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Camus, marxisme et socialisme

Publié le 22 mars 2010 par Argoul

Après le Congrès d’août 1946, Camus s’interroge sur le parti socialiste. La Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) garde allégeance au marxisme, « les uns parce qu’ils pensent qu’on ne peut être révolutionnaire sans être marxiste ; les autres par une fidélité respectable à l’histoire du parti ». C’est le duel Léon Blum-Guy Mollet, résolu par une « synthèse ».

Or cette synthèse est impossible car il y a contradiction entre l’allégeance et l’action. « Si le marxisme est vrai, et qu’il y a une logique de l’histoire, le réalisme politique est légitime. » La fin justifie les moyens. La société sans classe de l’utopie future justifie aujourd’hui tous les meurtres nécessaires. Au nom du Bien. A l’inverse, « si les valeurs morales préconisées par le parti socialiste sont fondées en droit, alors le marxisme est faux absolument puisqu’il prétend être vrai absolument. » On ne dépasse pas le marxisme, on l’accepte ou on le rejette, il n’y pas de milieu puisque le marxisme se veut une explication totale du monde et de l’histoire. « Marx ne peut être dépassé parce qu’il est allé jusqu’au bout de la conséquence. » Tout est bon pour accoucher de l’histoire : le mensonge, la violence, les tortures, les massacres de classe.

Pourquoi donc les socialistes veulent-ils conserver la dialectique marxiste (Guy Mollet) s’ils réfutent ces extrémités (Léon Blum) ? « On ne peut concilier ce qui est inconciliable. »

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Il se trouve que les socialistes français ne veulent pas choisir - pas plus en 2010 qu’en 1946… Eux seuls, puisque les socialistes allemands choisiront bel et bien à Bad Godesberg. Les socialistes anglais avaient déjà choisi en préférant les syndicats au parti unique. Les socialistes nordiques, en particulier suédois, avaient aussi choisi la voie démocratique – fondée sur le droit librement négocié – pour faire avancer les revendications sociales. Albert Camus est lui pour un « socialisme libéral » qui est selon lui bien représentatif des mouvements de Résistance. Cette expression, figure dans un article de ‘Combat’ du 23 novembre 1944, a été reprise par Bertrand Delanoë avec les cris d’orfraies des socialistes-marxistes qu’on connaît !

Il est étonnant que plus de 60 ans après le débat demeure. Camus est indulgent, plus que je ne le suis, parce que son époque était portée vers le marxisme à la suite de la victoire contre le nazisme à laquelle l’URSS avait fortement contribué. Mais l’URSS s’est écroulée, le mur qu’elle avait établi aussi, et les révélations sur les camps de travail, les dénonciations et le flicage serré de toute la population sont venues renverser ce que le socialisme « réel » pouvait avoir de tentant.

Pour Camus, « cette contradiction est commune à tous les hommes (…) qui désirent une société qui serait en même temps heureuse et digne, qui voudraient que les hommes soient libres dans une condition enfin juste, mais qui hésitent entre une liberté où ils savent bien que la justice est finalement dupée et une justice où ils voient bien que la liberté est au départ supprimée. » C’est probablement la grandeur des socialistes de ne pas être communistes jusqu’au bout, de ne pas être « ceux qui savent ce qu’il faut croire ou ce qu’il faut faire. »

Mais cette contradiction qui (en bonne dialectique marxiste) tend à être résolue par ceux qui en prennent conscience, subsiste deux générations plus tard ! Le parti, socialiste français semble s’être figé à ce qu’il était au milieu du siècle dernier. Camus reste donc fort actuel lorsqu’il dit (en 1947) : « Ou bien [les socialistes] admettront que la fin couvre les moyens, donc que le meurtre puisse être légitimé, ou bien ils renonceront au marxisme comme philosophie absolue, se bornant à en retenir l’aspect critique, souvent encore valable. »

Il leur « faudra choisir alors une autre utopie, plus modeste et moins ruineuse. »« la puissance de protection contre l’injustice » Cette utopie est la démocratie libérale… Elle préserve en effet la liberté sans laquelle, selon Camus dans un autre texte, ne serait pas. Choix qu’ont fait depuis fort longtemps les autres Européens !

Force est de constater que ce n’est pas vraiment le cas en France où « la droite » reste absolument illégitime au yeux des partisans, où la gauche radicale pousse à la roue en faisant honte aux socialistes de composer avec le capitalisme, où un enseignant à Normale Sup peut sans vergogne afficher sa haine du système démocratique en étant fort adulé par les gendegôch qui se piquent de penser. Le plus drôle serait de penser que les Verts vont pousser aux fesses les Roses pour les détacher de la fascination Rouge. Boboland n’est pas vraiment populo, vous savez - et les intello-médiatiques qui culpabilisaient auparavant ont explosé depuis qu’Internet traque leurs erreurs ou bêtises.

Mais il n’est que lorsque les partis politiques ne joueront plus aux guerres de religion, qu’ils ne penseront plus au « grand soir » comme à la victoire du Bien sur le Mal, qu’ils laisseront s’exprimer leurs adversaires sans brailler d’office et qu’ils accepteront de réfléchir à leurs arguments, que le socialisme français se sera enfin converti. Certains socialistes l’ont fait, mais ce n’est pas la majorité. Et ces Attali, Besson, Bocquel, Charasse, Frèche, Jouyet, Rocard et d’autres – qui servent la République et la France avant tout - le parti les appelle des « traîtres » ou des renégats !

Albert Camus, Le socialisme mystifié, Actuelles, Œuvres complètes tome 2, Pléiade Gallimard, 2006, p.441-443


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