationalités très diverses comme la Corée, l’Inde, le Royaume-Uni et même l’Iran. Toutes ses forces étrangères font de ce petit état l’un des mieux protégés de la région. Ces intérêts convergents garantissent à Djibouti des investissements en augmentations constantes. Par ce jeu d’alliances militaires Djibouti affirme tout d’abord son indépendance vis-à-vis d’un éventuel belligérant et s’assure la continuité du trafic maritime vital pour son économie, mais à quel prix et pour combien de temps ?

A lire également :

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