crédit photo : clémentine gallot
Dans quelques semaines, le Parlement débattra de la réforme des collectivités territoriales et, en particulier, du mode de scrutin pour élire les futurs conseillers territoriaux. Éléments de réflexion.
Dans un précédent article dont l’objet était le projet gouvernemental du mode de scrutin des futurs conseillers territoriaux, j’avais émis trois réserves importantes : représentation peu équitable car l’effet du majoritaire à un tour encore plus disproportionné que celui du majoritaire à deux tours, disparition des "indépendants" aux deux grands blocs (MoDem, FN, NPA, etc.), et complexité illisible pour le citoyen.
La disparition des "indépendants" provenait surtout de la proportion à 80% de la composante de scrutin uninominal majoritaire à un tour (dans le projet gouvernemental).
Je voudrais revenir sur le mode de scrutin de listes et évoquer la différence entre un scrutin à un tour et à deux tours. Même s’il y a une prime majoritaire à la liste arrivée en premier (la moitié des sièges pour les municipales, le quart des sièges pour les régionales), le raisonnement reste le même.
Je trouve un avantage, quand il s’agit d’un scrutin de liste, de le faire à un tour et pas deux tours. Tout candidat aux régionales ou aux municipales aura sans doute déjà fait ce type de raisonnement.
Scrutin de listes à un tour
Dans un scrutin de listes à un tour, comme actuellement les élections européennes (ou comme lors des élections législatives du 16 mars 1986), la répartition des sièges se fait dans la proportion des scores des différentes listes.
Pour simplifier les calculs et attribuer à chaque liste un nombre entier de sièges, on a institué un seuil en dessous duquel la liste n’obtient pas de siège (c’est 5%) et on calcule à la plus forte moyenne, c’est-à-dire que le dernier siège "résiduel" est obtenu par la liste qui a le plus fort rapport nombre d’électeurs sur nombre de sièges déjà attribués.
Scrutin de liste à deux tours
Dans un scrutin de listes à deux tours, ça se complique.
Si l’on prend l’exemple d’une circonscription (région ou commune) où une liste obtient dès le premier tour la majorité absolue, la situation revient pratiquement au même que dans le scrutin de liste à un tour. Sauf que dans la répartition des sièges, la liste en tête bénéficie de la prime majoritaire (donc le nombre de sièges est supérieur à celui obtenu strictement proportionnellement). Et les autres listes se partagent le restant des sièges, à la proportionnelle, à condition d’être au-dessus du seuil d’éligibilité (5%).
Si ce cas peut être fréquent lors des élections municipales, il n’a jamais eu lieu lors des élections régionales (avant 2004, les élections régionales étaient à un seul tour).
L’entre deux tours
Dans la majorité des cas, aucune liste n’a obtenu la majorité absolue des voix (avec des conditions aussi de seuil de participation), et un second tour est donc organisé. Pour pouvoir concourir à ce second tour, il est nécessaire que la liste ait obtenu au moins un autre seuil, 10%. Mais les listes ayant obtenu au moins 5% peuvent cependant fusionner avec une autre liste en capacité de se maintenir au second tour.
On voit bien que si le seuil de 10% est élevé, ce qui n’empêchera pas le 21 mars 2010 une douzaine de triangulaires (essentiellement avec le FN, et une avec le MoDem en Aquitaine et une avec les Verts en Bretagne), le scrutin n’exclut pas d’office les candidats des listes ayant obtenu entre 5 et 10%. Mais il les oblige à faire alliance avec une autre liste.
Le problème, c’est que parfois, les alliances d’entre deux tours n’ont pas été clarifiées avant le premier tour (comme lors de l’élection présidentielle), si bien que les électeurs d’une liste qui fusionne peuvent se sentir "floués". Cela aurait été le cas du MoDem qui, finalement, n’aura convaincu aucun partenaire à gauche (ou à droite d’ailleurs) pour les rares fusions qu’il aurait été possible de conclure (Centre, Basse-Normandie et Bretagne).
Pour d’autres listes, la situation était claire avant le premier tour.
C’est ce qu’il se passe pour le bloc de gauche : la plupart des listes des Verts et du Front de gauche ont pu fusionner avec les listes du PS. Il suffisait que, dans chaque région, les listes soient au-dessus de 5%.
Les capacités de négociation d’une liste située entre 5 et 10% sont limitées, car elle ne peut plus concourir et dépend donc de la seule bonne volonté de la liste qui l’accueille. Le facteur temps est aussi essentiel puisqu’il y a uniquement deux jours pour négocier, le dépôt des listes pour le second tour devant se faire au plus tard le mardi soir qui suit le premier tour.
Par exemple, la liste du Front de gauche n’a finalement pas fusionné avec la liste socialiste en Picardie, mais ne pourra pas lui nuire car elle ne peut pas se maintenir. Au contraire, la liste écologiste de Guy Hascoët (ancien secrétaire d’État de Lionel Jospin) va se maintenir en Bretagne et fera sans doute du tort à la liste du président sortant Jean-Yves Le Drian.
La répartition des sièges à l’issue du second tour
À l’issue du second tour, la représentation proportionnelle reprend ses comptes pour le nombre de sièges, tout en gardant la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête.
L’exemple intéressant était l’élection municipale de Fontainebleau du 18 mars 2001 où, au second tour, trois listes représentaient chacune environ un tiers des suffrages exprimés, avec une vingtaine de voix d’écart. Une liste divers droite a été en tête avec une dizaine de voix d’avance, ce qui lui a apporté une majorité absolue des sièges au conseil municipal (par la suite, la municipalité trop peu préparée, le préfet a convoqué une nouvelle élection après la démission de plus d’un tiers de conseillers municipaux).
Le problème de ce système à deux tours, c’est que les petites listes (qui font entre 5 et 10%) qui sont dans l’impossibilité de s’apparenter (comme le FN, mais aussi le MoDem, au contraire du Front de gauche) ne sont plus représentées au second tour.
Pour les municipales, c’est assez frappant : si une liste ne pense pas dépasser 10%, elle aurait tout intérêt à ce que la liste qui gagnerait soit élue dès le premier tour, car elle pourrait avoir une représentation. Ne pouvant participer de façon indépendante à un éventuel second tour, cette liste n’aurait sinon aucun élu.
L’avantage du scrutin de listes à un seul tour : les petites listes en bénéficient
Par conséquent, l’avantage d’un scrutin de liste à un seul tour est celui-ci : une meilleure représentation des listes minoritaires qui ont un minimum de poids électoral (plus de 5%).
Cette conclusion ne concerne évidemment que le scrutin de listes car concernant le scrutin uninominal majoritaire, n’instituer qu’un seul tour, avec ce paysage éclaté, permettrait l’élection d’un candidat avec très peu de voix, ce qui, en démocratie, dévaloriserait un peu plus le crédit qu’on devrait apporter aux élus locaux.
L’élection d’un député, par exemple, ne peut pas se faire au premier tour même si un candidat obtient plus de 50% des suffrages exprimés si cela représente moins de 25% des inscrits.
Le 14 mars 2010, les deux meilleures listes de la métropole, celle de Martin Malvy en Midi-Pyrénées et celle de Ségolène Royal au Poitou-Charentes, ne font respectivement que 21,2% et 19,5% des inscrits. Les autres ont des scores bien moindres. (Certes, dans un scrutin uninominal, il faudrait analyser la répartition cantons par cantons, avec plus d’aspérités par rapport à la moyenne régionale).
Les deux tours favorisent les grandes listes
Concrètement, si le scrutin de ces actuelles élections régionales n’avait été qu’à un seul tour (comme avant 2004), auraient été élus plus de conseillers régionaux du Front national et du MoDem et moins de conseillers régionaux du PS, de l’UMP, des Verts et du Front de gauche qu’avec le scrutin actuel qui ne peut avantager que les deux listes arrivées en tête.
Quant aux autres troisièmes listes qui peuvent se maintenir au second tour (Verts en Bretagne, FN en PACA et dans onze autres régions, MoDem en Aquitaine), il n’est pas sûr que la logique majoritaire maintienne au second tour le score aussi élevé qu’elles avaient obtenu au premier tour.
Les scrutins à un tour peuvent donc avoir aussi leur utilité dans la démocratie représentative.