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La fable d'Helmut von Fourmi et d'Andreas Cigalis

Publié le 20 mars 2010 par Agitlog
La fable d'Helmut von Fourmi et d'Andreas Cigalis. Sur les vertus édifiantes de la désinflation compétitive et de la rigueur salariale. Quoi de mieux qu'une petite histoire pour comprendre la crise actuelle de l'euro, l'explosion de la dette grecque et les appels allemands à la vertu ? Toute ressemblance avec des faits réels ne serait pas fortuite. Il était une fois un commerçant, nommé Helmut, qui fabriquait et vendait des briques. Il produisait un millier de ses briques pour un coût de 100 euros et les vendait au prix de 120 euros. Et c'est ainsi qu'il vivait et s'enrichissait. Mais peu à peu la concurrence des autres fabricants rendit plus difficile la vente de ses briques, ce qui fit baisser leur prix quasiment au niveau de leur coût de revient. Helmut se plaignait de ne plus gagner autant d'argent qu'avant. Alors un jour il lui vint une idée. Il réunit ses ouvriers et leur tint ce langage : (La déflation salariale, acte I : enclenchement) - Mes amis, mes frères, durant toutes ces belles années, je vous ai donné du travail et grâce à ce travail vous avez mené belle vie : avant vous ne mangiez de la viande qu'une fois par semaine, maintenant vous en mangez 2 fois par semaine. Avant, vous portiez sur vous de mauvais tissus de lin, aujourd'hui, les quelques fils de soie de vos vêtements sont une caresse pour votre peau et un délice pour les yeux. Mais ce temps est fini ! Nos briques ne se vendent plus si bien et vous me coûtez autant qu'elles me rapportent : voyez dans quelle misère je suis tombé ! Finis, mes déjeuners au caviar, envolés mes voyages en jet. Je vous le demande, où trouver l'envie d'entreprendre en gagnant si peu ? L'esprit d'entreprise se meurt dans notre bonne ville ! Tout ceci me plombe le moral. Autant vous le dire, je pense fermer boutique ! - Oh non, dit le chef des ouvriers, IG Metall (il avait un drôle de nom). Gardez-nous, comment vivrons-nous sinon ? - Bon, répondit Helmut après un temps d'hésitation, je vois que votre chef a le sens des responsabilités et je consens à réexaminer la situation. Il y aurait bien une autre solution... - Laquelle ?, demandèrent les ouvriers. - Eh bien, vous pourriez – provisoirement, bien sûr – gagner un peu moins d'argent. Si vous acceptez que je baisse vos salaires, alors oui, je vous le promets, mes amis mes frères, la prospérité perdue reviendra. Certains hésitèrent, mais le chef des ouvriers sut se montrer convaincant et finalement tous acceptèrent le plan du patron. Le lendemain, chaque ouvrier vit son salaire amputé, si bien que la production d'un millier de briques ne coûtait plus que 80 euros. En vendant ses briques 100 euros, Helmut pouvait alors espérer un profit de 20 euros. (Petit problème : la compression de la demande intérieure d'Helmut) Mais la situation ne s'améliorait toujours pas car il y avait un autre problème : beaucoup de ses ouvriers achetaient des briques pour agrandir leur maison, mais désormais avec un salaire réduit, ils en achetaient moins. Mais alors que faire, à qui vendre mes briques ?, se demanda Helmut. Et il eut une autre idée intéressante : trouver des acheteurs en dehors de sa ville. Il décida ainsi de rendre visite à son ami Andreas Cigalis, un maçon qui habitait une ville au sud de sa région. Et il lui proposa de lui vendre ses briques : (La solution : vendre sa camelote au voisin ! Le boom des exportations helmutiennes). - Regarde, Andreas, aujourd'hui, tu n'es pas très riche. Pourquoi te contentes-tu de vivre si chichement ? - Mais, mon cher Helmut, c'est que j'aimerais bien m'enrichir, mais les briques coûtent trop cher et du coup je ne parviens pas à construire autant de maisons que je le souhaiterais. Alors Helmut réfléchit et il se dit qu'après tout, grâce aux baisses de salaires de ses ouvriers, il pouvait bien proposer de vendre ses briques moins chères à Andreas (pas trop quand même)... Alors, il dit à son ami du sud : - Eh bien mon cher Andreas, j'ai une grande nouvelle : désormais je veux bien te vendre mes mille briques pour 95 euros au lieu de 100 ! Alors Andreas regarda dans sa caisse et répondit à Helmut : - Ton offre est intéressante, mais j'ai fait mes comptes, et je ne peux verser que 85 euros pour tes mille briques. Il me manque 10 euros ! Que faire ? (Et Helmut le commerçant devint créancier !) Helmut était perplexe, mais encore une fois, il eut une idée de génie (c'est le génie « helmutien » du commerce bien connu et tant vanté dans la presse de sa région). Il fit le calcul suivant : un millier de briques me coûtent 80 euros et me rapportent 95 euros si je les vends à Andreas ; il me reste donc 15 euros de bénéfices. Eh bien, je n'ai qu'à utiliser une partie de ces 15 euros pour les prêter à Andreas : ainsi, il pourra acheter mes briques ! Et alors il dit à Andreas : - Ecoute, tout ceci n'est pas bien grave. Donne-moi tes 85 euros et la différence de 10 euros, je te la prête ! - Emprunter ! s'exclama Andreas, mais à quel taux ? - Oh, pas grand chose. Grâce à mes affaires, j'ai mis pas mal d'argent de côté. Je te les prête à 4 %. - Alors, d'accord j'accepte, s'enthousiasma Andreas, qui était tant habitué à payer dans sa ville des intérêts de 10 %. Pour la clarté de l'histoire, voici comment se présentaient les comptes d'Helmut, après la vente conclue avec Andreas : dans sa caisse, il avait les 85 euros versés par Andreas. Et, en plus, dans ses livres de compte, il avait inscrit une créance de 10 euros, due par Andreas, qui rapportait 4 % d'intérêt. Au total, il gagnait donc 95 euros, plus les intérêts de 4 % sur 10 euros, versés par Andreas chaque année. De cette somme il fallait déduire le coût de production des briques, soit 80 euros. Au final, pour chaque millier de briques vendues, Helmut s'enrichissait de 15 euros : 5 euros immédiatement disponibles et 10 euros bien placés lui rapportant 4 % par an. Les profits d'Helmut étaient donc doubles : ils résultaient pour partie de son activité de commerçant, mais aussi de son statut de créancier. La belle affaire que voilà ! (Génial ! La croissance est revenue ! Mais pas pour les ouvriers d'Helmut...) Enfin Helmut retrouva son train de vie d'auparavant : il put de nouveau acheter des maisons, des actions, spéculer à la bourse. La belle vie, quoi ! Tant de richesse allait de pair chez lui avec un certain brio intellectuel et lui permettait par ailleurs de fréquenter les plus grands penseurs de sa ville : aussi lorsque les ouvriers se plaignaient de leurs faibles salaires et reprochaient à leur patron ses énormes profits, les amis d'Helmut, fins dialecticiens, leur répondaient en de magnifiques discours : - D'accord, vous gagnez moins. Mais l'argent qu'Helmut accumule est un bienfait pour vous tous : car cet argent, Helmut vous le prête pour que vous puissiez consommer, bande d'ingrâts. Et par ailleurs, grâce à sa fortune, vos femmes ont désormais un emploi : elles font la cuisine et le ménage chez lui. Certes, elles ne gagnent pas grand chose, mais enfin au moins elles ne sont pas oisives ! Et puis, n'oubliez pas qu'Helmut est un modèle vivant : il montre que chacun de vous, sans exception (car vous êtes des gens formidables, vos sacrifices quotidiens le démontrent chaque jour) peut réussir dans la vie pour peu qu'on se retrousse les manches (n'est-ce-pas, bande de fainéants assistés ?). Et enfin, souvenez-vous de la situation avant que l'on ne baisse vos salaires : certes, vous gagniez un peu plus, mais Helmut aurait pu mettre la clé sous la porte et dès lors au lieu de 80 euros vous n'auriez eu le droit de toucher que 40 euros de mère Theresa (c'était la bienfaitrice du village qui, au nom de la solidarité, avait accumulé pas mal d'argent en en demandant un peu à tout le monde). Bande de gros veinards ! Helmut, de son côté, était bien content : il s'enrichissait chaque année un peu plus et menait belle vie. Andreas aussi était content, mais un peu inconscient : il construisait et vendait beaucoup de maisons mais il s'endettait beaucoup. Chaque année, Andreas empruntait en effet un peu plus d'argent à Helmut parce qu'il fallait aussi équiper les maisons qu'il construisait. Helmut y trouvait son intérêt compte tenu de la forte croissance de la ville du sud. (Aïe aïe aïe : les déficits courants et la dette d'Andreas deviennent intenables) Mais il vint un souci. Si Andreas construisait toujours autant de maisons, les acheteurs se faisaient moins nombreux. Un jour, le doute s'installa : Andreas pourrait-il vraiment rembourser son bienfaiteur créancier ? - Tu construis certes plus de maisons qu'avant, mais tu les vends de moins en moins bien, lui fit un jour remarquer Helmut. Andreas le rassura et répondit que ce n'était que pour un temps. D'ailleurs, avec l'argent qu'Helmut continuerait à lui prêter, il pourrait acheter des machines, fabriquer ainsi ses maisons à moindre coût ; cela lui permettrait de vendre plus de maisons, de faire plus de bénéfices et donc de rembourser plus vite ses dettes. (La crise : Saint Helmut et Andreas le cochon) Mais les années passèrent, et les maisons trouvaient de moins en moins de preneurs. Et un jour, on s'aperçut finalement qu'on avait construit trop de maisons et les prix s'effondrèrent. Andreas se retrouvait dans le pétrin et Helmut, n'en pouvant plus, paniqua : - Ca suffit, maintenant, rembourse-moi une partie des sommes que je t'ai prêtées. - Mais voyons, je ne peux pas ! Pas tout de suite. Helmut était furieux : - Voilà comment tu me remercies des facilités que je t'ai accordées ! Ainsi grâce à mon argent, tu t'es enrichi, tu as fait goguaille avec un tas de coquins dans tes maisons neuves et on me dit même que tu te serais payé le luxe de construire de grands stades coûteux. Au lieu de vivre et de dépenser comme un gros cochon, tu aurais pu prendre exemple sur moi et épargner un peu pour pouvoir me rembourser ! Est-ce-que j'en fais des dettes, moi ? J'ai toujours été rigoureux et vertueux avec mon argent, contrairement à toi ! Les amis d'Helmut, toujours si fins dialecticiens, en rajoutèrent une couche : oui, dirent-ils, Helmut est un modèle de vertu, dupé par ces cochons méridionaux, dépensiers et jouisseurs. Ils pourfendèrent avec indignation la débauche et les excès de ces gens du sud, et vantèrent, avec des trémolos dans la voix, le bel esprit de sacrifice des travailleurs d'Helmut, qui avaient accepté, pleins de ferveur et de joie, leurs salutaires baisses de salaires. Andreas n'était pas dépourvu d'arguments pour se défendre : - Mais, répondit-il à Helmut, c'est grâce à des cochons comme moi que tu vendais tes briques. Et puis comme aurais-je pu épargner ? Nous avions si peu de biens au départ. Grâce à mes maisons, les gens vivent tout de même un peu mieux, faut-il le leur reprocher ? - M'en fiche ! C'est ton problème. Débrouille toi pour me rembourser. - Mais comment faire ? Finie la construction de maisons ! - Eh bien, primo, tu coupes dans tes dépenses. Et, secundo, tu baisses les salaires de tes ouvriers pour vendre tes maisons moins chères et restaurer tes profits. Un peu de courage, voyons ! Haut les coeurs, vaillant capitaliste ! Nous-mêmes, il y a quelques années, nous avons fait de gros sacrifices pour diminuer le prix de nos briques. - Toi, des « sacrifices » ? Mais je te vois rouler en Rolls et chaque année ta fortune gonfle ! - Certes, mais sache que je souffre avec mes ouvriers. La vie est moins facile et moi-même j'en suis affecté comme élu de ma ville. Chaque jour, je dois prévoir un budget public au plus serré car mes ouvriers gagnent peu et paient donc moins d'impôts. Tu crois que c'est facile de se faire élire dans une telle ambiance ? Supporterais-tu une telle pression politique ? Je suis le Christ souffrant pour mes concitoyens, eh oui. (La déflation salariale, acte II : la spirale) - Baisser les salaires, facile à dire, s'inquiéta Andreas. Comment vais-je m'y prendre pour faire avaler une telle pilule à mes ouvriers ? - Mais enfin, c'est pour leur bien ! Et puis y a pas le choix, mon vieux. Un conseil : tout est une question de P.E.D.A.G.O.G.I.E. Si tu veux, je te présenterai mes amis intellectuels et journalistes : ce sont de très bons pédagogues et je suis sûr qu'ils parviendront à convaincre tes ouvriers de faire des efforts. Essaie d'abord de persuader leurs chefs et, tu verras, si tu t'y prends bien, ils finiront par te remercier. Au fond, ce sont de braves gens qu'il s'agit d'éduquer. - Ah ouais, t'as bien raison. Et puis mes ouvriers ont quand même trop bien vécu pendant toutes ces années. Toute cette consommation à crédit frénétique et irresponsable !... beuh dégoûtant : maintenant c'est le temps du carême, comme dirait ma petite mamie catho. Rien de mieux qu'une petite réduction de salaires pour éliminer tant d'excès. Andreas réunit alors ses ouvriers et leur tint ce langage : - Mes amis, mes frères,... (Pour la suite de l'histoire, ce n'est pas compliqué : il suffit de revenir au début et de remplacer Helmut par Andreas).

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