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A la question du style et du compartiment, je réponds ne rien savoir.
Qu’il soit torture que d’écrire pour entrer dans un moule préformé et répondre aux critères du commerce est concevable.
Nul n’est tenu de s’y plier…
Si l’écriture devait être cette séance d’infinies souffrances, alors, je cesserais immédiatement de déposer le moindre mot sur une page blanche…
Ecrire répond à un besoin d’exprimer ce que le silence nous dicte, avant de devoir faire « œuvre », de répondre aux canons d’une vogue passagère.
On ne sait rien de ce qui vient de ces profondeurs. On ignore tout du chemin qui se fraye, apparaît, disparaît aussitôt pour surgir en abondantes salves…
Impérieux, le mouvement des mots s’impose de lui-même.
C’est avec une immense tristesse que je reçois les vaines quêtes de ces jeunes qui s’enfilent en la filière du livre, croyant y trouver l’assurance de la veine créatrice et de leur notoriété.
J’en vois qui prennent malin plaisir à apparaître en de futiles salons. Ils se font prendre en photographies, aux côtés des artistes bien en cour… Ils ignorent tout de la patience et de ce perpétuel travail d’orfèvre que nous imposent les mots…
Ils ignorent tout du silence.
Ils ignorent tout de ces oreilles attentives au mouvement du monde.
Ils ignorent tout de cette lente gestation, digestion, laborieux tris entre les multiples entrées d’informations toutes plus contradictoires.
Il leur faut la plume, le trait, mille pages et la couverture cartonnée.
Il leur faut une flopée de journalistes et le crépitement des flashs…
Ils ne se doutent point de l’éphémère triomphe, vendu à vil prix, qui ne passera pas la porte de l’an…
Ils arborent leur licence ou leur maîtrise dont on leur a dit qu’elle leur ouvrirait les portes de ce ciel béni…
La foule acquiesce à la peopolarisation de la littérature. On achète un livre, non pour ce que les mots portent de message, mais pour la photo de couverture, la notoriété de l’auteur.
Pour les plumitifs de l’ombre, ne restent que les miettes, une fois la volée d’étourneaux rassasiée…
Les miettes qui se rassemblent, en milliers de pages noircies en vain, et qui feront, demain, peut-être, les délices de connaisseurs, une fois la grande faucheuse passée…
Qu’une prose inclassable ne trouve point sa place est de rigueur.
C’est presque hommage rendu à cette insatisfaction d’être qui nous taraude chaque jour, chaque heure de chaque jour…
Quelle certitude avoir, sinon celle d’avoir ouvert les yeux un jour et de devoir les refermer bientôt.
Entre les deux, ultime rempart à l’absurde et au vide, ce qui vient se décline sur des pages inutiles, en un pays désormais sourd, totalement, au moindre frémissement créatif, déposé en cadeau entre les lignes…
Manosque, 15 février 2010
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