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Les pièges de la dépendance

Publié le 03 mai 2007 par Philippe Barraqué

Dépendance. C'est un mot qu'on associe de prime abord au grand âge. On parle de personnes âgées dépendantes, mais c'est aussi le lot de bon nombre de personnes handicapées de tous âges. Nul n'est à l'abri de ce problème. Supposons que vous vous bloquiez le dos -je ne le vous souhaite pas! Diagnostic : une hernie discale vous cloue au lit avec d'intenses douleurs. Il y a encore une heure, vous gambadiez en ville et vous voilà confronté à une situation invalidante, inconnue de vous. Vous réalisez que vous ne pouvez plus faire certains gestes quotidiens comme chausser vos souliers ou attraper cette maudite casserole placée au dessus de la cuisinière. Et bien cette situation de dépendance est constante quand on a une déficience physique importante.

Alors, de mauvaise grâce, vous demandez de l'aide à votre entourage. Il est de bonne volonté mais bien vite, vous culpabilisez. Vous ne pouvez pas les solliciter non stop parce que la télécommande de la télé n'est pas à portée de main ou que vous n'arrivez pas à remonter votre oreiller. Donc, pour leur faciliter la tâche, vous faites appel à une personne extérieure. On appelle ça un service à la personne. C'est très tendance en ce moment et le marché est fructueux. Une difficulté pour garder un enfant, pour l'apprentissage de l'anglais du petit dernier, pour tondre la pelouse, pour faire vos courses, chouette il y a des services à la personne, souvent hors de prix, même si vous pouvez déduire 50% de vos impôts.

Les personnes handicapées se heurtent souvent à la spécialisation de ces services. En effet, l'aide à la personne ne s'occupe que des gestes du quotidien (se laver, s'habiller, manger, etc.) et très peu du ménage. Il sera donc nécessaire de faire appel à un service à la personne pour les tâches ménagères, un poste budgétaire qui n'est pas pris en charge par les "maisons de l'handicap" (ex-Cotorep) et qui, de ce fait, reste limité à quelques heures par semaine - quand on en a les moyens.

Ceci étant, voilà que débarque dans votre chambre et de bon matin - 6h30/7heures, en général - votre ange gardien. "Ange" est un bien grand mot. Souvent, elle vous assène, tonitruante, un "bonjour" à réveiller les morts. C'est curieux cette tendance qu'ont les tierces personnes à parler fort. Vous avez beau leur dire que vous n'êtes pas atteint de surdité, elles récidivent le lendemain, ce doit être génétique!

Nombre d'associations et de sociétés d'aide et/ou de services à la personne se sont créées en quelques années. On constate malheureusement que le personnel est souvent peu qualifié, mal formé et rémunéré. Donc, crise de sciatique ou handicap, il sera nécessaire de vous habituer aux petits travers de chacune d'entre elles. L'une n'a aucune aptitude à ranger vos vêtements qu'elle roule en boule dans votre dressing, l'autre n'a pas rencontré de lave-vaisselle ou de bouilloire électrique dans sa présente incarnation! Il va falloir mettre de l'eau dans votre vin, transiger, tempérer quelquefois vos agacements, si vous ne voulez pas rester en carafe avec la brosse à dent sans dentifrice ou manger votre toast sans beurre. C'est susceptible une tierce personne!

Dépendance : une situation souvent dégradante si on ne fait pas preuve de vigilance. La vie devient vite médiocre si, de temps à autre, on ne remet pas les pendules à l'heure. C'est pour cela que certaines personnes handicapées, à force d'aller à l'essentiel, de se laisser dominer par les soignants qui les aident, négligent leur apparence physique, n'ont plus à coeur de prendre une douche, de s'habiller, de sortir. C'est un poison, une mort programmée, quand la dépendance fait perdre toute estime de soi. Oui, la dépendance peut annihiler la personnalité. L'espace vital se restreint un peu plus chaque jour : une vie réduite à se lever, se laver, manger, dormir.

Il est également salutaire de trouver la bonne distance relationnelle entre vous et la tierce personne. Ce n'est pas parce que vous avez besoin de ses services qu'elle doit vous tutoyez, vous faire la bise, si vous ne le souhaitez pas.

La dépendance est un piège permanent. La frontière est étroite entre dépendance et maltraitance, pas simplement pour les personnes âgées mais pour vous, pour nous, qui pouvons être confrontés à la maladie, à l'accident, à l'handicap et subir les maladresses des uns et les négligences des autres. Bien sûr, c'est un métier difficile que d'aider l'autre, de se mettre à sa place, de se rendre compte de ses besoins spécifiques. L'inconfort ne tient pas toujours à grand chose : une chaussure mal lacée vous rendra votre journée impossible, une porte qui n'a pas été ouverte vous empêchera de prendre l'air... Cela tient à rien : un fossé insoupçonné qui sépare la liberté naturelle de mouvement du valide des impossibilités physiques du dépendant. L'absence de prise de conscience de cette "mobilité réduite" débouche inévitablement sur l'aliénation de la liberté pour la personne handicapée.

Enfin, s'il faut souligner le dévouement des personnels chargés des services et aides à la personne, il faut éviter, dans la mesure du possible, d'être à leur merci et sans cesse leur rappeler que vous avez droit à la dignité, au respect de votre intimité, aux sentiments humains.

Philippe Barraqué/Cesarina Moresi - Tous droits réservés - Blog Handi t'es pas cap -


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