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Du bon usage du blasphème

Publié le 19 mars 2010 par Jlhuss

zemmour1.1268940912.jpg Notre société a beau se proclamer ouverte, tolérante, moderne et même post-moderne, les comportements archaïques ne se laissent pas facilement enterrer. Témoin ce bon vieux crime de blasphème aussi ancien que les religions ou si l’on veut que les idéologies, ce qui ne nous rajeunit pas. Certes, personne, dans notre bourgeoise (et peut-être moribonde) démocratie, ne risque de se retrouver brûlé à petit feu après avoir eu la langue et le poing tranchés pour avoir mis en doute la virginité de Marie. Aucun danger non plus de finir exécuté d’une balle dans la nuque après une séance d’autocritique avec accompagnement de crachats, coups de pieds dans la figure et arrachage méthodique des ongles pour plaisanterie inconvenante sur le Führer, Petit Père des peuples ou Grand Timonier régnant. Nous sommes, Dieu merci (si j’ose dire), plus civilisés que ça. Cependant le blasphémateur (il a, au choix, émis des incertitudes sur l’intérêt de la construction européenne, fait part du peu de confiance que lui inspire l’OMC, ou exprimé sa perplexité sur l’efficacité de la discrimination positive) si sa vie n’est plus directement menacée est condamné plus subtilement. La peine encourue est la mort civile par interdiction de paraître dans quelque média que ce soit.  Elle n’est plus prononcée par l’Inquisition ou le Tribunal Populaire mais par une caste de Sages, recrutés par cooptation dans des lieux dits de pouvoir.

En font partie des journalistes (de référence), des philosophes (si possible photogéniques), des politiques, des syndicalistes (ayant le respect des contraintes économiques), des religieux (à condition qu’ils contestent leur hiérarchie), des écrivains (maudits mais édités dans de belles collections), des enseignants (de préférence de rang universitaire), des artistes et des dirigeants d’associations à visée humanitaire et/ou écologiste. Presque tous résident et travaillent dans les arrondissements centraux de notre bien-aimée capitale.

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On ne trouve parmi eux aucun plâtrier-peintre, pas le moindre gendarme, nulle hôtesse de caisse et zéro ouvrier agricole. Ce n’est pas grave puisque les Brahmanes sont là pour penser à leur place et les aider à distinguer le bien (les éoliennes, le multiculturalisme, les aliments bio et le Grand journal de Canal +) du mal (les centrales nucléaires, le patriotisme, les OGM et journal de Jean-Pierre Pernault). Généralement les avis des Sages sont assez bien suivis , mais il arrive qu’étrangement et sans qu’on comprenne pourquoi, leurs oukases restent lettre morte.
Georges Frèche fait partie de ces blasphémateurs condamnés aussi souvent qu’inutilement par la Sainte Vehme médiatique. Le tribunal des Sages a beau le convaincre régulièrement de populisme, crime à peine moins grave en politique qu’en droit commun, le vol à main armée ou la pédophilie, rien n’y fait. Il faut alors se poser la question : et si ces blasphèmes, pour odieux qu’ils paraissent n’étaient qu’un moyen pour la réalité, parfois consternante, de notre société se frayer un chemin dans un discours public étouffé par le conformisme moderne et ses formules creuses.
Car la réalité c’est que, depuis la fin de la guerre d’Algérie, le terme harki a toujours été employé par la Gauche comme un synonyme au mieux de nervi, au pire de collabo. Quant à la Droite officielle, son long silence sur le sujet s’explique d’autant mieux qu’elle a sur la conscience sa passivité face au massacre de milliers de ces hommes et de leurs familles et les conditions indignes de l’accueil en France des rescapés. Dans les deux cas on a considéré les harkis sinon comme des sous-hommes, du moins comme des sous-citoyens ce qui n’est guère plus brillant. Jouer les pères la  vertu à l’occasion d’un dérapage effectivement honteux, ne pouvait effacer une complicité dans le mépris de plusieurs dizaines d’années. Cette attitude n’a trompé ni les intéressés, ni le reste des Français qui, du coup, en ont moins voulu à Frèche d’avoir dit tout haut ce que le discours et les actes des uns et des autres donnaient à entendre depuis des dizaines d’années.
C’est aussi la réalité que la composition de l’équipe de France de football ne reflète pas exactement celle de notre corps social. Il n’y aurait pas, sinon, d’associations pour revendiquer des quotas de représentation des minorités visibles sur les bancs des assemblées délibérantes ou dans les directions d’entreprise, demande bien inutile pour les équipes de la Ligue I. Question aux censeurs : Pourquoi est-il scandaleux de dire qu’il y a beaucoup de noirs parmi les footballeurs de talents et louable de faire la même remarque quand il s’agit de travailleurs contraints à exercer les plus sales et les plus mal payés des boulots ? Est-ce parce qu’on pulvérise le mythe généreux, mais vide de sens, d’une France de l’égalité des chances ?
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C’est enfin la réalité que l’expression : « Il (ou elle, respectons la parité) a une tête (gueule, tronche, figure…) pas catholique ! » est employée de façon usuelle depuis un peu plus de deux siècles, comme en fait foi l’excellent « Bouquet des expressions imagées » de Monsieur Claude Duneton. Articulée indifféremment par les antis et les pros Dreyfusards, comme par les adeptes de la Révolution dite nationale et par les résistants, elle est toujours utilisée couramment. Il faut avoir vraiment très envie de noyer son chien sous prétexte de rage pour y voir l’expression d’un antisémitisme caché. C’est bien ainsi qu’a été reçu le procès fait au proconsul de Septimanie qui a beaucoup de défauts mais, son histoire le montre, pas celui-là. La sympathie manifestée à son égard par les électeurs n’est qu’une manifestation du rejet de la novlangue politiquement correcte dont on sent bien que, si on se laisse faire, il sera bientôt interdit de noircir le tableau, de prendre le beurre et l’argent du beurre, de blanchir l’argent sale, de jaunir d’envie et de rougir de honte.
Ce qui précède conduit à se demander si, à force de traquer des déviances réelles ou supposées, nos modernes inquisiteurs ne renforcent pas, en découvrant, par exemple, du racisme, là où  personne n’avait songé avant eux à en mettre, ceux qu’ils prétendent, parfois à raison, combattre. Avant d’instruire de nouveaux procès, ils devraient méditer ces mots de Renan : «  Le blasphème des grands esprits est plus agréable à Dieu que la prière intéressée de l’homme vulgaire. » Sentence qui explique bien des choses si on se souvient de l’ancienne sentence qui veut que Dieu parle par la voix du peuple.

Chambolle


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