Hicham El Moussaoui - Le 19 mars 2010. Le Président Bouteflika compte bien mener jusqu’au bout son projet de construction de la nouvelle Grande Mosquée sur la baie d’Alger, qui sera la troisième plus vaste dans le monde après celle de la Mecque en Arabie Saoudite et la Mosquée Hassan II au Maroc. Si l’on en croit les chiffres officiels, l'investissement initial est estimé à plus d’un milliard de dollars. Les algériens devraient-ils se réjouir d’avoir bientôt une méga-mosquée ?
Pour répondre à cette question le parallèle avec le Roi Hassan II, qui avait pris la même décision au Maroc en 1986, est incontournable. Ainsi, avait-on invité dans un premier temps les marocains à contribuer selon leurs moyens au financement de la mosquée. Mais, rapidement les responsables se sont aperçus qu’ils étaient très loin du compte, ce qui les a poussés à passer du mode-don au mode-souscription obligatoire. On n’était alors plus dans le financement d’un édifice religieux, mais dans le financement d’un projet public. Une sorte de rivalité s’est installée entre les responsables des différentes régions, villes, communes, quartiers du Royaume pour collecter les fonds, ce qui les a poussé à abuser de leur autorité afin de contraindre les citoyens à payer des sommes relativement considérables, surtout lorsque l’on connaît le niveau de vie des marocains à l’époque.
Le coût de la construction de la mosquée a été estimé entre 1 et 2 milliards de dollars. Les finances de l’époque supportaient-elles un tel projet ? Le Maroc n’avait clairement pas les moyens de réaliser un tel projet. D’autant qu’au milieu des années 80, le Royaume chérifien suivait, sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale, un plan d’ajustement structurel dont le but était d’assainir et de stabiliser les équilibres macroéconomiques, notamment l’inflation et le déficit budgétaire. Par ailleurs, il faudrait souligner le gaspillage lié à ce projet car en dehors du Ramadan, la mosquée est presque déserte à l’heure des prières. Tout le matériel sophistiqué dont elle dispose pour émerveiller et émouvoir la foule est un luxe inutile. Cerise sur le gâteau, la mosquée Hassan II a été construite dans un environnement marin agressif (houle, humidité, embruns) : dès 1998 elle donnait des signes de vieillissement précoce. Du point de vue économique, la mosquée Hassan II a été et est toujours un boulet pour les marocains. Elle coûte cher au contribuable : plus de 45 Millions de dirhams en 2007 prélevés sur le budget de l’Agence urbaine de Casablanca. En dépit de droits d’entrée, elle a été déficitaire depuis son inauguration.
Le Président Bouteflika semble ainsi ignorer les leçons de l’histoire. En effet, le moment est vraiment mal choisi car les finances algériennes ne sont pas au beau fixe. La construction de la mosquée intervient dans un contexte de crise financière et économique où, au premier semestre 2009, les revenus fiscaux ont baissé de 21%, les exportations d’hydrocarbures ont reculé respectivement de 52,6% en volume et 42% en valeur - une catastrophe lorsque l’on connaît la dépendance de l’économie algérienne aux recettes des hydrocarbures (98% des recettes totales). En même temps les dépenses budgétaires globales ont connu une hausse estimée à 9,5% durant le premier semestre, ce qui creusera davantage le déficit budgétaire de l’Etat.
Rappelons que lorsque l’Algérie avait subi le contre-choc pétrolier de 1986, elle avait été obligée de s’endetter afin de terminer la réalisation des projets (industrie lourde dans le cadre de la stratégie de substitution aux importations) choisis à un moment où les cours étaient élevés. L’histoire se reproduirait-elle ? Deux scénarios sont possibles suite à une baisse prolongée des cours pétroliers : soit le gouvernement algérien s’endettera ou puisera dans ses réserves de change pour achever les projets déjà commencés, soit il renoncera à certains projets pour financer les plus prioritaires. Dans les deux cas, le projet de mosquée mérite-t-il d’être retenu ?
Certains répondront que la construction de la mosquée permettra de créer des emplois. Certes, mais ces emplois que l’on voit sont éphémères puisque ils disparaîtront à la fin du chantier. En revanche, ce que l’on ne voit pas ce sont toutes les autres opportunités sacrifiées : les lits d’hôpitaux, les écoles, les usines… et qui sont prioritaires pour les algériens. D’autres diront que cela permettra de stimuler le tourisme. Pas autant qu’on le croit car il faudrait savoir que la tendance actuelle est au tourisme culturel où les touristes ne se contentent pas de visiter les monuments, mais exigent une animation culturelle (festivals, manifestations culturelles et sportives). La stimulation du tourisme passe donc par l’investissement dans l’animation culturelle et dans les infrastructures touristiques, ce qui nécessite un environnement propice aux affaires absent en Algérie.
Enfin, en termes de signal politique, que penseraient les algériens qui peinent à joindre les deux bouts ? Cela ne fera que les conforter dans leur sentiment d’injustice car au lieu de leur proposer des projets créateurs d’emplois durables, ils constatent avec amertume qu’ils doivent subir les « caprices de postérité » de leur président.
Car si la mosquée ne se justifie ni sur le plan économique ni sur le plan social et encore moins sur le plan religieux (l’Islam ne tolérant pas le faste), reste une seule hypothèse : Bouteflika voudrait-il sa méga-mosquée pour être cité dans les manuels d’histoire et au passage décrocher un leadership symbolique au Maghreb en ayant la plus grande mosquée ? Triste leadership alors que nos citoyens attendent de leurs dirigeants de rivaliser d’ingéniosité pour libérer l’initiative privée, plutôt que de la plomber par des projets pharaoniques dispendieux.
Hicham El Moussaoui est analyste sur www.UnMondeLibre.org.