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Le jeu de la mort

Publié le 21 mars 2010 par Juval @valerieCG

Mercredi soir, j’ai donc vu le documentaire “Le jeu de la mort” sur France 2.

Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas vu.
Il s’agit d’un documentaire : des journalistes annoncent le lancement d’un faux jeu télévisé. On contacte 13 000 personnes présentes sur des fichiers de télé marketing en leur proposant de participer à un jeu ; 2600 répondent. On en retient 90 ; 80 et 10 en cas de défection parmi les 80.
Le principe est simple ; un candidat-comédien doit retenir de groupes de mots. A chaque erreur les joueurs lui envoient une décharge électrique qui va croissant. Il est indiqué sur leur console de jeu l’intensité du voltage et sa dangerosité. Il y a de l’argent mis en jeu. Le candidat électrocuté est enfermé et invisible ; on n’entend que sa voix, ses supplications, ses hurlements et son silence à partir d’un certain voltage.
Nos 80 candidats ne sont évidemment pas au courant de la supercherie. La présentatrice pousse et influence au maximum les 80 candidats pour qu’ils continuent même s’ils souhaitent arrêter, avec l’aide du public.
81% des sujets sont allés jusqu’au bout des 420 volts.

Etaient présents en off des psychologues chargés d’analyser le jeu. Vous avez ici l’analyse d’un des principaux psychologues, Jean-Léon Beauvois.

Ce jeu reproduisait donc l’expérience de Milgram et voulait donc montrer le pouvoir de la télévision.
1. Une éthique inexistante
Jean-Léon Beauvois nous le dit dans son analyse : “D’abord la prise en considération du fait que des agents sociaux dans notre société sont payés, et quelquefois terriblement bien payés, pour mettre les gens dans des états de stress au moins comparables. Et je n’ai jamais accepté l’idée que l’éthique puisse interdire à des chercheurs de faire pour leurs recherches ce que d’autres font professionnellement et vont même quelquefois apprendre à faire en formation. C’est là un mode de défense que se donne la société contre la connaissance qu’on peut avoir de son fonctionnement que les chercheurs non conservateurs ne doivent pas accepter, sauf à vouloir satisfaire à tout prix les bons sentiments et les vues soi-disant humanistes de leurs voisins des classes moyennes. Interdisons d’abord dans la société ce que la morale condamne, puis interdisons-le dans les laboratoires de recherche. Les chercheurs devraient-ils être les seuls anges purs de notre univers social ?
Il ne s’agit pas d’être un “ange pur” et de faire, pour le bien de la science ce qu’on condamne par ailleurs. La lecture de son texte nous montre le pauvre suivi des candidats.
Puis, dans un lieu calme, ils étaient alors longuement débriefés par deux doctorants de psychologie ou de sciences de l’information et de la communication. Les sujets étaient rappelés quelques jours plus tard au téléphone. Après quatre semaines, on leur adressait un rapport sur la recherche et ses résultats ainsi qu’un questionnaire-bilan. Il est prévu de les contacter à nouveau au bout d’une douzaine de mois.”
Personne ne sait si à terme, pour le bien de la science, ces candidats ne seront pas traumatisés ou dépressifs. Comment peut-on vivre après avoir causé la mort d’une personne, même si cela n’est pas la réalité, et même si l’on vous a expliqué que c’est une réaction “normale” ?
Sur twitter, dans la presse, ceux qui ont appuyé ont été traités de “monstres”, de “moutons”, de “connards”. Ceux qui ont refusé étaient qualifiés de “personnes qui auraient résisté en 40″ ; sous-entendu les autre auraient été des collabos. Quelle va être la réaction de leur famille ? Des gens qu’ils vont croiser dans la rue ?
Leur visage n’était pas masqué ; on se demande bien ce que cela apporte à l’expérience que de connaitre le visage des participants.
Peut on être sûr – et comment réagira t on en ce sens, accusera-t-on encore la télévision – qu’aucune de ses personnes ne risque des insultes, des coups dans la rue ?

2. Une expérience scientifiquement invalide.
Nous ne savons pas le nombre de personnes qui ont refusé de participer à ce jeu dés lors qu’ils ont eu conscience des modalités du jeu.
Nous ne savons pas non plus qui, de manière consciente ou non, connaissaient l’expérience de Milgram. Cette théorie a profondément marqué les sociétés occidentales, on n’a donc aucun moyen de savoir –tant le jeu était proche de l’expérience – la connaissance consciente ou inconsciente des participants.
Milgram a été très médiatisée au cours des dernières décennies ; on ne reproduit donc pas une telle expérience ; la reproduction est faussée dés le départ.

3. Quid des téléspectateurs ?
Le documentaire n’a pas pris la peine de s’interroger sur nous, téléspectateurs.
Qu’est ce qui a pu nous pousser à regarder cette émission ? Qu’est ce qui a fait que j’ai regardé des gens croyant sincèrement envoyer des décharges électriques à d’autres ? La science ? Allons donc.
Il suffit de voir les réactions sur Twitter pour comprendre que cette émission a surtout servi à nous décharger de nos pulsions agressives à l’égard de ceux jugés comme monstrueux.
Qu’est ce qui fait donc, que nous ayons regardé des gens en torturer d’autres sans jamais nous interroger sur ce que nous faisions ?
La télévision – et cela le documentaire ne pouvait évidemment nous le dire – n’est pas un outil propre à présenter des expériences scientifiques. La nécessaire mise en scène qu’offre le format télévisuel fausse d’emblée les résultats. Enfin, mettre le téléspectateur, en situation de scientifique alors qu’il n’en possède pas les compétences, est à la foi dangereux et scientifiquement invalide.


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