Haïti: côtt! côtt! côôôôtttttttt !!!!! Je viens encore...

Haïti: côtt! côtt! côôôôtttttttt !!!!!
Je viens encore une fois de fouiller dans mes textes de l'avant-séisme, et non... je ne suis plus de cette humeur. Ces textes datant de ce temps si proche, ou croyant avoir atteint notre quota de problèmes nous vivions une sorte de vie, resteront dans mon tiroir. Ils ne sont vraiment pas dans le ton...
Et je voudrais tant être dans le ton aujourd'hui... Reste à savoir quel est le ton : L'agressivité ? Le silence ? L'éloquence ? L'humour noir ?
Le ton est-il à la critique ? A l'incitation à la responsabilité ? Est-il à chercher la première pierre à poser ?
Est-il à la vie qui reprend ? A l'indifférence qui s'installe ?
A la dépression qui nous guette ?
Est-il à la fameuse opportunité que représente la reconstruction ?
A la revendication, à la révolution?
Est-il à une autre initiative individuelle ?
Ou à l'incitation à l'association, au regroupement, au « tèt ansanm » ?
La page blanche sur l'écran de mon ordinateur reste vide... car la seule image qui me vient en tête chaque fois que, devant mon clavier, je m'apprête à écrire un mot, est celle d'un poulailler... rempli de poules, des grosses, des chétives, des bien portantes, des mourantes, des déplumées. J'y vois des grandes poules « hormone » agitées qui entrent et sortent avec force, maïs des « poul léta » grises et sinistres ressemblant à des corbeaux, des poules pays affolées, toutes enfermées dans une grande cage, branlante, cassée... s'agitant avec de grands cot cot côtt côtt côôôtttttt !!! Un vrai poulailler, en désordre et dirigé par... une carpe !!!
Cela doit être ma vision du chaos.
Ce chaos que vit mon pays et qui me remplit la tête jusqu'à me paralyser la pensée et m'enlever les mots...
Je laisse donc là ma page blanche et, pour me changer les idées, je me connecte à Facebook , pour chercher un thème, une inspiration, pour trouver « le ton »... Mais sur Facebook, dans les discussions des uns et des autres, les divergences, les grands messages de reconstruction, les discours stériles, les nouvelles révoltantes, le partage sur tellement de thèmes importants, dans la formation de dizaines de nouveaux groupes, les infos sur le séisme, les prédictions sur 2012, je sens chez tous la volonté de tous de faire quelque chose pour le pays...mais aussi le désarroi, l'incertitude, le questionnement, l'agitation, les émotions à fleur de peau. Je me sens, en naviguant sur ma page, en plein milieu du poulailler...Il n'y a pas qu'un ton sur Facebook. Il y a des tontontaines et des tontonton...
Mais je divague...
Je décide donc de sortir, d'aller prendre de l'air, de faire un tour, voir des amis... Il y a dehors des gens qui errent, des gens fatigués, des gens pressés, des gens agités. J'en vois qui attendent patiemment, depuis le matin sans doute, devant une clinique bondée. Je vois sur de belles « SUV » avec Logo en couleur et chauffeur haïtien tant de sigles et de symboles différents, que je suis perdue...côôôôt cott cottt !!! Et je continue jusqu'à « tente city », campement surpeuplé avec sa promiscuité, ses habitants résignés qui attendent ce qui arrivera quand tombera encore la pluie. Je vois des visages hagards. Je n'ai pas envie d'entendre leur histoire, je peux déjà l'imaginer. Et les poules me viennent encore en tête. Ça ce sont les poules pays, destinées à être mangées... Celles qui ne trouvent jamais de maïs, celles dont les « vleins » sont visibles et dont la chair n'est plus tendre depuis longtemps.
Si le fait de déambuler dans les rues de Port-au-Prince m'a forcé à donner un peu de mouvement à mon corps ankylosé, je reviens chez moi, encore plus perdue que je ne l'étais. Je n'ai rien amené de nouveau à la maison. Alors j'allume mon ordinateur et j'écris sur ma page blanche cette longue trainée de Cott cott côôôttttttttt !!! Ces caquètements sans fin qui me hantent le sommeil nuit après nuit.
Cott cott côôôttttttttt !!! Reconstruire les mentalités... déplacer la capitale...we are the world... La présidence muette... la ville écrasée... la maison de mon enfance transformée en terrain de foot... ONG ! 10 % de l'aide atteindra le bénéficiaire, absence de leadership, enfants mutilés, Cott cott côôôttttttttt !!! Magouille, opportunités, travail acharné, journalistes, reconstruire Haïti, bidonvilles, my palace colapsed, décentralisation, factures, payroll, avenir, somos el mundo, ONU ! espoir donné, espoir repris, voleurs dans les rues, violeurs dans les camps, petites initiatives individuelles, petite semaine de bénévolat, réunions en veste et cravate, gens essoufflés, brassage.... USA ! Cott cott côôôttttttttt !!!
Et, dans les camps, on attend la pluie...et, sous les tentes, on commence à se faire une vie...pire que celle d'avant... Oui, il y avait pire et nous ne le savions pas...
J'ai la tête qui éclate... Et moi, à qui des amis disent toute les semaines : « fais moi rire sur ton blog »...j'ai la tête ailleurs, chez mes poules pays qui caquètent désespérées avant de finir cuites sous le soleil, dans leur propre jus, en se battant et en s'entredéchirant. Des « poul ogèy », mortes « de leur belle mort », mortes étouffées ou à tourner en rond, à attendre en vain que le poulailler devienne une opulente basse-cour... Coootttt ! côôôôttttt !!!
Je voulais être dans le ton aujourd'hui ?
Je caquète, je vole mais pas bien loin, je becque, je pique des vers au sol, je piaille, je gratte la terre, je ponds, je suis en cage, je suis en nage et sans grand espoir de pouvoir « nager pour sortir » comme me l'a conseillé la muette carpe...
Coootttt ! côôôôttttt !!! Après tout, je suis dans le ton.
Christina Guérin